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L’austérité, mère de tous les populismes ?  Pourquoi il est grand temps de crever l’abcès de la crise, qui était responsable de quoi, qui en paye le prix
©Reuters

Règlement de comptes

L'austérité n'est pas la seule, loin de là, à porter la responsabilité de la spirale infernale que connaît l'Europe. Les agents défaillants sont multiples... comme le sont ceux qui paient le prix des erreurs commises. Le point sur ceux qui ont contribué au gouffre et ceux qui en subissent les conséquences.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Qui sont les responsables ?

  • Les gouvernements européens

Mathieu Mucherie : Leur responsabilité numéro 1, c'est la nomination des banquiers centraux, puisque sur les autres dossiers économiques ils n'ont pratiquement plus aucun pouvoir. Par contre ils peuvent encore nommer des banquiers centraux. Or ils ont nommé des gens qui ne sont pas des économistes, même pas des experts des marchés financiers. Ce sont des bureaucrates. En amont, c'est le gros problème. A l'inverse, c'est ce que fait très bien la Fed où il y a plus d'un tiers d'économistes au sein du comité de politique monétaire. Ce n'est pas le cas en Europe. C'est donc la première responsabilité des gouvernements européens. Ils n'ont nommé les personnes compétentes sur un sujet ultra-sensible qui est celui de la politique monétaire. Or une fois que les nominations sont faites, leur échappe complètement, puisque ce sont des institutions indépendantes et très jalouses de leur indépendance.

Le deuxième point, toujours lié aux banquiers centraux, c'est que les gouvernements ne les ont pas contrôlés. Les gouvernements, par exemple via le Parlement européen, ont la possibilité de leur imposer entre autres des obligations de transparence, etc. Or ils se sont laissé déposséder d'attributs importants, notamment la politique de change qui avant même la crise est passée sous la tutelle progressivement de la BCE, à partir de 2003 / 2004, au moment où Jean-Claude Trichet arrive à la BCE. Un peu plus tard dans la crise, la supervision bancaire, qui était du ressort des gouvernements, a aussi été laissée à la BCE.

Donc non seulement en amont les gouvernements européens n'ont pas fait leur travail de nomination, mais pendant la crise ils n'ont pas fait leur travail de monitoring. Même si la BCE est indépendante, il y a toujours la possibilité de discuter avec elle et ne pas tout lui laisser. Or ils lui ont confié trop de pouvoir.

Pendant la crise, troisième élément, les gouvernements ont fait de l'austérité à contre-emploi, au mauvais moment et qu'il y a eu un grand cafouillis dans les politiques économiques qui n'étaient pas coordonnées, pas bien financées, pas optimales.

Mais c'est une crise monétaire et les gouvernements sont assez responsables en amont d'avoir fait l'euro, puis d'avoir confié l'euro à des personnes qui n'étaient pas assez qualifiées, puis de ne pas avoir contrôlé ces personnes.

On peut aussi faire une mention spéciale à la Grèce : on aurait pu attendre un peu de générosité de la part des gouvernements européens et des dons. Au lieu de faire des dons comme le font les Américains, ils ont fait des prêts à des taux beaucoup plus élevés que la capacité de remboursement des gens à qui ils prêtaient. Et cela, c'est un facteur aggravant puisqu'ils ont ajouté de la dette à la dette, notamment en Grèce.

Autre facteur aggravant, ils se sont immiscés dans les procédures démocratiques d'un certain nombre de pays périphériques avec la troïka et ils ont laissé faire la BCE dans son travail de "méchant". C'est cela qui a amené Syriza en Grèce et pourrait amener Podemos en Espagne. C'est un élément aggravant de ne pas avoir respecté la souveraineté des pays périphériques mais c'est directement lié au fait que l'on prêtait de l'argent au lieu de faire des dons ou des remises de dettes.

C'est aussi une crise immobilière donc il y a beaucoup de professionnels qui sont dans une opacité très forte et pratiquent un double discours. Aux Etats-Unis comme en Europe, cette profession devrait être réformée. L'immobilier est au cœur du cycle, représente en France les trois quart du patrimoine des Français, n'a pas été interrogée. Il est très curieux qu'on laisse dire qu'il n'y a pas eu de bulle immobilière en France alors que c'est le cas. C'est aussi très curieux que la BCE ait laissé faire jusqu'en 2008 voire 2011 une bulle gigantesque et qu'elle ne se soit pas interrogée.

  • Les responsables politiques de la zone euro

Mathieu Mucherie : Il est certain par exemple, pour n'en prendre qu'un seul, qu'Angela Merkel a une responsabilité particulière puisqu'elle est la chef du pays cancre sur le plan monétaire. Elle a une responsabilité particulière dans la mauvaise tenue des dossiers des pays périphériques. Cela va s'aggraver probablement en 2015 puisqu'elle a une pression supplémentaire venant de la droite avec Alternative für Deutschland qui ne va rien améliorer.

Nicolas Goetzmann : Au-delà des personnes, des institutions, et des dirigeants, c’est surtout une "pensée", ou l’absence de pensée en Europe qui a été mise à rude épreuve dans le courant de ces années. L’approche macroéconomie européenne a consisté à commettre une succession d’erreurs qui auront été décisives tout au long de ce processus. Des erreurs commises par la BCE sous l’ère de Jean Claude Trichet, des erreurs commises par la Troïka en voulant absolument mettre en place une politique d’austérité fiscale dans les pays du sud etc… La pensée macro européenne est passée totalement à côté de son sujet. Cette crise a été diagnostiquée comme étant de nature monétaire aux Etats-Unis ou encore au Royaume-Uni, et dont le traitement a permis le retour au plein emploi dans ces pays. En Europe; l’effondrement de l’intégralité des variables nominales (prenant en compte l’inflation) indiquait également et manifestement une crise monétaire. Mais non, l’aveuglement a été total. L’Europe ne comprend pas ou ne veut pas comprendre. La pensée économique européenne, de la même façon qu’au cours des années 30, n’accepte pas de constater l’évidence de cette nature monétaire. Il semblerait que l’Europe continentale soit incapable de "penser" sa politique monétaire. Désormais, l’espoir repose sur Mario Draghi, qui, esseulé, essaye d’insuffler une vision différente aux dirigeants européens. Mais pour ces derniers, l’économie ne fonctionne encore que sur une terre plate.

  • Les banques

Nicolas Goetzmann : Il ne fait aucun doute que les anticipations de hausse infinie des prix de l’immobilier ont entrainé les banques à baisser leur garde de façon inadmissible. L’empilage acrobatique des dettes risque de s’effondrer à tout moment si le sol n’est pas stable. Ce seront les banques centrales qui vont dérober le tapis sous les pieds de la finance pour transformer une crise « classique » en un évènement historique.

A lire aussi : Finance, banques, Etats, banquiers centraux... : 5 ans après le déclenchement de la grande crise, avons-nous vraiment compris qui était le(s) coupable(s) ?

  • Les peuples par leurs choix électoraux

Mathieu Mucherie : On a les politiques que l'on mérite. Pour prendre l'exemple de l'Espagne, c'est très curieux d'avoir un gouvernement pro-BCE, favorable à l'austérité budgétaire… bref le gouvernement Rajoy, exactement au moment où l'Espagne a 25% de chômeurs. C'est très net qu'il s'agit peut-être du seul moment dans l'Histoire où il faut avoir une politique de la demande et non de l'offre. La Grèce aurait dû mettre au pouvoir Syriza de 2008 jusqu'à 2012, mais elle ne le fait qu'au début 2015 au moment où le pays va un peu mieux !

Il y a un temps monétaire, un temps social et un temps politique, qui ne sont pas les mêmes. Au total on se retrouve parfois avec des paradoxes de gouvernements de droite qui mènent des politiques de droite à un moment où il faudrait mener des politiques de gauche ou l'inverse. En plus ce n'est pas coordonné parce que les échéances électorales des pays sont différentes. Les cycles politiques se rajoutent au cycle économique avec la BCE comme arbitre des échéances électorales notamment en périphérie où on a vu que le débat était centré sur le fait de ne pas trop déplaire à la BCE sinon on risquait l'expulsion ou une hausse des taux d'intérêt.

Il ne faut pas oublier qu'il y a eu un putsch contre Berlusconi dont les électeurs ne sont pas toujours rendu compte. On pourrait dire la même chose de Papandréou. Jamais dans le débat public on ne met cela en avant en montrant que d'une certaine manière les autorités monétaires ont joué un jeu très trouble et ont fait voter à leur façon l'électorat. Ce n'est pas à la BCE de se prononcer pour ou contre Syriza… Ce sont des choses contre lesquelles l'électorat devrait se révolter, ce qu'il ne fait malheureusement pas.

Ceux qui ont échappé à leurs responsabilité, partiellement ou totalement

  • Les gouvernements

Jean-Yves Archer : En Europe de l'Ouest, il y a maintenant plus d'une décennie que le chômage, le pouvoir d'achat et l'insécurité sont de puissants facteurs explicatifs du vote des citoyens. C'est particulièrement vrai en France, qui est un pays marqué par le chômage de masse. L'élection de François Mitterrand en 1981 a clairement été expliquée pour partie par les politologues qui, comme Roland Cayrol ou Jérôme Jaffré, ont établi une corrélation entre la hausse des inscriptions au chômage et le vote de rejet. Le même parallèle peut être soutenu en 2012 lors de la défaite de Nicolas Sarkozy ou celle de Gordon Brown (2010), de Mario Monti en Italie (2013) ou encore de José Luis Zapatero en décembre 2011.

Loin d'adhérer à la phrase de Winston Churchill ("Si le présent veut se mêler de juger le passé, il perdra l'avenir"), les peuples européens ont rendu responsables les équipes en place et ont choisi massivement pour l'alternance. D'une certaine façon, la situation allemande n'échappe pas tout à fait à la règle pour qui songe à la grande coalition que la Chancelière Merkel a été contrainte d'accepter.

Nicolas Goetzmann : Sur ce point, le constat est assez clair. Berlusconi, Zapatero, Sarkozy, Papandreou etc...tous les dirigeants européens qui étaient au pouvoir au moment de l’entrée de crise ont été battus. Tous sauf un, Angela Merkel. Et la corrélation entre l’ampleur des défaites et l’ampleur de la crise est assez nette. La France a plutôt mieux vécue la crise entre 2008 et 2012 que d’autres pays européens, ce qui a permis à Nicolas Sarkozy de limiter la casse aux présidentielles de 2012. A l’inverse, la bonne position allemande lors de la crise a permis à Angela Merkel de voir ses scores progresser au fil des années.

De plus, le fait que le gouvernement allemand ait conservé sa position lui a également permis d’installer une continuité du pouvoir au niveau européen, et ainsi de se renforcer, notamment vis-à-vis de la France. La crise a donc eu un effet paradoxal, entre une forte dose de conservatisme de la doctrine européenne avec la préservation d’Angela Merkel, et la montée en puissance soit de partis nouveaux, comme Podemos, Syriza, ou le mouvement 5 étoiles en Italie, et l’importante progression de partis préexistants comme le Front national en France. La radicalité qui nait de ce paradoxe est en train de s’exprimer dans la relation entre la Grèce et l’Allemagne depuis le mois de janvier 2015.

  • Derrière les gouvernements, les technostructures étatiques

Jean-Yves Archer : La situation est double : au début de la crise, certains pays ont continué à pratiquer une politique keynésienne classique avec soutien à la demande et éventuellement des embauches dans le secteur public. Puis, le temps de la rigueur budgétaire est venu et parfois celui des suppressions massives de postes comme en Suède (par privatisation des Agences publiques) ou en Grande-Bretagne.

S'agissant de la France, la règle de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux du quinquennat précédent a été diluée par les recrutements dans les collectivités locales : dans les départements et régions comme dans les communes et les intercommunalités (exemple fameux de Carcassonne agglo').

La rigueur budgétaire à la française consiste à accepter de financer un déficit public annuel de près de 85 milliards d'euros et d'accepter que plus de 350 agences lèvent 112 milliards de taxes (5,2% du PIB)

Comme l'a écrit un jour feu Pierre Mauroy : "La rigueur c'est l'austérité plus l'espoir". De manière moins lyrique, le secteur public a connu la rigueur par la modération salariale (gel du point d'indice) mais pas l'austérité qui aurait supposé des baisses, en termes réels, du montant des traitements (exemples grec et italien).

De surcroît, l'avenir dira – au travers d'études fiabilisées de l'Insee – s'il n'y a pas eu contournement de la modération salariale par recours à des promotions plus ou moins opportunes afin que certains agents publics puissent bénéficier du GVT : glissement vieillesse technicité.

L'augmentation de certains traitements est à regarder avec précaution car dans certains services l'impact de la RGPP (Revue générale des politiques publiques) visait à obtenir qu'il y ait moins d'effectifs mais mieux payés. La matrice d'analyse doit donc être bien calibrée afin de conclure.

Une chose doit être rappelée, in fine : elle concerne la garantie de l'emploi du fait du statut général de la Fonction publique, qui constitue un solide avantage par ces temps de précarisation de milliers d'emplois.

  • Les banques

Jean-Yves Archer : Loin de la fureur sociale de la crise, les établissements bancaires ont réussi à bénéficier de plans de sauvetage massifs, puis de différés dans l'application de certaines normes prudentielles puis de pratiques adoucies de la notion de stress tests et enfin se retrouvent dans la logique du "trickle down" que permet le "quantitative easing" que la BCE vient de mettre en place, de manière imposante (1000 milliards d'ici à l'Automne 2016).

Parallèlement, elles ont su négocier la substitution de créanciers publics à leurs propres lignes de créances sur des pays risqués comme la Grèce.

Au total, on a du mal à conclure que les établissements bancaires seraient les victimes expiatoires de la crise : la législation d'exception dont a bénéficié Dexia démontre le "too big to fail" (trop gros pour être mis en faillite) tandis que la concentration démontre le bien-fondé de l'expression "too big to be bailed out" (trop gros pour être sauvés).

Eric Dor : La manière dont la crise grecque a été gérée par les autorités européennes a effectivement eu pour effet de transférer les risques de leurs créances aux Etats. 

En 2010 les banques européennes avaient 178 milliards de dollars de créances sur la Grèce, dont 67 pour les banques françaises et 44 pour les banques allemandes. Rien que sur le secteur public grec l’exposition des banques françaises s’élevaient à 15 milliards de dollars, et celle des banques allemandes également. La nécessité de restructurer la dette grecque a été niée par les autorités européennes, qui se sont contentées d’offrir des prêts bilatéraux des Etats et des prêts du FMI. Elles étaient effrayées par la perspective de laisser les banques subir l’effet d’une forte décote sur leurs obligations publiques grecques, craignant l’effet de faillites bancaires sur les dépôts des citoyens qu’elles n’avaient pas vraiment les moyens d’indemniser, et sur le financement de l’activité économique en général. La crise grecque survenait dans un contexte où les banques européennes étaient encore très fragilisées par leurs pertes dues à la crise des subprimes et la récession qui avait suivi. Et il n’y avait encore aucun mécanisme communautaire de résolution bancaire. Lorsqu’il a fallu se résoudre à restructurer la dette de la Grèce en 2012, les banques européennes, dont les françaises et allemandes, avaient déjà eu le temps de réduire très fortement leur détention d’obligations publiques grecques. Après la restructuration le financement du gouvernement grec a été pris en charge essentiellement par le FESF et le FMI. Depuis 2010 les banques européennes ont également très fortement réduit leur exposition au secteur privé grec, leur retrait impliquant une forte augmentation des créances de l’Eurosystème sur la banque centrale de Grèce en compensation. Que ce soit directement par les prêts bilatéraux et les garanties au FESF, ou indirectement par l’Eurosystème, il y a bien eu déplacement de l’exposition des banques vers celle des gouvernements.

Ceux qui ont vraiment payé la facture

  • Les entreprises

Jean-Yves Archer : Incontestablement, les entreprises ont payé au prix fort l'impact de la crise. Des études de la Coface ont établi l'importance de la mortalité des firmes (plus de 60 000 défaillances d'entreprises par an), du resserrement du crédit, du tassement des marges, de l'effondrement de certains carnets de commandes. Là encore, il faut analyser posément les situations branches par branches mais du secteur du raffinage, du secteur du logement, des industries agro-alimentaires de première transformation, de l'automobile, on ressort une crise profonde qui a englouti plus d'un site industriel ou tertiaire (rachat contraint du Club Med, etc.)

Mathieu Mucherie : Actuellement le CAC est en train de remonter à 5000 points mais les actionnaires ont été pulvérisés. Ils ont connu un choc de 40% pour la seule année 2008. Mais dans une économie de marché, les actionnaires sont importants. Ils ont un rôle à jouer dans la gouvernance des entreprises et aussi comme baromètre. Ce n'est pas une bonne chose parce que les actionnaires ne veulent plus revenir sur les actions aujourd'hui, ce qui fait que l'on a un problème de financement de l'économie ce qui signifie que l'on est obligé de financer tout cela par la dette et non par fonds propres. Cela pose ensuite de graves problèmes.

Nicolas Goetzmann : L’économie française dépend essentiellement de son marché intérieur, à l’inverse de l’Allemagne par exemple. Plus de 70% du PIB dépend de la demande intérieure du pays. Ainsi, les entreprises les plus "protégées" par la crise sont celles qui dépendent de la demande extérieure, et plus particulièrement celles qui dépendaient de la demande extérieure à la zone euro, des Etats Unis ou de la Chine par exemple. Typiquement, les grandes multinationales qui arrivent à diversifier les marchés sur lesquels elles sont présentes. Au cours des dernières années, il valait mieux dépendre du redémarrage américain que de la demande intérieure européenne, et par voie de conséquence, de la demande intérieure française. Le succès des entreprises allemandes au cours des dernières années découle du même phénomène. La stratégie exportatrice n’est pourtant pas forcément gagnante. Que penser d’une entreprise américaine dont les clients seraient en majorité des européens ? Concernant les secteurs impactés en France, la construction a subi une très forte purge, suivent le transport, le  commerce de détail, puis l’industrie.

