L’échec du quinquennat Hollande est-il la preuve définitive qu'il est impossible de diriger efficacement la France sans avoir eu d'expérience gouvernementale ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
La plupart des membres du gouvernement étaient ou avaient été soit maires (Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve) soit présidents de conseils régionaux (Le Drian) ou de conseils départementaux (Hollande lui-même, Montebourg).
La plupart des membres du gouvernement étaient ou avaient été soit maires (Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve) soit présidents de conseils régionaux (Le Drian) ou de conseils départementaux (Hollande lui-même, Montebourg).
©Reuters

Le renouveau mais à quel prix...?

Alors que Nicolas Sarkozy a pointé du doigt ce mardi le manque d'expérience exécutive de Marine Le Pen, cette ligne sur le CV est-elle indispensable pour gouverner efficacement un pays comme la France ? Eléments d'explications à partir du quinquennat de François Hollande (mais pas seulement).

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Ce mardi, Nicolas Sarkozy a pointé du doigt le manque d'expérience exécutive de Marine Le Pen, candidate à la présidentielle de 2017. Alors que la plupart des observateurs politiques font un constat d'échec pour le quinquennat de François Hollande, dans quelle mesure peut-on dire que l'inexpérience de l'exécutif hollandien a contribué à ces échecs (tant dans les résultats globaux que dans certains "couacs" très médiatisés) ?

Jean Petaux :  La question de l’expérience (plus exactement du "manque d’expérience") est souvent utilisée comme argument politique. La droite (dans l’opposition) a tendance à user de cette critique plus souvent que la gauche, pour une raison toute simple… Depuis 58 ans, c’est-à-dire depuis le début de la Vème République, le PS a occupé l’Elysée 18 ans (au jour d’aujourd’hui), la droite 40 ans et le PS a eu, seul ou avec ses alliés, la majorité à l’Assemblée 19 ans quand la droite et le centre ont un de leur représentant au "Perchoir" pendant 39 ans. Il ne faut pas croire que cet argument soit uniquement réservé à la vie politique nationale. Dans de nombreux cas, lorsqu’il y a une alternance politique dans une collectivité territoriale, les "battus", qui étaient parfois en place depuis des décennies, eux ou leurs prédécesseurs du même camp (102 ans pour Limoges en 2014, 65 ans pour Niort en 2014 aussi : deux villes dirigées par le PS qui sont passées à droite aux dernières municipales), n’ont de cesse que de disqualifier l’action de leurs vainqueurs en les traitant d’inexpérimentés, de maladroits, de naïfs ou de dangereux incapables… On le voit donc facilement : en politique, qui veut "noyer son adversaire" le traite de "bleu", "d’apprenti" ou de "novice".

Mais cette critique en inexpérience est souvent fausse au plan national et elle est plutôt fausse pour ce qui concerne l’équipe Hollande, depuis 2012. Certes cela faisait 10 ans que le PS avait quitté les ministères, et hormis quelques rares personnalités comme Michel Sapin, aucun ministre, pas plus que le premier d’entre eux ou le président de la République n’avaient occupé de telles fonctions avant 2002. Pour autant, la plupart étaient ou avaient été dans leur cursus politique et électoral soit maires (Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve) soit présidents de conseils régionaux (Le Drian) ou de conseils départementaux (Hollande lui-même après avoir été maire de Tulle, Arnaud Montebourg). Certes gérer une collectivité territoriale ce n’est pas gérer l’Etat mais le "métier politique" n’est pas si fondamentalement différent selon les responsabilités que l’on assume.

En 1981, lorsque François Mitterrand a été élu à la présidence de la République, le procès en inexpérience a aussitôt été instruit contre le nouveau gouvernement. Dans celui-ci, gouvernement Mauroy 1 formé le 21 mai 1981, seuls trois ministres l’avaient déjà été : Gaston Defferre, Maurice Faure et Michel Jobert. Les deux premiers avaient été ministres sous la IVème République, avec François Mitterrand (11 fois ministres entre 1946 et 1958), le troisième l’avait été sous Pompidou de 1973 à 1974. Un mois plus tard, dans le gouvernement Mauroy 2, ils n’étaient plus que deux ministres, Maurice Faure ayant démissionné de son poste de Garde des Sceaux. Mais là encore, plusieurs "néo-ministres" avaient occupé, dans les années 70 des fonctions importantes : maire de Lille et président de la région Nord-Pas-de-Calais pour Pierre Mauroy, le Premier ministre ; maire de Belfort pour Jean-Pierre Chevènement ; maire de Villeurbanne pour Charles Hernu ; maire de Chatellerault pour Edith Cresson ; maire de Rennes pour Edmond Hervé ; etc.). Donc là encore il est inexact de parler d’inexpérience…

En matière de non-expérience, totale, pas plus au plan national que local, la nouveauté apparait pour Marine Le Pen et la quasi-totalité des cadres du Front National. Là, en effet, l’inexpérience à tous les étages est flagrante. En dehors des 11 mairies conquises en 2014 (et encore compte-t-on Béziers dans le lot), le FN n’est en responsabilité de gestion nulle part. Ses parlementaires se comptent sur les doigts d’une seule main, et n’ont rien à gérer par définition. Quant aux conseillers régionaux s’ils sont beaucoup plus nombreux depuis décembre 2015 qu’avant, ils sont systématiquement dans l’opposition dans les 13 régions françaises. Pour le coup Nicolas Sarkozy a parfaitement raison de pointer l’inexpérience de Marine Le Pen… Mais celle-ci et ses supporters ne vont pas manquer de retourner l’argument à son auteur : "Il est préférable d’être neuf et inexpérimenté qu’usager ayant fait vivre à la France de bien mauvaises expériences…". Effet boomerang en somme !

