L’armée française renonce à la paix pour se préparer à de possibles guerres. Mais nos armements sont-ils à la hauteur des menaces ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Défense
Le deuxième régiment de dragons participe à la cérémonie militaire du 14 juillet sur la place de la Concorde à Paris, le 14 juillet 2020.
Le deuxième régiment de dragons participe à la cérémonie militaire du 14 juillet sur la place de la Concorde à Paris, le 14 juillet 2020.
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

Défense

Alors que l'état-major des armées vient d’adopter une nouvelle «vision stratégique» nettement plus offensive par le passé face à la montée des menaces, la question parallèle de la compétition technologique en matière d’armes a de quoi nous inquiéter. 

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Robert Ranquet

Robert Ranquet

Robert Ranquet est ingénieur général de l’armement à la retraite. Spécialiste des questions de défense et d'armement il a été le directeur adjoint de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

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Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Atlantico : Le général Burkhard a présenté en octobre dernier sa «vision stratégique ». Comme le révèle le journal l’Opinion.  Le tryptique « paix-crise-guerre» est abandonné puisqu’il faut « envisager et préparer notre stratégie militaire à la lumière de trois notions : compétition-contestation-affrontement». A quel point ce changement stratégique est-il important ?

Jean-Vincent Brisset : Le problème de cette vision stratégique et qu’elle s’appuie sur ses des hypothèses assez peu claires. La question c’est d’abord, on va où et on fait quoi ? La question des moyens vient après. Il faut d’abord s’interroger sur les conflits plausibles. Le général Burkhard veut être prêt à un combat de haute intensité, mais avec qui ? contre qui ? et où ?

Si les Russes entrent au Dombass, la France enverra-t-elle un corps expéditionnaire ? On peut en douter. Si les Etats-Unis interviennent à Taïwan, les aidera-t-on ? La planification, même générique, doit se baser sur des hypothèses opérationnelles sérieuses. Le changement stratégique est effectivement important dans le discours mais il n’y a rien de concret. Pour comparer nos forces, il faut le faire selon des hypothèses stratégiques concrètes. On est passé d’une absence de discours stratégique à un discours sans base. La cohérence stratégique était plus simple au temps de la guerre froide et elle nous fait défaut, il n’y a plus d’adversaire clair. Les discours oublient les réalités du terrain.

Robert Ranquet : La stratégie est nouvelle mais cela fait plusieurs années que l’on entend qu’il faut se préparer à un conflit de haute intensité, ce qui avait disparu. Pendant longtemps on s’est contenté de faire de la gestion de crise. Déjà le dernier livre blanc marquait ce changement. On essaie de faire bonne figure mais nous avons pas mal de manques.

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Jean-Bernard Pinatel : Quel que soit le désir des français de vivre en paix, force est de constater que nous sommes confrontés à une guerre révolutionnaire mondiale menée par des organisations islamistes (d’obédience wahhabite comme DAECH ou Frères Musulmans comme Al-Qaïda) soutenues par des Etats comme la Turquie d’Erdogan. Le but de ces organisations est, par la prédication et la terreur, d’obtenir la soumission des populations à leur conception radicale de l’Islam pour installer des états islamiques dont la seule source de Loi sera la Charia. J’utilise ce concept de « guerre révolutionnaire » car il est beaucoup plus proche de la réalité de la menace à laquelle nous devons faire face que le concept de « guerre hydride » qui ne prend pas en compte le but politico-religieux de nos ennemis. En effet la guerre révolutionnaire, théorisée par Mao, envisage la prise de pouvoir en 4 étapes : le terrorisme qui cible les forces de l’ordre et vise à terroriser la population par des  attentats sanglants[1], la constitution de petites bases dans divers endroits du territoire où les forces de l’ordre ne peuvent pénétrer qu’en force, le passage dans l’ordre nouveau d’une partie du territoire comme c’était le cas du Nord Mali avant notre intervention et enfin, le soulèvement général et la prise de contrôle de la capitale, ce qu’ont réussi récemment à faire les Talibans à Kaboul.

Cette menace qui n’a pas de front et où les civils sont aussi menacés que les forces de l’ordre maintient un état permanent de non Paix. Et en cela je partage la vision du CEMA.

Mais je voudrais rappeler que le chef d’Etat-Major des armées agit dans un contexte défini par le pouvoir politique et donc sa vision stratégique en dépend.

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Un exemple en a été donné récemment lorsque le chef de l’Etat, le 2 octobre 2020, a désigné la menace au Mureaux « « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c'est le séparatisme islamiste. C'est un projet conscient, théorisé, politico-religieux ». A quoi, dans un récent interview au Figaro l’islamologue Marie-Thérese Urvoy affirme comme moi : « l’islamisme ne vise pas à séparer mais à conquérir. » On voit bien que de cette définition de l’objectif de l’ennemi dépend la stratégie opérationnelle et les moyens à mettre en œuvre pour y faire face.

Bien plus, à partir du moment où le pouvoir politique partage la vision américaine et celle de l’OTAN qui est celle des néoconservateurs américains (c’est-à-dire par une provocation constante de la Russie maintenir un état de tension en Europe de l’Est pour interdire par tous les moyens, dont la désinformation sur la menace Russe, un rapprochement entre l’Europe et la Russie), le CEMA est obligé de demander à l’armée de terre de se préparer à un combat de très haute intensité. Alors que si cette tension avec la Russie, artificiellement maintenue, n’existait pas, il pourrait limiter l’effort de haute intensité à notre aviation et à notre marine pour aider éventuellement la Grèce et Chypre en méditerranée orientale face aux menaces d’Erdogan.

