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L'Afrique de l'Est menacée de la plus grande famine depuis 20 ans
©Reuters

Urgence en vue

Après un nouvel épisode de sécheresse survenu dans la Corne de l'Afrique, ce sont près de 20 millions de personnes qui sont directement menacées par la famine.

Serge Michailof

Serge Michailof

Chercheur à l’Iris, enseignant à Sciences Po et conseiller de plusieurs gouvernements, Serge Michailof a été l’un des directeurs de la Banque mondiale et le directeur des opérations de l’Agence française de développement (Afd). Il est notamment l'auteur du livre Africanistan - L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard, 2015). 

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Atlantico : Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU a lancé un appel courant février pour récolter 825 millions de dollars et 1,6 milliards de dollars afin d'aider respectivement la Somalie et le Soudan du Sud, les deux pays les plus vulnérables face au risque de famine qui se profile après le nouvel épisode de sécheresse qu'a connu la région. Quelle évaluation peut-on faire de la situation sur place ?

Serge MichailofLa situation dans ces deux pays est absolument dramatique. Une nouvelle sécheresse, analogue à cellee de 2011, a frappé toute la corne de l'Afrique, ainsi que le Yemen et le nord du Nigéria. Mais ce sont avant tout les guerres civiles locales qui amplifient l'impact de ces sécheresses et en font des catastrophes de très grande ampleur : guerre civile en Somalie avec les Chababs ; guerre de sécession au Soudan qui a conduit à la création d'un nouvel Etat, le Sud Soudan, qui s'est révélé être un État failli dès sa création, puisqu'une guerre civile à base politico-ethnique a été déclenchée pratiquement pour son indépendance ; conflit lié à l'insurrection de Boko Haram au Nord du Nigéria ; et enfin guerre civile du Yemen qui correspond aussi à un affrontement indirect entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite.

Au point de départ, toutes ces régions sont extrêmement fragiles avec des pluies irrégulières dont l'irrégularité est déjà accentuée par le réchauffement climatique. Si les récoltes sont perdues en raison d'une pluviométrie insuffisante ou d'une mauvaise répartition des pluies, les conséquences -indépendamment des conflits - sont déjà graves dans la mesure où cette situation provoque, outre une crise alimentaire, une paupérisation générale de la population rurale. Celle-ci est en effet, en général, obligée de vendre ce qu'il lui reste de bétail pour acheter des céréales, ce qui a une incidence pendant 3 à 5 ans sur ses conditions de vie et sur la nutrition des enfants. Ces populations étaient donc tout juste en train de récupérer de la sécheresse de 2011 lorsque cette nouvelle sécheresse est intervenue. Dans ces conditions, ces populations coupent les derniers arbres qui ont survécu sur leurs terres pour en faire du charbon de bois afin de gagner trois sous, ce qui accroit encore le processus de désertification. Mais évidemment, l'absence d'Etat organisé dans ces régions, les pillages et destructions de villages et de marchés, l'impossibilité d'accéder à de nombreux villages, et enfin l'insécurité généralisée rendent le ravitaillement des populations extrêmement difficile. Dans ce type de contexte, les enfants sont les premières victimes car la sous-alimentation favorise quantités de maladies hydriques avec diarrhées, choléra et bien sûr aussi paludisme et rougeole. 

260 000 personnes ont été victimes d'un précédent cas de famine dans la corne de l'Afrique en 2011. Est-ce que la communauté internationale saura tirer les leçons de 2011 ? Est-ce que les sommes d'argent précédemment citées seront bien utilisées ? 

La distribution de l'aide alimentaire dans ces régions est une tâche très difficile et extrêmement dangereuse. Les problèmes logistiques sont compliqués car faute d'entretien, les routes rurales ont souvent disparu et certaines zones sont ainsi inaccessibles. Mais le vrai problème est l'insécurité et la présence des groupes armés dans la mesure où, dès que l'on sort des grands centres urbains, il n'y a plus d'autorité étatique. Or l'aide alimentaire représente un enjeu financier et de pouvoir considérable pour les milices et groupes armés. Les agences qui se chargent de sa distribution doivent parfois accepter, sous peine de ne pouvoir accéder à certaines régions ou de se faire piller, d'abandonner une partie de l'aide alimentaire à ces groupes qui ensuite la revendront. Les détournements sont ainsi fréquents, de même que les pillages de stocks ou de camions. De manière générale, le "coulage" est ainsi quasi inévitable et les critiques internationales fréquentes. Mais j'aimerais voir ces même critiques risquer leur vie sur des pistes impossibles où, à chaque check point, on risque le kidnapping ou la rafale de kalash....  

La corne de l'Afrique est fréquemment exposée à des vagues de sécheresse. Ce fut la cas l'année dernière déjà. Quelles peuvent être les solutions pour réussir à nourrir les populations locales ?

Les conditions naturelles (sol et climat) dans ces régions sont déjà difficiles et fortement aggravées par la croissance démographique. Mais ces conditions seraient parfaitement "gérables" dans un cadre pacifié pour peu que l'aide internationale s'intéresse sérieusement au développement agricole et rural au sens large, car il s'agit d'un secteur hélas largement abandonné par l'aide internationale au développement. La cause réelle de ces famines est la multiplication des conflits et des guerres civiles qui se développent dans des contextes de très grande misère, d'absence d'autorité étatique, d'essor d'un islam radical qui devient la nouvelle idéologie révolutionnaire, de circulation généralisée des armes, de discriminations ethniques, etc . A ces États défaillants se substituent de nouveaux acteurs : milices, groupes djihadistes etc. La priorité est donc bien de tenter de restaurer des paix civiles ce qui devient de plus en plus difficile dans cet arc de crise qui couvre une zone immense allant de l'Afghanistan à la Mauritanie, en passant par la Syrie et la Libye.

De manière générale, les très grandes crises alimentaires mondiales depuis un siècle, que ce soit en Chine à l'époque maoiste, en Russie sous Staline, ou en Afrique, ont été, pour l'essentiel, la conséquence de l'action des hommes, de problèmes politiques gravissimes, de rivalités politiques, de conflits internes et de guerres civiles. Mais comme la misère et les conflits sont en général inextricablement liés, il n'y a pas de solution simple. Il faut, certes, tenter de faciliter le développement agricole et rural ce qui, techniquement, est parfaitement possible, mais tout en aidant à la reconstruction d'appareils d’État, ce qui est plus difficile mais surtout en cherchant à apaiser des conflits politiques qui sont terribles. Cet arc de crise présente un défi colossal aux Occidentaux qui commencent juste à prendre conscience de la gravité de ces évolutions.      

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