L’Allemagne face au casse-tête démocratique de l’AfD<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Une personne brandit une pancarte sur laquelle on peut lire "Dites non à l'AFD" alors qu'elle participe à une manifestation contre le racisme et les politiques d'extrême droite, à Erfurt, dans l'est de l'Allemagne, le 20 janvier 2024.
Une personne brandit une pancarte sur laquelle on peut lire "Dites non à l'AFD" alors qu'elle participe à une manifestation contre le racisme et les politiques d'extrême droite, à Erfurt, dans l'est de l'Allemagne, le 20 janvier 2024.
©JENS SCHLUETER / AFP

Le gouvernement au pied du mur

Avec 17% d’intention de vote dans les sondages pour les européennes de juin, le parti d’extrême droite allemand AFD (Alternative pour l’Allemagne) confirme effectivement sa percée continue sur la scène politique allemande.

Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

Voir la bio »

Atlantico : Comment une montée de l’AFD confirmée aux élections européennes pourrait bouleverser les rapports de force politique allemands ?

Henri de Bresson : Avec 17% d’intention de vote dans les sondages pour les européennes de juin, le parti d’extrême droite allemand AFD (Alternative pour l’Allemagne) confirme effectivement sa percée continue sur la scène politique allemande, en dépit d’un léger tassement après le scandale provoqué par la découverte de projets d’expulsions massives d’immigrés, y compris ayant déjà la nationalité allemande, concoctés par des proches de la direction du parti en cas d’arrivée au pouvoir. L’émotion suscitée en Allemagne a provoqué en début d’année des manifestations massives dans les principales villes allemandes, ralentissant pour le moment la percée du parti. 

Les chiffres parlent pourtant d‘eux même, même si l’on est loin des scores de l’extrême droite en Italie ou du Front national en France. Lors des élections européennes de 2019, l’AFD n’avait encore obtenu que 11% des voix. Le dernier sondage en prévision des prochaines élections parlementaires de l’année prochaine lui donne aujourd’hui 18,1% des intentions de vote contre un score de 10,3% en 2021, avec des chiffres de plus de 30% dans la plupart des régions de l’est, mais aussi de 21% dans la région de Basse Saxe à l’ouest.  Dans des régions comme la Saxe ou la Thuringe, où l’AFD est à 30% dans les sondages en prévision des élections régionales de septembre, il va être difficile de trouver comme aujourd’hui des coalitions sans l’extrême droite. 

Même si les grands partis politiques allemands n’ont pas connu l’implosion des partis politiques traditionnels français, l’irruption de l’AFD dans la cour des grands, après la montée du parti des Verts depuis les années 90, complique la formation des majorités gouvernementales. On le constate aujourd’hui avec l’impopularité du gouvernement du chancelier social-démocrate Olaf Scholz, qui doit en permanence négocier avec des partenaires aux vues très différentes que sont les Verts et les Libéraux. Comme au sein du parti LR en France, le débat sur une possible coopération avec l’AFD est lancé au sein du Parti chrétien démocrate (CDU) de l’ancienne chancelière Angela Merkel, échaudé par les résultats du gouvernement de coalition qu’il avait formé avec le parti social-démocrate (SPD), sorti vainqueur sans majorité lors des dernières élections de 2021.

Comment peut-on expliquer cette montée de l’extrême droite ? Quelles conséquences en Allemagne et en Europe ?

L’extrême droite après la guerre a toujours fait partie du paysage politique de l’Allemagne Fédérale de l’ouest après-guerre. On y a toujours eu des groupuscules de nostalgiques de la Grande Allemagne et de l’ordre nazi. Les plus connus sont le NPD ou le Parti des Républicains, qui ont parfois réussi à grapiller quelques pour cent dans certaines régions, comme la région frontalière de l’alsace, le riche Bade-Wurtemberg. Ils n’ont jamais réussi à percer au niveau fédéral. D’autres petites formations plus radicales encore ont été interdites à intervalles réguliers par la Cour Constitutionnelle allemande. En Allemagne de l’Est, le régime communiste a tout fait pour éviter l’apparition de tels mouvements. Les nostalgies sont réapparues après la chute du communiste. La aussi des formations ont fait leur apparition comme la DVU, qui a eu quelques succès à l’Est après la réunification.  

L’AFD, créé au début des années 2000, a des liens non avoués avec ces courants, dont les activistes sont tentés de faire de l’entrisme, comme en Thuringe. Le parti a surtout profité, comme la plupart des partis d’extrême droite européenne, de la problématique de l’immigration, particulièrement sensible dans l’ancienne Allemagne de l’est, où en permanence, malgré l’argent investi par l’Ouest et l’Union européenne après la réunification de 1990, l’on se plaint d’être traités comme des citoyens de seconde zone. Dès la chute du communisme, avant même la réunification, des incidents avaient eu lieu avec des communautés vietnamiennes installées par le régime communiste ou avec les Polonais qui venaient offrir leurs prestations dans les marchés. La RDA était un pays fermé, le choc de l’ouverture au monde a été violent.

L’AFD profite aussi plus généralement de la mauvaise image de l’actuelle coalition alors que le pays s’inquiète des conséquences que la guerre déclenchée par la Russie du président Poutine en Ukraine provoque sur l’économie allemande, dont le modèle souffre aussi de la Révolution verte défendue par les Verts et portée par l’Union européenne. Habitués à faire partie des pays les plus riches du monde, beaucoup d’Allemands ont eu du mal à supporter ces derniers mois la remise en cause de leur niveau de vie par l’inflation sur les produits alimentaires, les difficultés des petites et moyennes entreprises, les menaces sur leurs industries. Les grèves en série, qui se poursuivent dans les transports, les manifestations des agriculteurs traduisent ce mauvais esprit ambiant. 

L’importance des manifestations anti-AFD de ces dernières semaines montrent cependant qu’une grande majorité est consciente de l’impact qu’une montée incontrôlée de l’extrême droite dans le pays qui a inventé le nazisme aurait sur l’image du pays. Il est clair que compte tenu de ce passé, de ses positions sur la Russie, de son opposition frontale aux institutions de l’Union européenne, une participation de l’AFD a un gouvernement fédéral susciterait des tensions avec les partenaires de l’Allemagne.

Quelle différence entre l’extrême droite en Allemagne et l’extrême droite en France ?

L’opposition de l’AFD au soutien à l’Ukraine, son souhait d’une entente avec la Russie de Poutine rejoint les positions de pays comme la Hongrie, la Slovaquie, de l’extrême droite autrichienne.  Mais elles suscitent des difficultés avec certains de ses partenaires ouest-européens comme le parti de la première ministre italienne, Giorgia Meloni. D’une manière générale le parti de l’extrême droite allemande a un positionnement contre l’Union européenne beaucoup plus radical que les autres partis d’extrême droite de l’ouest de l’Europe, à commencer par le Front National. S’il a renoncé lors de l’adoption de son programme pour les élections européennes à demander le retrait de l’Allemagne de l’Union européenne, il n’en demande pas moins son retrait de l’Euro, l’abolition du parlement européen, la fin du Pacte Vert, un pacte anti-immigration. Il se prononce de même pour la limitation du droit à l’avortement, contre le mariage pour tous. Sa tête de liste pour les Européennes, Maximilian Krah, député européen sortant, fait partie de l’aile la plus radicale de son parti. 

Les partis traditionnels revoient certaines lois pour protéger leurs institutions. De quelles lois s’agit-il ?

Les partis politiques réfléchissent effectivement à des garde-fous pour limiter les conséquences qu’une radicalisation de la vie politique pourrait avoir sur les institutions républicaines fédérales. Des discussions ont eu lieu ces dernières semaines entre les formations politiques participant au gouvernement et le parti chrétien démocrate pour éviter qu’un pouvoir influencé par l’extrême droite ne puisse influer surles nominations des juges à la Cour Constitutionnelle, comme cela s’est passé en Pologne, sous le régime Kaczynsky, ou sous la présidence Trump aux Etat aux Etats Unis.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !