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Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président du réseau à but non lucratif Initiative D21 pour la société numérique dans la politique, l'économie, la science et la société civile Hannes Schwaderer le 27 avril 2022, à Berlin.
Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président du réseau à but non lucratif Initiative D21 pour la société numérique dans la politique, l'économie, la science et la société civile Hannes Schwaderer le 27 avril 2022, à Berlin.
©Tobias SCHWARZ / POOL / AFP

Stratégie numérique

Le gouvernement allemand s’est fixé pour objectif de réaliser une « transformation numérique » du pays au cours de la période législative actuelle. Promise pour le premier semestre 2022, cette stratégie numérique a été reportée à la fin du mois d’août. Le pays a aussi été confronté cette année à une panne du système de déclaration de revenus en ligne.

Gilles Babinet

Gilles Babinet

Gilles Babinet est entrepreneur, co-président du Conseil national du numérique et conseiller à l’Institut Montaigne sur les questions numériques. Son dernier ouvrage est « Refonder les politiques publiques avec le numérique » . 



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Atlantico : Après plusieurs mois de retard, le projet de stratégie numérique pour une transformation du pays en la matière va être voté en Allemagne. Un plan qui semble nécessaire au vu de l’état de la numérisation du pays. Rien qu’en ce début d’année le système de déclaration de revenus en ligne de l’Allemagne est tombé en panne laissant 36 millions de personnes dans le pétrin. En 2022, quel est l’état des structures numériques de l’Allemagne ?

Gilles Babinet : L’Allemagne n’a jamais été une référence en matière d’administration publique numérique et au-delà de l’Etat, de nombreuses interrogations sur la capacité du pays à se moderniser se posent. Que ce soit pour les entreprises ou les administrations, la révolution numérique est difficile à envisager. Un rapport du German Economic Institute (IW) pointe l’absence de numérisation de 495 services publics. C’est une situation que connaissait la France il y a au moins six ans. Pendant la campagne de 2017, on parlait de numériser les 250 services publics les plus évidents. Sur de nombreux sujets, les Allemands n’ont pas encore défini s’ils voulaient que la numérisation se fasse au niveau fédéral, ce qui serait le plus logique, ou à celui des Landers. L’Allemagne est entourée de pays plutôt bons dans ce domaine : Belgique, Pologne, Danemark, République Tchèque, Autriche, Suisse et même France. Donc l’Allemagne a conscience de ce problème. 

Quelles sont les raisons de cette situation ?

Les raisons qui prévalent à cette situation sont assez connues. D’abord, l’existence d’un Etat fédéral. Ce n’est pas un frein en soi, puisque les Espagnols, eux, réussissent à bien transformer leur administration, comme en atteste leur position dans le classement du Digital Economy and Society Index 2021. Néanmoins, dans le cas de l’Allemagne, cela crée une réelle ambiguïté sur l’échelon qui doit prendre en charge ces sujets. Le deuxième problème vient d’une peur très marquée d’une utilisation des données contre les citoyens. C’est une inquiétude qui a des racines historiques que l’on peut comprendre, mais cela se traduit concrètement par une dégradation de l’expérience utilisateur à des fins de protections des données. C’est souvent ce qu’il se passe : on rajoute un échelon de bureaucratie pour permettre un meilleur contrôle des données. En France, nous avons la technologie du « dites-le nous une fois » qui permet de souder les données entre les administrations. La société civile allemande a pris part à ce débat et un consensus a émergé contre l’identifiant unique.

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La French tech est-elle assez technologique ?

La réalité, c’est qu’après 16 ans de mandat d’Angela Merkel, l’Allemagne se réveille. Elle se rend compte qu’elle est très en retard et que son retard ne fait que s'accroître. 

Ce que compte faire l’État allemand pour régler ce problème est-il suffisant ?

Je pense que le débat essentiel n’a pas encore eu lieu. Il n’est pas possible d’avancer sans un débat politique et citoyen sur ce que l’on souhaite. Les associations de défense des libertés individuelles vont très vite monter au créneau, comme cela a pu être le cas en France. Nous avons dépassé ce stade, pas les Allemands. Ils ont encore quelques années de chemin avant de pouvoir faire les choses convenablement. Mais ils ont un avantage, puisqu’ils arrivent après les autres : ils peuvent bénéficier de ces référentiels. 

Comment expliquer l’apparent paradoxe que la première économie de la zone euro soit malgré tout une naine numérique ?

En France, notre narratif collectif veut que la performance économique passe par l’Etat. L’Allemagne ne pense pas comme ça, l’Etat est très peu présent dans les affaires économiques. Les Allemands ne sont pas mauvais sur le terrain des startups. Ils ont une stratégie 4.0. 

A quel point la société allemande, hors Etat, a-t-elle mené sa transition numérique ?

On retient généralement cinq paramètres pour la transformation digitale : l’usage par les entreprises, le e-gov, la connectivité, l’usage par les citoyens, les systèmes éducatifs. L’Allemagne est globalement en retard. Ils ne sont pas bons en connectivité, pas plus sur l’éducation. Ils sont véritablement mauvais sur le e-gov. Ils font face à une transition de modèle, puisque la valeur passe de l’industrie vers les plateformes, et il faudra voir s’ils arrivent à s’adapter. Ils ne garderont pas leur rang de troisième exportateur mondial si ce n’est pas le cas. 

Si l’on compare la France à l’Allemagne, notre pays fait-il mieux ? Qu’est-ce qui l’explique ?

La France fait mieux, mais pas sur tout. Sur les services éducatifs, sur l’e-gov et très légèrement sur les usages, nous sommes meilleurs, mais nous sommes moins bons sur le plan économique. Ils ont plus de licornes, de décacornes, etc. et ils essaient de construire l’industrie 4.0. Mais cela pourrait être une opportunité pour la France de prendre le dessus, s’il elle fait les bons choix. Pour l’instant, nous sommes dans un mouchoir de poche.

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