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L’autre test du Covid : les assurances seront-elles à la hauteur des promesses d’indemnisation de leurs polices face aux dégâts de l’épidémie
©JOEL SAGET / 000_19X3CZ

ASSURANCES

L’industrie financière mondiale avance elle aussi avec incertitude face au coronavirus. Quelles conséquences économiques pour le secteur et pour les assurés ? Bilan avec Éric Verhaghe.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Alors qu'un commercant remportait au cours du week end dernier son procès contre Axa, obligeant l'assureur à couvrir les pertes subies lors de la crise sanitaire, de nombreux autres professionnels luttent toujours contre leur assurance. Selon vous, les assurances seront-elles à la hauteur des promesses d'indemnisation de leurs polices face aux dégâts de l’épidémie ?

Éric Verhaeghe : Voilà un sujet bien compliqué ! D'abord parce qu'il faut savoir exactement ce que dit le contrat d'assurance. J'ai cru comprendre que, dans l'affaire du restaurateur que vous évoquez, les garanties invoquées étaient dites "intercalaires", c'est-à-dire ajoutées par l'assureur dans une négociation de gré à gré avec l'assuré au moment de la souscription. Ce n'est pas une garantie standard. Et l'expérience montre que les assurés n'ont pas forcément le réflexe ou l'habitude de lire leur contrat d'assurance. Quand bien même ils seraient familiers de cette lecture et qu'ils y trouveraient une garantie en cas de pandémie, il faut encore savoir interpréter cette garantie. Assez logiquement, dans le cas d'une épidémie, les assureurs tentent de limiter leurs dépenses, et assez logiquement les assurés tentent d'obtenir la meilleure indemnisation. La conciliation des points de vue peut prendre beaucoup de temps. 

Dans le cas de la pandémie, des problèmes pratiques se posent. Contrairement à ce qu'on croit, les assureurs ne disposent pas d'un état des lieux simple des garanties qu'ils ont octroyées à leurs assurés. On imagine parfois les compagnies d'assurance comme omniscientes et parfaitement en ordre pour maîtriser leurs sinistres. La réalité est très différente. Beaucoup de compagnies, pour des tas de raisons liées au métier d'assureur, ignorent l'état exact de leur "stock". Certains contrats ont été souscrits parfois plusieurs décennies auparavant, et sont reconduits d'année en année sans être retouchés. Dans ces cas-là, qui sont très nombreux, plus personne ne sait au juste quelles sont les intercalaires concédées pour obtenir la signature du contrat. C'est particulièrement vrai dans les entreprises de moins de 50 salariés, où le patron a fait confiance à un courtier et ne cherche pas à rediscuter ses contrats régulièrement. 

Il est très probable qu'il existe de nombreux "vieux contrats" qui ont inclus la pandémie avant la survenue du SRAS des années 2000. Pour beaucoup d'assureurs, il s'agissait d'une hypothèse théorique qui ne se réaliserait jamais. Les assureurs qui ont assumé de la couvrir n'ont pas alors mesuré qu'une pandémie toucherait tous leurs clients d'un coup, et pas seulement l'un d'entre eux. La pandémie produit ce que les statisticiens appellent de la covariance : il s'agit d'un risque qui concerne tous les clients en même temps. Donc qui suppose des montants colossaux à indemniser, tellement colossaux qu'ils mettent la survie des compagnies en jeu. Et c'est le problème principal qui s'est posé. Les assureurs dommages disposent d'un matelas d'environ 50 milliards pour couvrir les sinistres. Et l'indemnisation des seules pertes d'exploitation coûte plus cher que 50 milliards. 

Beaucoup d'assureurs ont donc freiné des quatre fers pour négocier les indemnisations. 

Ce procès peut-il ouvrir la voie pour d'autres professionnels, lésés par leur assurance ?

Je pense que beaucoup de restaurateurs ont saisi les tribunaux, souvent avec un certain succès. Mais il faut ici bien comprendre que les méthodes utilisées pour indemniser un accident de voiture n'ont pas court. On n'est pas dans un modèle d'assurance standardisé avec des dommages de quelques centaines ou quelques milliers d'euros en moyenne à indemniser. On est dans des ordres de grandeur de dix à cent fois supérieurs. L'évaluation du montant à verser ne fonctionne donc pas par un simple coup de téléphone, puis le passage d'un expert qui, en quelques minutes, dit à l'assureur combien il doit à payer. Compte tenu des sommes en jeu, l'assureur fait la tortue comme la légion romaine. 

Dans cette tactique de négociation, l'assuré doit prendre son mal en patience et comprendre que le contentieux, même s'il est gagné, n'est pas un aboutissement, mais un commencement. L'assureur dispose en effet d'une arme redoutable : sa capacité à faire appel et à repousser toute décision définitive pendant des années, selon un principe bien connu des assureurs, qu'on appelle "gestion du risque". Il s'agit d'expliquer simplement au client, à l'assuré : soit vous demandez d'encaisser la totalité de la somme que le tribunal nous condamne à payer, et, dans ce cas, on fait appel, et vous toucherez le premier centime dans cinq ou dix ans. Soit on transige sur le paiement immédiat d'une somme moindre. 

Autrement dit, les assureurs, même en cas de contentieux, sont dans une démarche de négociation. Et même s'ils perdent le contentieux, ils proposent généralement à l'assuré de réduire le montant à payer. L'assuré doit donc comprendre que saisir le juge pour obliger un assureur à payer n'est pas une fin en soi, mais simplement un moyen de faire pression sur lui. 

Comment les professionnels peuvent-ils se préparer pour obtenir gain de cause ?

Dans tous les cas, il faut s'entourer de conseils efficaces. Si les professionnels disposent d'un courtier, ils ont intérêt à le consulter, même si le courtier ne fait pas tout, ne sait pas tout, et n'est pas forcément très chaud pour prendre parti. Dans tous les cas, il faut en plus se faire accompagner par un avocat qui connaît un peu ces sujets. On évitera donc soigneusement le spécialiste du divorce ou du licenciement pour traiter ce genre de dossier qui suppose une technicité particulière. 

C'est avec ces conseils qu'il faut reprendre son contrat d'assurance et comprendre exactement ce qu'il veut dire. Si, à tête reposée, l'assuré a de bonnes chances de gagner, il peut se lancer dans un contentieux. Mais je déconseille fortement de croire que le contentieux suffit et tient lieu et place de négociation avec son assureur. Dans tous les cas, il faut ouvrir la porte à des discussions entre adultes. L'assureur va défendre son bout de gras et c'est normal. Pour négocier, il faut s'appuyer sur son courtier et ne pas hésiter à choisir un intermédiaire comme un avocat qualifié pour dépassionner le débat. Il ne faut pas hésiter non plus à contacter un expert d'assuré pour quelques trucs. 

Quoiqu'il en soit, je conseille fortement de se souvenir de ce principe simple : le contentieux n'est pas une fin, mais un début. Un contentieux gagné n'ouvre pas un droit. Il donne seulement une arme pour mieux négocier avec son assureur.  

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