  • Les ménages

Jean-Yves Archer : Les ménages sont les premières victimes de la crise du fait de la progression du chômage, de la diffusion croissante des CDD, de la propagation du travail à temps partiel qui représente moins que la loi d'Airain des salaires.

Les délocalisations (liées aux charges qui affectent le coût unitaire de notre main d'œuvre nationale), le trou d'air d'activité conjoncturelle, les deux premières années stupéfiantes de la politique économique (des déclarations tonitruantes d'Arnaud Montebourg aux coups de massue fiscale du compétent Moscovici toujours content de lui mais qui aura contraint tout un pays à une politique pro-cyclique qui a tué le peu de croissance que la conjoncture lui laissait) ont engendré la survenue de plus de 500000 chômeurs additionnels.

La loi sur la formation professionnelle de mars 2014 n'aura pas assez porté d'attention aux crédits à allouer aux chômeurs pour continuer de privilégier les "insiders" : ceux qui ont un job. Désormais la crainte du déclassement social, analysée par les travaux de Camille Peugny, se répand au-delà des classes moyennes car le citoyen – qui est lucide et bon observateur des situations – ont retenu deux points : la durée du chômage est en moyenne de plus de 500 jours en France contre moins d'un mois en Autriche ou Tchéquie. D'autre part, quand on retrouve un emploi, c'est très souvent à des conditions moins avantageuses. Certains économistes pressés glosent sur le fait qu'il n'y a pas de flexibilité à la baisse des salaires. C'est oublier d'examiner les revenus lors d'un retour à l'emploi qui commencent à faire l'objet d'études locales conclusives.

Tout foyer a la préoccupation du sort de ses enfants : par l'éducation, par la capacité à trouver aisément un job et à "faire sa vie".

Le désarroi des pratiques éducatives qui ont bien des défis à résoudre, le chômage spécifique aux jeunes et la précarisation des trajectoires professionnelles forgent l'armature rugueuse de la crise dont la rémanence ira loin dans l'inconscient collectif français.

Mathieu Mucherie : Ceux qui ont souffert sont évidemment ceux ayant peu de qualification surtout dans les pays périphériques. Les victimes collatérales sont enfin les institutions qui n'ont quasiment plus aucun rôle parce qu'elles ont été phagocytées par la BCE. Je pense notamment à la Commission européenne qui n'a quasiment plus aucun pouvoir. Elle n'a presque aucun rôle dans la Troïka qui est aujourd'hui presque entièrement conduite par la BCE. Les Etats qui suivent l'Allemagne sont aussi des victimes quelque part parce qu'il ne leur reste plus beaucoup de pouvoir. Ce n'est pas pour rien que l'on assiste à l'essor de partis populistes.

Les classes moyennes inférieures ayant peu de capital humain, qui croient en l'éducation, aux diplômes et où la projection vers les enfants est très forte. Or ces enfants, lorsqu'ils terminent l'université et ne trouvent pas de travail, sont victimes de cette situation et sont contraints de rester chez leurs parents. C'est un drame qui réduit la natalité et est en outre très mauvais pour la croissance potentielle dans le futur. C'est très négatif.

Nicolas Goetzmann : La crise n’a pas impacté les catégories socioprofessionnelles de la même façon. Plus le niveau d’éducation est élevé, plus le degré de protection est important. Ainsi, alors que le taux de chômage des ouvriers non qualifiés était de 14,7% avant crise, c’est-à-dire en 2008, il a atteint les 20,6% à la fin 2013. Une progression de près de 6 points. Pour les ouvriers au sens large, la progression atteint 4 points, passant de 7 à 11,2%.  Pour les employés, la hausse est de 3 points, conformément au taux de chômage total, de 7% en 2008 à 10% à la fin 2013. A l’inverse, la situation des cadres ou des professions intermédiaires reste "correcte". Le taux de chômage des cadres est passé de 2,8% à 3,9%, c’est-à-dire un niveau de quasi plein emploi. Pour les professions intermédiaires, la progression est également légèrement supérieure à 1 point, passant de 3,8 à 5,2%. Il existe donc une division fondamentale dans le marché du travail. Ce sont les ouvriers, et principalement les moins qualifiés d’entre eux  qui payent la crise au prix fort. La double peine est de voir ces ouvriers non qualifiés grossirent les rangs des chômeurs de longue durée, rendant leur réinsertion de plus en plus difficile. Et la cerise sur le gâteau est que pour ceux qui restent en poste, les salaires stagnent. Parce qu’avec un taux de chômage de 15% pour les ouvriers, la pression à la baisse sur les salaires est maximale.

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