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L’annulation de la dette africaine, c’est bien pour l’Afrique, mais c’est un coup bas pour les Chinois qui vont payer l’addition
©Mohamed ABDIWAHAB / AFP

Économie

La Chine étant la 1ère créancière du continent africain, si la coalition des pays occidentaux décide d’annuler sa dette, la Chine sera une des premières victimes puisqu’elle ne recouvrera pas ses créances. C’est quasiment un acte de guerre contre les Chinois.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La Chine paiera pour cette crise sanitaire.  C’est un peu ce qu’on se disait dans les coulisses du dernier G20. Et l’intention des pays occidentaux d’alléger les Africains du fardeau de la dette qu’ils ont contractée est sans doute une des décisions les plus intelligentes, parce qu’elle va dans le sens d’embarrasser les Chinois.

Ça rendra service aux Africains bien sûr, mais surtout, ça va pénaliser les Chinois qui ont prêté beaucoup d’argent aux Africains, en échange de parts de marchés et surtout avec la conviction que leurs prêts seraient garantis par les Occidentaux, qui réassurent en permanence les Africains. Si les Occidentaux se retirent du jeu, les Chinois vont se retrouver en porte-à-faux et obligés de payer l’addition s’ils veulent rester sur un terrain qui s’avère quand même très fertile pour eux. 

L’explication s’inscrit dans les subtilités de la géopolitique post coloniale en Afrique. 

Dans le contexte international très tendu, la décision des Occidentaux ne peut être sans arrière-pensée. Si la Chine est considérée par les dirigeants internationaux, américains, anglais et français pour commencer, comme de plus en plus responsable de la crise sanitaire et économique, on a bien compris qu’en annulant les dettes africaines, l'intention d’aider l'Afrique est évidente certes, mais l’idée de faire payer la Chine est aussi claire. 

C’est Emmanuel Macron, le président de la République, qui l’avait subrepticement glissé dans son allocution de la semaine dernière : « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d'Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette ». 

Les Français se sont un peu étonnés de cette sortie mais ils ont fait assez peu de commentaires puisque la seule chose qu‘ils attendaient était de savoir à quelle date ils seraient déconfinés. Les chancelleries, elles, ont bien compris le message.

Le sujet s’est d’ailleurs retrouvé inscrit à l’ordre du jour d’un G20 qui, par visioconférence la semaine dernière, a décidé de commencer par un moratoire de 12 mois sur le remboursement de la dette. 

En clair, les pays d’Afrique n’ont plus à rembourser leur dette pendant un an. Et ce n’est qu’un premier pas. Cette décision d’un gel des paiements a été prise par le G20, c’est à dire le groupe des pays les plus puissants du monde dont la Chine fait partie. Mais la Chine n’a fait aucun commentaire public. Et pour cause, elle se retrouve piégée. Ou bien elle suit la recommandation du G20, elle perd de l’argent, elle trahit ses nouveaux clients africains et perd des positions commerciales. Ou bien elle ne respecte pas la décision du G20 et du coup ses opérations risquent de perdre une partie de leur crédibilité, donc là encore elle perd de l’argent 

Cette décision des Occidentaux est importante. Dans le modèle économique des pays d’Afrique, l’endettement dépasse souvent allègrement les 100% de PIB pour un niveau de pauvreté très élevé.  La dette de l’Afrique a plus que doublé en moins de 10 ans. Du coup, les taux d’intérêt ont beau être très bas, les remboursements étranglent les moyens d’investissement des pays. Les charges financières représentent près d’un tiers, en valeur de ce qui est produit et exporté chaque année. 

Avec le virus, les recettes extérieures ont complètement fondu, les budgets de fonctionnement sont exsangues. Impossible, dans les pays Africains, de booster un système de santé qui est déjà très déficient. Impossible d’équilibrer le fonctionnement. Impossible de conserver des marges structurelles pour les investissements. 

Cette décision a donc trois effets. 

Un, elle allège le fardeau qui pèse sur les Africains. 

Deux, elle supprime une source de corruption des gouvernances qui a quand même tendance à détourner l’argent de la dette. 

Et troisième effet, on paralyse une partie du système international qui gère cette dette. Les créanciers sont évidemment les premiers touchés par ce type de décision, mais ce qu’il faut savoir, c‘est que les Occidentaux (la France notamment) ne sont plus les plus gros apporteurs de capitaux. 

C’est la Chine qui détient plus d’un tiers de la dette africaine. Avec ses capitaux, la Chine a capté les marchés en offrant des conditions très avantageuses, taux d’intérêt à zéro mais en contrepartie de garanties sur les matières premières, les infrastructures, sur la présence d’entreprises chinoises. Cela étant tout le monde se tient, parce que si le modèle africain tient la route, c’est aussi grâce aux garanties apportées par les Occidentaux qui viennent sécuriser les trésoreries. 

Si les Occidentaux se retirent, le modèle se casse et les Chinois sont piégés. 

L’Afrique va donc rester un terrain de bataille pour les pays développés. La crise sanitaire va accroitre les besoins d’aide.  La Chine a pour l’instant été très active en fournissant du matériel médical, dont des respirateurs. Mais les Etats africains vont avoir besoin d’un financement pour leurs plans de relance. Les 15 milliards d’euros promis par l’Union européenne représentent une misère par rapport aux 2 000 milliards d’euros que l’Union européenne va mobiliser pour échapper à la catastrophe. 

L’Afrique pourrait bien ne pas avoir d’autre choix que de se tourner une fois encore vers la Chine, la Chine elle, n’ayant pas d’autres choix que d’essayer de payer pour sauver ses participations. Sauf que cette fois-ci, la demande va être gigantesque si elle veut sauver ses premières créances. 

Ça rappelle un vieil adage dont on ne sait plus s’il est juif ou lombard. « Si tu empruntes un peu d’argent, le banquier te tient et t’empoisonne la vie. Si tu lui empruntes beaucoup, c’est toi qui le tient et qui l’empêche de dormir ».

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