L’arme de l’image dégradée de Nicolas Sarkozy sera-t-elle aussi efficace que ses opposants veulent le croire ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Nicolas Sarkozy compte encore de nombreux soutiens.
Nicolas Sarkozy compte encore de nombreux soutiens.
©Reuters

Mauvais genre

Selon un sondage Odexa, 71% des sondés ne lui font pas confiance "pour organiser une primaire équitable pour tous les candidats". L'ancien Président souffre de cette image dégradée et les autres candidats, dont les Juppéistes, en profitent pour renforcer leurs campagnes.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Selon un sondage Odoxa, 71 % des sondés pensent que le président des Républicains, Nicolas Sarkozy, ne va pas "organiser une primaire équitable pour tous les candidats". Quelle est l'image renvoyée par Nicolas Sarkozy ? Pourquoi est-il considéré comme un homme prêt à tout pour réussir par une majorité des sondés ?

Jean Petaux : La construction de l’image d’un acteur politique est souvent très irrationnelle et relève d’une combinaison complexe entre des faits avérés, des impressions construites et des sentiments parfois inavoués. La culture politique procède de l’association entre ce que l’on sent, ce que l’on sait et ce que l’on croit savoir. Il en va de même pour ce qui concerne la réputation ou l’image que donnent à voir les politiques. Richard Nixon, dès les années 50, s’est vu affublé d’un surnom qui l’a suivi toute sa vie politique : « Tricky Dicky » (« Richard le tricheur »). Cela ne l’a pas empêché d’être élu 37ème président des Etats-Unis en novembre 1968… même si on se souvient de sa chute assez pitoyable 6 ans plus tard qui était totalement « raccord » avec son diminutif. Jacques Chirac a été moqué pendant toute l’année 2001 par « Les Guigols » avec sa cape de « Super Menteur »… Cela ne l’a pas empêché de triompher au second tour des présidentielles de 2002. Mitterrand était constamment critiqué par Thierry Le Luron pendant toute une partie de son premier mandat, entre 1981 et 1986 au moins : fielleux, méchant, prétentieux, orgueilleux, incompétent au son de « L’important c’est la rose » de Gilbert Bécaud… Faut-il rappeler son score face à Chirac pour sa réélection en mai 1988 ? Autrement dit l’image peut-être détestable (et celle de Nicolas Sarkozy l’est… assurément !) cela ne préjuge en rien du sort électoral à venir.

Nicolas Sarkozy renvoie un image très négative, il donne à penser à près des trois-quarts des personnes interrogées qu’il va tricher en sa faveur lors des primaires, il semble sans foi ni loi… Tout cela n’est pas né d’une mauvaise impression récente et momentanée. Nicolas Sarkozy a toujours cherché à cliver en mettant tout en œuvre pour faire adhérer sans réserve ou pour repousser sans l’ombre d’un doute. Pour parvenir à cela (« qui n’est pas pour moi est contre moi » ; « les tièdes n’ont pas leur place auprès de moi ») il faut nécessairement être dans l’outrance, dans l’exagération des traits, dans la caricature. Nicolas Sarkozy est conforme à ce profil. Tout chez lui est forcé, sur-joué. C’est ce qui fait qu’il impressionne les uns et fait peur aux autres. Lorsque vous accumulez les plaintes contre vous et les convocations chez les juges (que celles-ci soient ou non suivies de mises en examen… en l’occurrence elles sont la plupart du temps sans effet et sans suite…) vous apparaissez immanquablement comme quelqu’un qui est « border line », toujours au bord de la sortie de route légale. Même si, pour l’heure, rien n’est attesté ou avéré, votre image s’en ressent. Surtout quand vous dites ce que vous faites et faites ce que vous dites, depuis longtemps. Surtout quand vous dites : « Oui je veux redevenir président de la République, je veux revenir à l’Elysée, je veux me venger ! ». En d’autres termes vous apparaissez comme quelqu’un qui ne supportera aucun obstacle sur le chemin de son retour au sommet de l’Etat. Fatalement cela donne le sentiment à l’immense majorité des Français que vous êtes prêt à tout pour parvenir à vos fins. Que vous allez faire vôtre jusqu’au-delà du raisonnable, la célèbre maxime chère à un autre Nicolas, Machiavel celui-là, : « La fin justifie les moyens »…

Comment les Juppéistes utilisent cette image négative pour le disqualifier encore plus ?(Nicolas Sarkozy avait notamment été chahuté après son idée de réduire le nombre de bureaux de vote prévus pour la primaire : de 10 000 à 8 000) Cette image négative est-elle une aubaine pour les Juppéistes ? Quels autres adversaires profitent également de cette image ?

Les concurrents (terme qu’il est plus juste d’utiliser que celui d’adversaires) en interne de Nicolas Sarkozy ne sont pas les derniers à véhiculer les traits comportementaux du patron du parti « Les Républicains », ils sont tout au contraire les premiers à en faire profiter l’ensemble des Français. Et, bien évidemment, par contraste avec le comportement et l’attitude de leur propre champion ils mettent en avant les défauts de Sarkozy : agité, brutal, colérique, paranoïaque, manipulateur, cassant, etc. Ils ont tout intérêt, dans la période actuelle, à pointer sans mansuétude aucune tous les « coups en vache » que Nicolas Sarkozy va multiplier d’ici aux primaires. Non seulement les « coups en vache » mais aussi les « coups tordus ». Car s’ils veulent « renverser la table », faire « Exit » comme dirait le grand économiste américain Albert Hirschman dont les travaux remarquables furent tout autant lus en sociologie qu’en science politique, il faut qu’ils fassent « Voice » dès aujourd’hui. Il faut donc que les Juppéistes dénoncent maintenant les turpitudes de Nicolas Sarkozy s’ils veulent être en mesure de se sortir du guêpier que seraient des primaires verrouillées et cadenassées par Sarkozy et les siens.

Dans cette perspective, la dégradation de l’image de Nicolas Sarkozy (ou à tout le moins son maintien à un niveau très négatif..) est « pain-bénit » pour les Juppéistes. Ils peuvent toujours dire : « On a pensé que la compétition serait honnête, on a pensé que Nicolas Sarkozy, pour une fois, n’allait pas piper le jeu… mais, vous autres Français, vous aviez raison lorsqu’à 71% vous pensiez qu’il n’organiserait pas des primaires équitables… Force est de constater qu’il veut excessivement peser sur le sort de la consultation… En conséquence de quoi, nous Juppéistes, à regrets certes mais sans faiblir, nous nous retirons du jeu des primaires et reprenons notre liberté… ». Cette position radicale qui consiste à sortir du terrain de jeu ne peut être admise et comprise par les sympathisants de droite que si elle apparaît légitime, justifiée et en dernier ressort. Sinon elle ressemble trop à un « refus de combattre », à une sorte de « forfait ». Dans cette perspective, un Sarkozy encore durement assimilé au « côté sombre de la force » est un atout central dans le jeu d’un Juppé. Mais aussi d’un Fillon, d’un Le Maire ou d’une NKM. 

Quel impact réel cela peut-il avoir sur le vote des Primaires et sur la suite de la vie politique de Nicolas Sarkozy ? Est-il réellement prisonnier de son image ?

