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L’Afrique émergente : cette fable à laquelle nous avons tant envie de croire
©ISSOUF SANOGO / AFP

Espoir de demain

La situation du continent africain est souvent analysée à travers un prisme qui provoque un décalage entre perception et réalité.

Serge Michailof

Serge Michailof

Chercheur à l’Iris, enseignant à Sciences Po et conseiller de plusieurs gouvernements, Serge Michailof a été l’un des directeurs de la Banque mondiale et le directeur des opérations de l’Agence française de développement (Afd). Il est notamment l'auteur du livre Africanistan - L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard, 2015). 

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Atlantico : Dans un article "Et si l'Afrique émergente était une fable", publié par Le Monde, François Giovalucchi décrit un story telling qui positiverait à l'excès la situation du continent africain alors que ce dernier serait confronté à un contexte plus alarmant. Quelle est la réalité du décalage entre perception et réalité ?

Serge Michailof : Il y a souvent eu un décalage entre perceptions  et réalités africaines. Rappelons tout d’abord qu’il n’y a pas une Afrique mais beaucoup d’Afriques, qui se distinguent par leurs populations, leurs géographies, leurs climats, leur histoire et  leurs niveau de vie qui varie dans une proportion de 1 à 40…  Ceci dit il y a aussi des similitudes qui permettent de parler “de l’Afrique” au sens large.
L’image de l’Afrique a été profondément abimée par la longue période de crises économiques et politiques qui l’ont caractérisée jusqu’à la fin des années 1990. Or l’afro-pessimisme, produit de cette situation, a subsisté bien après cette période, au point qu’un magazine aussi sérieux que “The Economist” qualifiait encore l’Afrique en 2001 de “continent sans espoir”,  alors que l’Afrique avait engagé depuis plusieurs années une phase de très forte croissance qui allait durer plus de 15 ans.
Nous sommes actuellement prisonniers de la perception très optimiste correspondant à cette période faste, où tous les indicateurs, des revenus par tête aux taux de scolarisation sont passés au vert. Malheureusement la chute des prix des matières premières a provoqué à partir de 2016 un effondrement de la croissance africaine. Elle s’était stabilisée autour de 5 à 6 % pendant plus de 15 ans, or elle est tombée à 1,5 % en 2016 et 2,6 % en 2017, ce qui compte tenu de la démographie correspond à une chute ou à une stagnation du revenu par habitant qui risque de se poursuivre en 2018.
Cette chute du PIB africain a mis en évidence de multiples faiblesses des économies africaines, trop peu diversifiées, trop dépendantes du prix de quelques matières premières, dont l’agriculture est encore bien peu productive, dont l’industrialisation surtout est à la traine. Enfin un certain nombre de crises politiques et sécuritaires ont aussi révélé la très grande fragilité de ces pays, liée à l’hétérogénéité ethnique, à des systèmes politico économiques prédateurs et des démocraties largement de façade.   

En quoi cette perception faussée peut-elle conduire à une erreur d'approche politique concernant les relations entre France, Europe et continent africain ? 

Je crois qu’il faut se débarasser tant de l’afro-pessimisme généralisé des années 1990 que de l’afro-optimisme exagéré qui a cours aujourd’hui et qu’il faut être réaliste. L’Afrique est un prodigieux réservoir de matières premières et dispose de ressources humaines considérables. Mais aucun pays de l’Afrique sub-saharienne à l’exception de Maurice et dans une certaine mesure de l’Afrique du Sud, ne présente les caractéristiques des pays émergents. C’est d’ailleurs la conclusion d’une remarquable étude réalisée par le think tank Ghanéen “African Center for Economic Transformation” intitulée “Growth with Depth”.
Cette étude rappelle la lenteur des progrès accomplis dans le domaine industriel en Afrique. La contribution du secteur manufacturier au PIB a stagné autour de 9 % pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne entre 1970 et 2010. Or le ratio correspondant pour les pays émergents est passé sur la même période de l’ordre de 15 % à près de 25 %. Cessons de rêver. L’Afrique a fait de très grands progrès depuis 15 ans. Mais ce n’est pas encore un continent émergent.
Dans ces conditions, l’emploi dans le secteur secondaire ne s’est que marginalement amélioré en 15 ans. Il n’est ainsi passé, que de 8 % de l’emploi total en 1995 à 8,5 % en 2010. Sur la base des tendances actuelles, l’Afrique risque de ne jamais passer par l’étape intermédiaire fondée sur l’industrialisation et l’expansion d’un secteur manufacturier à forte intensité de main-d’œuvre comme l’ont fait les pays émergents.
Le rapport de l'ACET rappelle l’ensemble des réformes économiques et de gouvernance que les pays africains doivent engager de toute urgence pour leur permettre de répondre aux attentes de leur jeunesse. Il faut donc cesser de faire croire aux dirigeants africains que les seules start up et PME du net, dont il faut certes saluer le développement en Afrique, vont y régler tous les problèmes. Non, il y a d’abord des problèmes majeurs de gouvernance qui sont liés au caractère prédateur de nombreux régimes. Il y a une agriculture dont le potential est mal mobilisé. Il y a trop d’obstacles et de rentes pour que se développe l’industrie manufacturière insérée dans les chaines de valeur mondiales indispensable pour créer massivement des emplois. Rappelons que  le nombre de jeunes qui arriveront sur le marché de l’emploi en Afrique sera en 2050, 3 fois supérieur au nombre de jeunes chinois…

Au regard du constat que vous dressez de la situation, quelle serait l'approche la plus adéquate ?

Je pense sincèrement qu’il faut cesser d’entretenir de faux espoirs chez nos interlocuteurs africains en les encourageant à croire qu’ils peuvent espérer suivre le chemin de Singapour ou de la Corée du Sud, tout en restant dans des systemes rentiers prédateurs. 

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