Je remarque simplement que le pouvoir politique, même si un effort modeste de rattrapage a eu lieu depuis trois ans, ne donne pas les moyens au CEMA de se préparer à ce combat de haute intensité contre la Russie, peut-être parce qu’il n’y croit pas ou parce qu’il n’envisage pas d’engager l’armée de terre dans un combat aéroterrestre pour aider l’Ukraine. En effet ce n’est pas 1,7 milliards de plus par an qu’il fallait allouer aux armées depuis 2018 mais 4 milliards de plus par an.

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L’un des objectifs est de pouvoir remporter de possibles guerres. L’inquiétude vient notamment des menaces cyber et des nouvelles armes high-tech dont disposent certains Etats. Avons-nous suffisamment investi dans la compétition technologique en matière d’armement pour espérer pouvoir rivaliser avec les nouvelles armes non conventionnelles et de technologies de pointe que l’on peut observer en Russie mais aussi ailleurs ?

Jean-Bernard Pinatel : Comme je l’ai indiqué ci-dessus, nos armées sont confrontés depuis 30 ans à un problème de moyens. On a un peu de tout, certains même ont parlé « d’armée d’échantillons » pour marquer les esprits par cette métaphore qui heureusement ne correspond pas partout à la réalité. Une montée en puissance est donc possible si les moyens financiers suivent. Nous en avons les capacités scientifiques et industriels nécessaires, que ce soit en matière big data et cyber avec la branche « big data et sécurité » (BDS) d’ATOS ou dans tous les autres domaines technologiques de pointe.

Je voudrais quand même rappeler que la défense des intérêts vitaux de la France est assurée par notre dissuasion nucléaire qui reste le socle de notre défense et qui a toujours bénéficié des moyens budgétaires nécessaires. Le problème réside dans nos forces de présence comme les forces aéronavales pour contrôler notre ZEE qui est, avec celle des Etats-Unis, la plus importante du monde et dans nos forces de projection aéroterrestre dans un combat de haute intensité en Europe.

Enfin il n’y a d’armée que de femmes et d’hommes et je pense que le pouvoir politique comme pour la police ou l’hôpital, a tiré beaucoup trop sur la corde depuis 20 ans. Sans une revalorisation importante de la condition militaire on aura peut-être les matériels mais pas les personnels qualifiés pour les servir.

Robert Ranquet :  Nous avons anticipé les nouvelles formes de conflit sur un plan conceptuel mais au point de vue capacitaire, cela ne suit pas. Avons-nous suffisamment investi ? La réponse est non. L’investissement recherche défense est tombé très bas pendant de longues années. C’étaient les dividendes de la paix. La professionnalisation de l’armée a mobilisé beaucoup de ressources dans les années 1980-1990 au détriment de l’investissement technologique. Il y a ensuite eu la reconstitution des forces et des capacités. La priorité a été donnée aux équipements mais pas à la recherche. Cela fait assez peu de temps que les crédits de recherche et développement ont réaugmenté et encore de manière assez marginale. Globalement cela fait longtemps qu’on investit peu. Résultat : des déficits capacitaires que nous n’avons pas préparés. C’est le cas pour les armes hypersoniques, mais aussi l’alerte avancée, le renseignement satellitaire, ou nous dépendons des Américains. Parmi nos alliés ce sont les seuls à avoir vraiment investi. On affiche une ambition et c’est bien mais lorsque l’on regarde dans nos étagères on se rend compte que l’on n’est pas extraordinairement préparés. La Russie et la Chine font partie de nos adversaires possibles et ils ont, eux, investi. Ceci dit, dans notre environnement proche, nous sommes le seul pays avec le Royaume-Uni à tenir notre rang militaire. Les autres sont des forces de second ou troisième rang. Sans même parler de haute-technologie, nous ne sommes toujours pas autonomes sur le transport stratégique, même avec l’arrivée progressive de l’A400M. Sur les armes hypervéloces nous n’avons rien et même concernant la défense anti-missile classique nous sommes à la traine. En matière de cyber nous commençons à avoir des choses mais il est difficile de savoir quoi exactement car cela est très protégé, et heureusement. Nous n’avons toujours qu’un demi-porte-avions. Et le problème n’investissement ne se règle pas en quelques mois ou années, c’est le travail de 10 ou 20 ans.

Face à la montée des menaces, notre armement est-il en capacité de tenir le choc ? Est-il suffisamment opérationnel et disponible ?  

Jean-Vincent Brisset : La question de la disponibilité du matériel est essentielle. Au Congrès Américain, on réagit dès que le F35 descend sous 60% de disponibilité. Nous sommes sur certains armements à 25%. Nous avons un total de 40 Rafale disponibles. Nos disponibilités sont faibles pour de nombreuses raisons. On achète des hélicoptères mais ils seront livrés en 2030. Il y a des promesses de long terme mais sur le court terme on voit que les promesses de début de mandat ont été largement piétinées. C’est valable pour le parc Rafale, on en aura au moins 20% de moins que prévu en 2022. En vendant des rafales aux étrangers, on soutien la filière industrielle mais on ne fait rien pour nos capacités opérationnelles. Par ailleurs nous n’avons toujours pas d’hélicoptères lourds. Les Transall c’est fini, les A400M arrivent moins vite que prévu. Nous avons des trous capacitaires. On se retrouve avec une ou deux frégates en moins par rapport à ce qui était prévu pour la Marine nationale. Nos véhicules blindés sont fatigués et pas tout à fait remplacés.

Robert Ranquet : Notre flotte navale est de qualité, mais elle est limitée. Sur notre armement nous avons toujours des problèmes de disponibilité. Dans les dernières lois de programmation, on constatait un problème de disponibilité des matériels. La disponibilité demande des efforts industriels importants, des crédits que nous n'avons pas investi. 



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