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L’alliance des anti-libéraux ou les impasses politiques et idéologiques de la nouvelle ligne Buisson
©Reuters

Sorti du bois

L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, invité de David Pujadas sur LCI mercredi 12 juin, a affirmé que "le vrai clivage est aujourd'hui entre libéraux et anti-libéraux".

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Un vieux coach ruminant sa gloire passée

Nous connaissons tous le phénomène du boxeur qui fait le combat de trop, du chanteur qui donne le concert où sa voix se casse. Il y a aussi l’entraîneur qui a fait son temps mais ne s’en rend pas compte. Il fut célèbre dans le sillage d’un de ses poulains devenu champion. Puis son champion a perdu. D’autres sont venus pour entraîner de nouveaux champions, les ont fait gagner et le vieux coach n’en finit pas de ruminer son dépit, d’accuser celui qu’il a été incapable de faire gagner une nouvelle fois. Il cherche en vain à se faire embaucher auprès des talents d’avenir. Il accapare tel ou tel qui n’a aucune chance de s’imposer mais à qui il sussurre qu’il est le nouvel élu, qu’il sait comment le faire porter au pinacle! 

Telle est la comparaison qui s’imposait en regardant, avant-hier, Patrick Buisson répondre aux questions de David Pujadas. Je ne voudrais pas être prévenu contre celui qui fit naguère gagner Nicolas Sarkozy. Cependant, depuis 2012, l’écrivain sondagier n’en finit pas de ressasser son chagrin. Je sais que beaucoup ont goûté son ouvrage intitulé La cause du peuple. Au-delà de quelques pages bien écrites, d’anecdotes croustillantes et du plaisir que l’on a à lire le livre d’un homme cultivé, j’avais été frappé de la rancoeur qui traversait le livre. Depuis les équipes où l’on travaillait à la réforme de l’enseignement supérieur, j’ai assisté de l’intérieur au quinquennat de Nicolas Sarkozy, à une place modeste mais d’où j’avais une large vue sur ce qui se passait; et je connais donc une bonne partie des événements ou des situations dont parle Patrick Buisson dans son texte. Je n’ai pas vu les mêmes choses que lui. Je comprends que, lorsqu’on a contribué comme lui à la magnifique victoire politique de 2007, on soit malheureux, dépité, de voir comment la réélection a été perdue - et à si peu. Mais nous connaissons tous ces conseillers du Prince qui finissent par se prendre pour le Prince et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas eu gain de cause sur tous les conseils qu’ils ont donnés. Plus récemment, Steve Bannon, qui a joué, pour faire élire Donald Trump, un rôle un peu similaire à celui de Buisson auprès de Nicolas Sarkozy, a été atteint d’un syndrome similaire - dans son cas, cela s’est même passé au milieu du mandat du président américain. Bannon ne supportait plus de ne pas être le seul à influencer le président américain. Il a quitté la Maison Blanche. 

L’adresse de la droite n’est pas « Impasse Buisson »

Quand on a tout ce passé récent en tête, la prestation de Patrick Buisson face à David Pujadas avait quelque chose de pathétique. Comment ne pas être étonné d’entendre celui qui fut l’un des brillants concepteurs de la conquête de l’électorat de droite par Nicolas Sarkozy, au-delà du clivage entre UMP et Front National, renier son héritage, expliquer que l’union des droites était une idée dépassée et nous ramener aux vieilles lunes de la convergence des antilibéraux de droite et de gauche? Jusqu’où le ressentiment peut-il mener une belle intelligence? Comment peut-on ainsi la faire tourner à vide? Patrick Buisson a trop de mémoire pour ne pas se souvenir que tel fut le dessein de Jean-Pierre Chevènement, qui finit à 5% des voix au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Il a trop de perspicacité pour ne pas avoir observé comment Florian Philippot, qui s’est toujours réclamé d’une filiation un peu douteuse avec le chevènementisme, n’en a pas moins emmené Marine Le Pen dans une impasse depuis 2012. Alors que l’UMP était sonnée par la défaite de Nicolas Sarkozy et qu’un boulevard s’ouvrait pour le Front National, celui du rassemblement des droites autour d’un programme conservateur, alliant la préservation et la transmission de l’héritage français à l’esprit d’entreprise, Marine Le Pen s’est laissée entraîner dans une stratégie qui lui permet certes de s’affirmer comme la tête du plus grand parti d’opposition mais sans aucune chance de gagner. Les 21% du premier tour de la présidentielle de 2017(avec un Fillon malmené, à seulement 20%) et, a fortiori, les 24% des élections européennes après la crise des Gilets Jaunes et avec un parti LR tombé à 8,5%, montrent bien l’impasse dans laquelle se trouve le Rassemblement National. 

