L’anglais plutôt que le latin et le grec, l’erreur dont nous nous mordrons les doigts<!-- --> | Atlantico.fr
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Une classe du collège de Titéniac, près de Rennes
Une classe du collège de Titéniac, près de Rennes
©D.MEYER / AFP

Emprise de la langue de Shakespeare

L’enseignement du latin dans les collèges et lycées reste limité et l’offre inégale.

Michaël Parent

Michaël Parent

Michaël Parent est enseignant. Il donne des cours de français et de philosophie. 

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Mes poils se hérissent lorsque j'entends un enseignant expliquer que l'apprentissage de l'anglais est primordial, qu'il vaut mieux abandonner les vieilles lunes latines, grecques qui feraient de nous des morts-vivants de la langue, des zombies réacs animés par la lubie mortifère et peu sérieuse de l'âge d'or. Comme si d'un coup, à la faveur d'une racine étymo nous humains, allions tout à coup nous mettre à nous empoter stricto sensu tels des légumes, c'est ce qu'on peut lire souvent " les humains n'ont pas de racines mais des pieds" oui bien sûr, mais la religion est à la civilisation ce que l'étymologie est à la langue, un sacré sous-jacent qui verdoie nos rapports humains plus qu'il ne les tarit. Ainsi donc, penser qu'une langue n'est qu'un instrument de communication est le chemin le plus direct vers un mauvais anglais, même pas un anglais littéraire de Fitzgerald mais un globish, un instrument mercantile de chosification, une volonté d'obsolescence programmée de l'homme. Pour sûr que les langues mortes vivifient nos interactions sans lesquelles nous arpentons la vie en nous hélant comme dans un fleuve sans limon ou un océan sans plancton, morts sans que nous n'en ayons aucune idée.

Je remarque d’ailleurs toujours plus, la volonté insidieuse et irréfléchie ( ils ne s’en rendent même pas compte la plupart du temps, comme si le processus d’aliénation généralisé datait de plusieurs décennies) chez mes élèves, chez les élèves de solliciter le professeur de français ou de philosophie pour livrer d’un coup de baguette magique le plan salvateur de la dissertation, sorte de Panacée chimérique, qui fera automatiquement selon leurs desiderata l’économie d’une glaise, d’un matériau culturel indispensable sans lesquels ils sont pourtant démunis, nus comme Adam et Eve avant de goûter au fruit de l’arbre de la connaissance. On a trop souvent répété mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine pour la dévoyer, au point qu’on se retrouve avec des têtes bien vides et quoique bien faites en puissance, elles demeurent embryonnaires ; on sait depuis les Grecs que l’intelligence ne peut faire l’économie de la culture, donc du langage : « le logos ». Le cas de ce petit d’homme miraculé ayant survécu dans la jungle sans parler, appuie cette assertion puisque ses capacités cognitives furent définitivement perdues.

A croire que les chiffres ont remplacé les mots et accentuent nos maux, les maux de nos enfants toujours plus déracinés jour après jour. On retrouve les mêmes dérives managériales qu’avec l’anglais et le plan de dissertation pour les cours d’histoire, des tableaux abscons et algorithmiques ont remplacé la frise chronologique et le narratif épique de l’enseignement, quoique les pauvres enseignants exécutent les ordres de la hiérarchie sans moufter et ont subi eux aussi de plein fouet la dégradation inouïe du savoir et de l’art de savoir faire savoir. Cette histoire de tableau est une manière, pardon pour l’expression un peu galvaudée, de nous ranger dans des cases, de nous estampiller « produits », de l’injonction une fois jeté sur le marché du travail de nous « vendre » comme on dit, sans que nous décidions outre mesure du sort qui nous est réservé, qui plus est de notre destin commun à nous français. Parce qu’on a abruti l’âme humaine dans des tableaux Excel et Power Point, des logiciels qui sucent la matière grise de nos circonvolutions neuronales, plus aucun fil d’Ariane ne reste à disposition afin de trouver notre chemin et nous extirper du dédale névrotique et nihiliste dans lequel nous avons été fait prisonniers.

Il est urgent de retrouver ce second souffle cher aux marathoniens, à moins que ce ne fusse plus originellement un pneuma stoïcien ou encore insuffler la vie comme précisé dans les récits bibliques, retrouver une atmosphère assainit de toute grille numérisée, comme si notre existence n’était possible qu’à la faveur de caractères dystopiques imaginée dans le prodigieux roman « les monades urbaines » de Robert Silverberg. Cette apnée du sommeil éveillé pour laquelle nous n’avons pas la moindre conscience, ne cessera que par la mise au banc d’une novlangue déjà décrite par Orwell qui avait préfiguré l’avènement du nazisme moyennant manipulation sémantique dans les médias de masse, reste qu’aujourd’hui, les tenants du mensonge et du Verbe falsifié sont dans les mains d’élites et de médias d’une sociale démocratie nourrie par les déconstructionnistes obnibulés par l’individu-roi, par la monade insulaire intolérante à la frustration dérivant dans l’éther tel un fœtus astral aspiré dans le néant insondable.

Nous n’avons pas la moindre envie me semble-t-il, quelle que soient nos opinions, de nous sentir d’insignifiants « mollusques anthropomorphes » pour reprendre l’expression chère à Balzac, prostrés sur un caillou flottant dans l’espace.

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