Encore une fois l’image de Nicolas Sarkozy est tout autant mauvaise que clivante. Ce n’est pas du tout la même chose. Elle est majoritairement (et, semble-t-il, durablement) négative. Mais ce qui compte le plus c’est qu’elle est clivante. En d’autres termes elle crée aussi de l’adhésion et du soutien. Chez tous ceux qui croient en lui d’abord, qui rêvent de son retour, qui ont vibré lors de sa campagne triomphale de 2007 après avoir cru en lui lorsqu’il était ministre de l’Intérieur par exemple. Pour tous ceux-là l’image dégradée de Nicolas Sarkozy ne signifie rien et n’a absolument aucune espèce d’importance. Ce qui compte ici c’est qu’il puisse se rétablir, qu’il soit de nouveau fort et triomphateur. J’aurais tendance à dire qu’un Sarkozy brutal et dur aura pour effet de faire le plein lors de la primaire, à l’automne 2016. Il mobilisera les éléments les plus déterminés et mobilisés de la droite, dans le premier cercle des sympathisants au-delà des adhérents. Mais, passé premier groupe, ce côté « bad boy », « petit chef de guerre » ou encore « comte de Montecristo sur le retour », s’il amusera et séduira le cercle étroit des adhérents et des convaincus, il effarouchera une fois encore les modérés du MODEM et les raisonnables de l’UDI…. Sans parler des soutiens d’Alain Juppé ou de François Fillon qui ne supporteront plus les coups de menton de celui qu’ils appellent, sans rire, « Not’ maitre 55… ».

Plus largement, je pense que Nicolas Sarkozy est effectivement plutôt prisonnier de son image mais qu’il n’en ait ni mécontent ni désappointé. Il s’est forgé, depuis très longtemps, un profil de « dur », de « costaud », « d’intransigeant » mais aussi de « gros bosseur ». Souvenons-nous de ces propos sur Chirac (le « Roi fainéant »). Ce n’est pas maintenant qu’il va changer alors qu’il traite Alain Juppé de « c… molles » et François Fillon « d’eunuque ». On remarquera au passage que les critiques portées par Sarkozy sont essentiellement centrées sur les appareils masculins de la virilité. Manque juste la longueur du « kiki » et nous serions bel et bien dans la cour de récréation du CE2 à l’école primaire Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine.

Que peut-il faire pour changer son image ? Quels sont ses actes concrets pour le bon déroulement de la Primaire dont personne ne parle à cause de cette image négative ?

Je crois qu’il ne va rien faire et qu’il a intérêt à ne rien faire, sous peine de « brouiller l’écoute » du noyau dur de son électorat qui l’attend et l’espère justement dans ce rôle de « bulldozer » capable d’ouvrir des routes et des chemins impossibles. Quant aux actes concrets qu’il ferait pour le bon déroulement des primaires il est bien compliqué de les mentionner dans la mesure où, fort intelligemment et à sa manière, c’est-à-dire en vrai « pro » de la politique qu’il pratique, définitivement débarrassée des catégories de la morale, il ne pratique le baiser que si c’est celui de la mort ; il ne fait un geste en faveur de ses rivaux que s’il est en mesure de leur placer une mine sous les pieds dans l’heure qui suit ; il n’ouvre que s’il peut immédiatement refermer. A cet égard, l’invention des « délégués départementaux » est une illustration parfaite de cette pratique de verrouillage. Ouverture, démocratie, gages donnés à la base et aux territoires : l’élection des présidents départementaux par les adhérents eux-mêmes… Foin de la main-mise du « national », « vive la démocratie directe », « que s’expriment cent bouches et que fleurissent cent fleurs » (Mao dans le texte…). Et immédiatement après : création des délégués départementaux, nommés par le président du Parti, investis de tous les pouvoirs opérationnels et fonctionnels. Des « préfets », autrement dit des « Napoléon aux petits pieds »… Ou encore des « Sarkozy aux bras longs »…

Ce n’est pas au moment où, patiemment, Louis XI – Sarkozy tisse sa toile d’araignée pour enfermer ses concurrents qu’il va se mettre, telle Pénélope, à détricoter son ouvrage. D’autant que le retour d’Ulysse, Sarkozy n’en a que faire. Au contraire même : si Ulysse prend les traits de Juppé, autant le renvoyer à Troie (ou à Bordeaux).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !