L’âge d’or des grands corsaires de Louis XIV : 1661-1715<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 23 avril 2002 à Dunkerque, de la statue de Jean Bart, réalisée par le sculpteur David d'Angers.
Une photo prise le 23 avril 2002 à Dunkerque, de la statue de Jean Bart, réalisée par le sculpteur David d'Angers.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Alain Blondy publie "Pirates, corsaires et flibustiers" aux éditions Perrin. Barbe-Noire est sans doute le plus illustre, Anne Bonny la plus féminine et Jack Sparrow le plus attirant (et surtout le moins réel !), mais que sait-on véritablement des pirates, corsaires et flibustiers ? Extrait 2/2.

Alain Blondy

Alain Blondy

Professeur des Universités, Alain Blondy a enseigné pendant plus de trente ans au CELSA (Paris IV). Professeur invité (à Tunis, Chypre, Moscou…), il a également enseigné à l’université de Malte et est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes actuels du monde méditerranéen, sur lequel il a écrit plusieurs ouvrages. Il est notamment l’auteur, chez Perrin, du Monde méditerranéen, 15 000 ans d’histoire.

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Les guerres du long règne de Louis XIV furent de terribles guerres économiques. Pendant toutes les guerres du Roi-Soleil, corsaires et marines royales menèrent des raids dévastateurs pour détruire le commerce de l’ennemi. Les premiers acquirent alors les faveurs du public, même si, dans le langage courant, «pirate» fut trop souvent synonyme de « corsaire ». Ainsi, dans Almahide, ou l’Esclave reine, paru en 1660, Madeleine de Scudéry écrit: «Le roi était habillé en pirate: mais si galamment et si magnifiquement, qu’il était aisé de voir qu’en effet, il songeait plutôt à prendre des cœurs que des vaisseaux.»

D’une guerre à l’autre

À l’occasion de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), la France, dans l’incapacité financière de se doter d’une réelle marine de guerre, mit en place une stratégie à deux niveaux. La flotte corsaire des armateurs privés s’en prenait aux navires marchands anglais et lorsque ceux-ci, pour se protéger, s’organisaient en convois, ils devaient ensuite affronter la grande course des vaisseaux du roi, loués aux mêmes armateurs. Le résultat fut le blocage, du moins temporaire, de la croissance économique anglaise. Du côté français, le résultat fut mitigé. Si les profits des prises ont été importants, les pertes (en capital, en navires, en hommes) l’ont été tout autant. Toutefois, cela fut contrebalancé par le sursaut dynamique que la course représenta pour des armateurs et des marins des ports de la Manche. Alors que le trafic commercial manchois était quasiment détruit au début de la guerre, la course servit d’activité de substitution autant pour les hommes que pour les chantiers navals. De surcroît, comme l’a montré Jean Meyer, l’afflux des prises et leur revente familiarisèrent le monde maritime avec l’idée de commerce international, préparant ainsi l’essor ultérieur de la marine marchande et du capitalisme naval.

La guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), dernier conflit du monarque, fut autant politique qu’économique, car ni l’Autriche, ni la Grande-Bretagne, ni les Provinces-Unies n’acceptaient que la France pût indirectement mettre la main sur les possessions espagnoles d’Europe, d’Asie et d’Amérique. De ce fait, les objectifs navals des Français étaient différents de ceux du conflit précédent. Versailles, en faisant de l’Espagne une Couronne de famille, souhaitait avant tout mettre la main sur l’argent des colonies espagnoles du Pérou ou du Mexique, la frappe monétaire restant l’un des moteurs principaux du commerce. Durant cette guerre, la course fut moins sollicitée que lors de la précédente, car les capitaux furent moins investis dans l’armement corsaire que dans le commerce transocéanique. En effet, les navires de guerre gallispans assurèrent la protection des convois marchands et les profits engrangés dans les années 1712 et 1713 eurent pour conséquence l’émergence, à Marseille ou dans les ports de l’Atlantique, d’un négoce français d’envergure internationale.

Corsaires devenus officiers de marine

De tous les corsaires du roi, le plus connu est sans nul doute Jean Bart (1650-1702). Ce Dunkerquois est représentatif des corsaires d’alors, puisque sa valeur dans la guerre de course lui valut d’entrer dans la marine du roi. Son enfance ne le prédisposait pas à s’attacher à une patrie, tant Dunkerque passa successivement d’une domination à une autre. De 1662 à 1672, il commença sa carrière sur des navires hollandais, mais en 1672, alors que Colbert encourageait les Dunkerquois à lutter contre les Hollandais, il s’engagea pour pratiquer la guerre de course. De 1674 à 1676, il enchaîna les prises (11 en 1674, 20 en 1675, 28 en 1676). Repéré par Louis XIV qui lui envoya une chaîne en or à la signature de la paix, il rejoignit la marine royale en 1679 avec le grade de lieutenant de vaisseau. Sa carrière fut alors celle d’un officier de marine: capitaine de frégate en 1686, capitaine de vaisseau en 1689, chef d’escadre en 1697. En 1694, alors que le blocus de la Ligue d’Augsbourg enchérissait le prix du pain, il réussit à reprendre aux Hollandais les 110 navires chargés de blé norvégien que le roi avait acheté pour éviter la famine. En avril, Louis XIV le fit chevalier de l’ordre de Saint-Louis, en juillet une médaille fut frappée en l’honneur de son exploit et, en août, estimant que nul ne s’était montré plus digne que lui, le roi l’anoblit, l’autorisant à porter une fleur de lys d’or dans ses armes. Lorsque, sous Louis-Philippe, on inaugura en 1845 la statue du grand homme par David d’Angers, une cantate, devenue l’hymne des Dunkerquois, célébra cet enfant du peuple qui conquit sa noblesse par son épée et qui, « aux jours de la détresse, sauva la France en lui donnant du pain ».

Le Malouin René Trouin, seigneur du Gué, dit DuguayTrouin (1673-1736) est un autre corsaire qui accéda à des commandements dans la marine royale. Fuyant la prêtrise à laquelle on le destinait, il s’embarqua sur des bâtiments corsaires de 1689 à 1697, à l’époque de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Dès ses 18 ans, il se vit confier le commandement d’un navire corsaire, courant d’abord en Manche puis dans l’Atlantique. En 1694, cependant, tombant sur une escadre de six vaisseaux anglais que le brouillard lui avait cachée, il fut blessé et fait prisonnier puis conduit à Plymouth. Or, la course en Europe s’était policée. Il raconte que le capitaine anglais lui céda sa chambre et le fit soigner comme s’il avait été son propre fils, capitaines et officiers venant lui rendre visite. Néanmoins, il réussit à s’évader pour reprendre la course en 1695, recevant une épée d’honneur pour ses hauts faits. En 1696, commandant trois vaisseaux corsaires, il rencontra la flotte espagnole de Bilbao escortée par trois vaisseaux de guerre hollandais sous les ordres du baron Wassenaër. La violence du combat fut extrême, et causa un grand nombre de morts. L’amiral, gravement blessé, fut pris les armes à la main. Duguay-Trouin veilla à ce qu’il fût bien traité et, lorsqu’il fut remis, il le présenta lui-même à Louis XIV.

Ce dernier admit Duguay-Trouin dans la marine royale avec le grade de capitaine de frégate. S’il cessait d’être un corsaire solitaire, Versailles ne souhaitait pas moins utiliser ses premiers talents. Anobli en 1709, il se vit confier, en 1711, la direction d’une intervention qui tenait autant de la guerre navale que de la guerre de course. Lors de la guerre de Succession d’Espagne, la colonie portugaise du Brésil était alliée à l’Angleterre, ennemie de la France. En 1710, une tentative pour s’emparer de la flotte qui ramenait l’or du Brésil avait échoué. Louis XIV confia alors au Malouin le soin de venger cet échec. Quinze navires et 6000 hommes (soldats et marins) furent mis à sa disposition, mais le Trésor étant vide, l’expédition fut financée par des armateurs privés: des Malouins comme Magon de Lalande (1679-1761) ou Danycan de l’Épine (1656- 1735), mais aussi le comte de Toulouse (1678-1737), fils légitimé du roi et amiral de France. Un traité de chartepartie précisa la part nette de butin que chacun toucherait, le roi s’étant réservé 20%, auxquels il renonça ensuite. En septembre 1711, il ne fallut à Duguay-Trouin que onze jours pour se rendre maître de Rio de Janeiro. Il rentra à Brest en février 1712, ramenant 1300 kilos d’or et un butin rapportant 1600000 livres, soit 92% de bénéfice pour les actionnaires. Peu avant sa mort, Louis XIV l’éleva au grade de chef d’escadre. Ses dernières années furent tout entières au service de la marine royale.

Jean Doublet (1655-1728) est nettement moins connu, en dépit d’une longue carrière en mer de près de cinquante ans. Témoin privilégié de cette époque où la course française tutoyait la respectabilité, il a laissé un intéressant journal paru sous le titre Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Il fit son apprentissage avec son père qui menait des expéditions au Canada pour le compte de la Compagnie de la Nouvelle-France, puis avec un cousin, patron d’un navire négrier. En 1679, il fut engagé par Jean Bart comme second à bord d’une frégate du roi. Devenu commandant, il décida, en 1684, de s’adonner à la guerre de course contre les Espagnols. La paix revenue, il se livra à ses activités commerciales, mais en 1688 et 1690 il se vit chargé de surveiller la Royal Navy en Manche et mer du Nord. En 1690, alors lieutenant de frégate, il reçut le commandement de deux frégates corsaires royales, partant de Brest, de Granville ou de Saint-Malo. Le roi lui fit remettre une épée d’honneur en 1693 pour avoir pris part à la défense de ce dernier port, bombardé par les Anglais. Il alterna ensuite les périodes de course avec des reprises de ses activités commerciales. En 1704, il se mit au service de la Compagnie de l’Asiento, créée trois ans auparavant par le banquier Antoine Crozat lorsqu’il obtint le monopole (asiento) de l’approvisionnement des colonies espagnoles d’Amérique en esclaves noirs. En 1706, il accepta le commandement d’un bâtiment chargé de faire la course sur la côte pacifique de l’Amérique méridionale. Il en revint en 1711 avec un butin de plus de trois millions de livres. Ce dernier exploit fut suivi de sa retraite comme capitaine-exempt (vice-lieutenant) d’un régiment de gardes-suisses.

Un nouveau degré était donc franchi : les corsaires de Louis XIV n’étaient plus ceux d’Élisabeth Ire. S’ils avaient été, comme eux, anoblis par le fait du Prince, ils ne restaient plus dans le statut marginal d’auxiliaires de course. Leurs exploits étaient devenus, pour ces roturiers, la «seconde voie » pour intégrer la marine et y devenir officiers.

A lire aussi : L’âge d’or des pirates dans les mers Caraïbes au début du XVIIIème siècle

Extrait du livre d'Alain Blondy, "Pirates, corsaires et flibustiers", publié aux éditions Perrin

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