Est-il vraiment indispensable d'avoir une expérience des fonctions exécutives régaliennes pour pouvoir gouverner efficacement en France ? Y a-t-il des exemples nous prouvant le contraire ? De même, "l'expérience" peut-elle parfois se révéler un frein à l'action politique ?

Clairement il me semble que non. Robert Badinter a été un très bon ministre de la Justice, il n’avait pas d’expérience ministérielle avant le 22 juin 1981. Les quatre ministres communistes entrés au gouvernement en juin 1981, Fiterman, Rigout, Le Pors et Ralite ont été d’excellents ministres, de l’avis unanime de leurs collègues et même de leurs adversaires, entre 1981 et 1984. Jean-Yves Le Drian est considéré, chez les militaires eux-mêmes pourtant discrets sur ses questions, comme un très bon ministre de la Défense et, n’en déplaise à Monsieur Estrosi dont on se demande encore quels portefeuilles ministériels il a occupé et combien de temps, Bernard Cazeneuve est sans doute un des meilleurs ministres de l’Intérieur depuis Roger Frey sous de Gaulle, Gaston Defferre et Pierre Joxe sous Mitterrand et Jean-Louis Debré sous Chirac. Dans tous les cas ces excellents ministres (on pourrait ajouter Jacques Delors, le ministre de l’Economie de 1981 à 1984 qui fut le premier à vaincre le mal endémique de l’inflation qui rongeait la France depuis 10 ans…) n’avaient pas d’expérience régalienne avant d’occuper les responsabilités qui leur ont été confiées. Si on remonte dans le temps, au sortir de la seconde guerre mondiale, entre 1944 et 1946, Michel Debré, sans antécédents ministériels voire électifs, a été un des grands administrateurs de la France aux côtés du général de Gaulle. Il avait certes, avant la guerre, été reçu major au concours du Conseil d’Etat, mais c’était là son seul viatique… Et que dire de l’extraordinaire travail législatif, juridique, voire constitutionnel qui a été conduit par tous ceux qui ont fondé la Vème République entre l’été 1958 et l’été 1959, le temps que le nouveau régime s’installe. La plupart était de "jeunes" ministres qui ne connaissaient rien de la machine politico-administrative.

En revanche il arrive en effet que certains acteurs politiques, "échaudés" par des expériences négatives ou malheureuses qui ont, par exemple, provoqués des grèves en série, des manifestations en cascade et des blocages du pays à répétition, se trouvent presque inhibés dans leur ambition réformatrice. Comme si ces mauvaises expériences étaient autant de traumatismes fondateurs dont il est bien difficile de se défaire ou de se déprendre. C’est le risque qui guettent parfois des responsables politiques que le temps a pu user. L’expérience se transforme alors en lassitude…

Cet accent mis sur l'expérience en politique est-il une particularité française ? Matteo Renzi, Barack Obama, David Cameron ou Justin Trudeau ont tous eux aussi accédé au plus haut sommet de l'État de grandes puissances mondiales sans expérience exécutive nationale. Que révèle cette situation du fonctionnement de l'Etat en France ?

Vous avez parfaitement raison de citer ces exemples étrangers. Autre particularité, dans la quasi-totalité des cas, quand des personnalités politiques, dans les Etats que vous citez, connaissent un échec électoral par exemple ou politique, celui-ci cèle définitivement leur retrait de la vie politique. On n’est pas à la veille d’y voir un président battu par le suffrage universel prétendre à un nouveau mandat, cinq ans après son échec. La situation française est donc bien particulière. Dans chaque cas cité, le contexte est différent. Aux Etats-Unis par exemple, même si Barack Obama n’a jamais été en situation de gouverner, un Etat ou une grande métropole comme Chicago, il a quand même été Sénateur de l’Illinois, peu de temps certes (3 ans) mais il a eu le temps de se familiariser avec l’establishment washingtonien. Un Sénateur des Etats-Unis dispose par ailleurs d’un "staff" et de moyens 20 fois supérieurs à un parlementaire français. Matteo Renzi a été 5 ans maire de Florence, 5 ans auparavant président de la province de Florence… soit 10 ans de responsabilités locales et régionales et 13 mois ministre avant d’occuper le Palazzo Chiggi à Rome (siège de la présidence du Conseil italien). Ce n’était donc pas du tout un "novice" en matière d’expérience politique. Quant à Justin Trudeau, il ne s’agit pas d’évoquer ici le "métier" de son père, Pierre-Eliott, 15 ans Premier ministre du Canada, en deux mandats. Mais il convient de rappeler qu’il a été 8 ans député fédéral avant de devenir Premier ministre du Canada. Lui aussi n’est pas, à proprement parlé, un inexpérimenté… Autrement dit il est faux de croire que les personnalités politiques à l’étranger sont novices parce qu’elles sont (parfois) nouvelles. Partout existe une nécessaire "propédeutique" à l’exercice de responsabilités politiques. En France comme ailleurs. Seuls ceux qui considèrent qu’il faut "sortir les sortants" et se contentent de cela comme programme politique peuvent considérer que l’expérience est inutile. Mais des personnalités politiques inexpérimentées, pour peu qu’elles aient un programme solide et surtout une vraie volonté politique peuvent tout à fait compenser leur inexpérience par l’enthousiasme de l’action et le courage de faire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !