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L’Allemagne, puissance fantôme : mais pourquoi avoir reconstruit un palais vide au cœur de Berlin quand on n’a  plus d’empereur
©Odd ANDERSEN / AFP / POOL

Le syndrome du château

L'élection prévisible d’Armin Laschet à la tête de la CDU présage d'une continuité avec l’ère Merkel, ce qui devrait mettre les Français en alerte.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Ainsi le verdict est-il tombé. Il était prévisible, même si le résultat est plus serré que prévu: Armin Laschet, ministre-président de Rhénanie du Nord/ Westphalie, est élu à la tête de la CDU, le parti démocrate-chrétien allemand, au deuxième tour, avec 521 voix contre 466 à Friedrich Merz. Au premier tour, Friedrich Merz était arrivé légèrement en tête mais les électeurs du  troisième larron, Norbert Röttgen, qui avait obtenu 224 voix, se sont, pour une majorité d’entre eux, reportés sur Laschet.

Même s’il n’est pas encore complètement assuré d’être le candidat de la CDU et de la CSU bavaroise à la chancellerie - en effet, le ministre-président bavarois, Markus Söder, voudrait bien prendre la tête de la coalition - on a entendu plusieurs politiques français, hier, se réjouir d’un renforcement à venir de la coopération franco-allemande. Qu’il y ait continuité avec l’ère Merkel, c’est probable; mais cela devrait justement mettre les Français en alerte: le profil très « Biedermeier » (bourgeois de province) de Laschet nous promet une accentuation du contraste entre des gouvernements français désireux de réaliser - enfin - « l’Europe-puissance » et le désir profond de la classe politique allemande de gouverner une Allemagne sans histoire(s), de construire une Union Européenne qui soit un simple régulateur de la libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises.

N’allez pas attendre des merveilles d’un homme qui est d’abord un notable de province mal à l’aise quand la perspective s’élargit. Il y a une quinzaine d’années, un mécène de sa ville natale, Aix-La-Chapelle, lui avait présenté l’oeuvre d’un sculpteur russe en pleine ascension de notoriété, pour que soit construite, dans la ville de Charlemagne, une fontaine de l’Europe. Laschet avait reçu un modèle. Pendant des mois, il ne donna aucune nouvelle. Lorsque le mécène, constatant le manque d’intérêt de l’homme politique pour le projet présenté, demanda le retour de la maquette, il constata qu’elle avait été en partie endommagée et rafistolée. Elle était renvoyée sans un mot d’excuses ni une proposition de dédommagement. Avis aux politiques français.  Au-delà de cette anecdote, plusieurs conclusions s’imposent à la suite du vote d’hier.

Leçons d’un vote

1. La seconde défaite de Friedrich Merz.
C’est la deuxième fois que Friedrich Merz, héritier de la CDU de Helmut Kohl, perd contre un candidat « merkelien ». Il y a deux ans, c’était contre Annegret Kramp-Karrenbauer. Même si cette dernière a échoué comme présidente du parti, elle rassurait, au départ, exactement comme Laschet, alors que Friedrich Merz, ambitieux pour l’Allemagne, intransigeant sur les principes fondateurs de Maastricht (pas de mutualisation des dettes en Europe) reste convaincu que l’Union Européenne doit avoir un moteur franco-allemand (pourvu que la France se gère bien). Rien de tout cela chez Laschet, qui se présente comme un homme de compromis, qui louvoiera entre la lettre des traités européens et le besoin de sauver l’UE après le départ britannique, au besoin par des transferts financiers (limités). Laschet n’aura aucune ligne forte en politique étrangère ou sur l’immigration.

2. Vers un chancelier de compromis permanent.
Instinctivement, les délégués allemands se sont ralliés au profil d’un chancelier de consensus. Après le long exercice solitaire du pouvoir d’Angela Merkel, le prochain chancelier sera obligatoirement un homme de dialogue entre les deux ou trois partis qui constitueront la coalition. Merz apparaissait trop raide pour cela. Et il est probable que lorsque la CDU et la CSU devront se demander qui gouvernera le mieux avec les libéraux et les Verts - puisque telle est la coalition à venir- ils préfèreront Laschet au ministre-président bavarois, connu pour son intransigeance durant toute la crise du COVID 19 en matière de confinement.

3. Armin Laschet habite plus près de Bruxelles que de Berlin
Les trois candidats à la succession d’Annegret Kramp-Karrenbauer la Sarroise étaient trois Rhénans: Laschet d’Aix la Chapelle, Röttgen de Düsseldorf et Merz de Bonn. Quoi de plus frappant après trente ans de réunification. Angela Merkel n’a jamais cherché à construire une CDU solide dans l’Allemagne de l’Est où elle a grandi. Ceux qui briguent la tête de la CDU habitent non pas près de la capitale, Berlin, mais du centre de l’Union Européenne, Bruxelles. Notre partenaire allemand reste bien une « Allemagne de l’Ouest », principalement. Et ce serait vrais si Söder était le candidat à la Chancellerie.

4. Une Allemagne qui s’éloigne toujours plus de la France
Pour autant, paradoxe, c’est une Allemagne qui s’éloigne toujours plus de la France dans ses souhaits pour l’avenir:

- jamais la France n’avait été gouvernée de manière aussi centralisée, à l’opposé du fédéralisme allemand.
- jamais Paris n’avait autant plaidé pour la « souveraineté européenne » alors que l’Allemagne devient toujours plus le pays du compromis local - y compris à Bruxelles !
- jamais depuis le Général de Gaulle le contraste n’avait été plus fort entre un président français désireux d’intervenir tous azimuts sur la scène mondiale et une Allemagne prudente, faisant profil bas, se contentant d’engranger avec efficacité les excédents commerciaux.

Pourquoi avoir restauré le château impérial?

J’ai bien conscience de la vanité d’un plaidoyer réaliste concernant l’Allemagne à l’adresse de la classe politique française. Chateaubriand disait que l’on ne mène les Français que par les songes; et plus l’on traitera les politiques français de songe-creux en ce qui concerne la relation franco-allemande, plus ils s’y accrocheront, par esprit de contradiction mais aussi par manque de vision alternative. Et pourtant, un débat allemand devrait faire réfléchir à Paris: trente ans après la chute du Mur, Berlin a enfin reconstruit le palais impérial - qui fut aussi « palais de la République » du temps de la RDA. L’ensemble est, dans le genre, assez réussi bien qu’un peu théâtral. On imagine facilement l’inauguration par un président français d’un tel bâtiment, qui mêle façade néo-baroque, classicisme moderne et réutilisation d’une façade et d’éléments de construction de la période communiste. Eh bien, rien de tel en Allemagne, où le bâtiment rénové est l’objet de nombreuses polémiques. L’Allemagne se veut un pays sans histoire. Sans histoires également. La CDU s’est choisie le candidat idoine pour réaliser cette aspiration.

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