Comment construire une machine à perdre

C’est pourquoi la prestation de Patrick Buisson sur LCI ce 12 juin n’était pas seulement pathétique. Elle était franchement nuisible pour la droite. L’homme a gardé suffisamment de brio pour impressionner un public qui ne se rendra pas compte que ce que propose le sondagier est une feuille de route imparable pour permettre la réélection d’Emmanuel Macron. Je ne doute pas de la sincérité de Patrick Buisson. Mais ce qu’il a commencé à fabriquer, c’est une machine à perdre, à détourner les énergies vers de fausses pistes. Plus profondément, Buisson fait du mal à la droite parce qu’il la flatte là où elle est vulnérable: dans la tendance récurrente à considérer soit que l’économie n’a aucune importance, soit que ce n’est pas là-dessus que l’on gagne une élection. En fait, ça, c’était Buisson 2007. Le cru Buisson 2019 est encore plus âpre, il écorche le palais: il consiste à dire que l’économie de marché est de toute façon nuisible et qu’il faut rassembler tous ceux qui la détestent. En fait, là où Emmanuel Macron nous fait le coup: vous êtes pour l’économie de marché donc vous devez être, aussi, pour la marchandisation complète de la société - y compris en allant jusqu’à la GPA, un jour; Buisson lui répond qu’il rejette toute pensée et action politique au service de la liberté. 

Avec une désinvolture coupable, il rejette la droite libérale vers la gauche, la condamne à s’allier à Emmanuel Macron. Il oublie complètement que Charles de Gaulle, Georges Pompidou et - il devrait s’en souvenir - Nicolas Sarkozy, ont su être les rassembleurs de la droite précisément parce qu’ils ont su à un moment unir toutes les droites, y compris les libéraux-conservateurs. Patrick Buisson, qui connaît l’histoire de France, devrait avoir remarquer depuis lontemps que le rapport droite-gauche est constant, depuis le XIXè siècle: la droite est majoritaire dans un rapport 60/40. Nicolas Sarkozy, en 2007, avec 53,5%, De Gaulle, en 1965, avec 55%, se sont rapprochés du plein des voix.  Georges Pompidou, en 1969, avec 58% des suffrages exprimés, l’a quasiment réalisé. Or ils ne l’auraient jamais pu s’ils avaient détesté l’économie de marché. 

L’économie de marché est certainement un système plein de défauts mais nous n’en connaissons pas de meilleur

On peut faire toutes les pirouettes intellectuelles que l’on veut, on en arrivera, si l’on respecte la réalité historique, à dire en paraphrasant la fameuse formule de Churchill sur la démocratie: l’économie de marché est certes un système plein de défauts mais on n’en connaît pas à ce jour de meilleur. Et Patrick Buisson devrait se rappeler combien de malheurs le monde a traversé lorsqu’il s’est laissé séduire par ceux qu’il appelle « les antilibéraux ». Le XXè siècle est plein des cadavres de ceux, fascistes, communistes ou progressistes, qui ont pensé qu’ils étaient capables d’inventer un meilleur système économique que le capitalisme - au lieu de chercher à délimiter le domaine de l’économie de marché. En France, les choses ont rarement été aussi dramatiques mais réactionnaires et gauchistes ont souvent été d’accord pour désorganiser le pays, l’empêcher de tenir son rang, d’être à la pointe de l’innovation. Et c’est bien cela que nous propose Buisson, l’alliance des réactionnaires et des gauchistes. Mais qui sera dupe de quelques formules à l’emporte-pièce? 

Le seul résultat de la méthode Buisson - si elle était prise au sérieux - serait de conforter Emmanuel Macron, de lui garantir à coup sûr la réélection en 2022. C’est d’autant plus absurde que la crise des Gilets jaunes a montré de manière éclatante qu’il y avait un réservoir de voix extraordinaire pour un candidat de droite qui entendrait le gémissement des catégories populaires accablées d’impôts. Patrick Buisson ne s’est jamais intéressé à l’économie; il la méprise, en bon réactionnaire qu’il est. Il croit qu’Emmanuel Macron est libéral ! Alors que l’actuel président de la République a réussi cet exploit de faire passer le Code du Travail de 3600 à 3900 pages ! Alors que le locataire de l’Elysée, quand il achèvera son mandat en 2022, aura rapproché notre pays de prélèvements obligatoires représentant 60% du PIB! Visiblement, Patrick Buisson ne comprend pas ce que voulait dire le Général de Gaulle, déclarant: dès que l’intervention de l’Etat dans l’économie est supérieure à 30% du PIB, on bascule dans un régime socialiste. Apparemment, le sondagier ne comprend pas que c’est largement la dépense publique incontrôlée qui a permis toutes les destructions de l’héritage français et de l’identité nationale, destruction qu’il dénonce par ailleurs. Croit-on que l’immigration illégale, le laxisme dans l’Education Nationale, la très inutile Politique de la Ville et bien d’autres dérives remontant à plusieurs décennies auraient été possibles sans que l’Etat vive au-dessus de ses moyens, pour acheter complicités et lâchetés au service de l’idéologie progressiste et de son oeuvre de déconstruction patiente du pays? J’imagine que Patrick Buisson a eu, comme tant de Français, le coeur serré à voir Notre-Dame de Paris brûler; mais ne s’est-il pas rappelé à cette occasion toutes les gabegies financées par le Ministère de la Culture au lieu de se consacrer à l’entretien de notre patrimoine? 

Faire fructifier le capital français: spirituel, culturel, social, intellectuel, industriel, financier

Ce dont nous parlons n’est pas seulement une question de tactique électorale ! Il s’agit de savoir si la droite a l’intention, non seulement, de revenir au pouvoir mais, surtout, de rendre au pays sa marge de manoeuvre. « L’Homme ne vit pas seulement de pain » mais il vit aussi de pain ! Aucune nouvelle majorité ne réussira si elle n’est pas capable de ramener la croissance et l’emploi. Aucun gouvernement ne pourra peser sur les affaires internationales s’il ne réussit pas à maîtriser la dette, à rendre, comme le Général en 1958, sa marge de manoeuvre budgétaire et financière au pays. Et pour cela, il n’y a pas cinquante manières de procéder. Ce ne sont pas les mesures d’austérité budgétaire au nom des critères de Maastricht qui nous y aideront ! C’est la libération de la puissance entrepreneuriale française et la protection du secteur privé contre tous les empiètements de la puissance publique. Il est curieux que Buisson ne voit pas ce qui fait la force de Donald Trump: avoir imposé que pour toute nouvelle réglementation, on en supprime deux existantes ! Contrairement à l’image qu’il veut se donner, Emmanuel Macron a une culture économique datée et limitée. Il parle à tout bout de champ de la « start-up nation » mais en oubliant que cette expression, forgée à propos d’Israël, renvoie à ce qui est exactement l’anti-modèle de la France version « En marche ». Israël, comme les Etats-Unis de Trump ou - espérons-le - la Grande-Bretagne gouvernée demain par Boris Johnson, proposent au monde le modèle de la fierté d’un héritage collectif, que l’on entend non seulement transmettre intact mais même faire fructifier, d’une part, et, d’autre part, d’un esprit d’entreprise conquérant, profitant de la vague de la révolution de l’information, de la biotechnologie, de l’intelligence artificielle. 

Aujourd’hui, face au transhumanisme l’humanisme est devenu un conservatisme. Pourquoi la droite s’en priverait-elle? 

Qui ne voit pas non plus que le monde de l’intelligence artificielle, de l’exploration du génome et des nanotechnologies recèle le pire comme le meilleur? Le plus sûr moyen de se retrouver demain dans le cauchemar transhumaniste, du « meilleur des mondes », c’est de laisser le progressisme au pouvoir face aux GAFA et à leurs homologues chinois, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi)? Aujourd’hui, face au transhumanisme, l’humanisme est devenu un conservatisme - au meilleur sens du mot ! Il s’agit de préserver tout ce qui fait la dignité humaine, aussi bien contre le transhumanisme que contre tous les délires spécistes et les dérives d’une écologie qui ne se mettrait pas au service de l’humanité mais serait fascinée, comme tous les totalitarismes avant elle, par l’éradication d’homo sapiens sapiens ! Ceci veut dire que la droite d’aujourd’hui et de demain a besoin du courant humaniste en son sein, n’en déplaise à Patrick Buisson. 

Le rapport droite/gauche, depuis 1789 est 60/40. Pourquoi la gauche gagne-t-elle aussi souvent? 

Oublions vite les vaticinations d’un conseiller aulique vieillissant et fatigué, dont les formules à l’emporte-pièce ne font que camoufler la rancoeur aigrie et, ce qui va avec, l’envie d’empêcher que d’autres puissent réaliser ce qu’il n’a qu’imparfaitement atteint, entre 2007 et 2012, l’objectif du rassemblement de toutes les droites. Ecouter Patrick Buisson est le meilleur moyen de conforter Emmanuel Macron et les progressistes au pouvoir, donc d’entretenir les divisions et le déclin de la France. Pour redresser le pays, nous avons besoin de faire travailler ensemble toutes les familles qui composent la droite: nous avons besoin des libéraux et des conservateurs, des gaullistes et des populistes, des souverainistes et des européens. 

Répétons-le: la droite pèse potentiellement 60% dans le pays. Mais, depuis 1789, c’est le plus souvent la gauche qui a réussi à s’imposer, à cause de tous ces individus, qu’ils fussent légitimistes, bonapartistes ou orléanistes, qui ont réussi à persuader, à chaque génération, leur propre famille politique que l’ennemi était....à droite ! Que les autres droites n’étaient pas des droites. C’est ce numéro usé mais si efficace pour faire gagner les progressistes que Patrick Buisson nous a resservi face à David Pujadas. Ignorons-le si nous voulons que le scénario de 2022 ne soit pas écrit d’avance. 

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