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L’abstention, pire ennemie d’Emmanuel Macron pour 2022 ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Vote blanc

Le Président de la République peut-il en pâtir si les électeurs ne se mobilisent pas aux urnes ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Tous les sondages indiquent une redite du duel Macron-Le Pen au second tour de l’élection présidentielle alors que d’autres sondages démontrent que les Français semblent lassés d’un tel face-à-face. L’abstention risquant d’être forte, qui bénéficierait d’une telle absence de mobilisation dans les urnes ? Certaines bases militantes, comme celles du RN, sont-elles plus susceptibles de se rendre dans les urnes quelle que soit la situation ? L’électorat LREM est-il celui qui risque le plus d’être touché par l’abstention ? 

Christophe Boutin : Effectivement, les derniers sondages présentés laissent entendre qu'il ne serait pas impossible de voir se répéter en 2022 le duel de l'élection présidentielle de 2017 entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. La première obtiendrait entre 26% et 27% des suffrages exprimés au premier tour (contre 21,3% en 2017), le second entre 23% et 24 %  (24% en 2017). Au second tour Emmanuel Macron l'emporterait avec 52 % des suffrages contre 48% pour Marine Le Pen, quand il avait obtenu 66 % des suffrages exprimés en 2017 et Marine Le Pen 34 %. L'évolution serait donc ici favorable à la représentante du Rassemblement national, sans toutefois lui permettre de l’emporter. Pour autant, avec un sondage éloigné d’un peu plus d’un an de l'échéance électorale, avec des écarts entre les résultats qui restent dans la marge d’erreur des sondages au premier tour,  le doute reste permis.

 Il n’en reste pas moins que le bruit médiatique présente ce duel comme inévitable, quand une grande partie des Français ne semble pas être particulièrement heureuse de voir se reproduire l'affrontement de 2017. Selon certains sondages en effet, les 3/4 des Français aimeraient une autre solution, mais laquelle ? Dans les diverses hypothèses qu'on leur a présentées, avec différents candidats de droite (LR) comme de gauche (PS, LFI, EELV), c’est dans tous les cas le même duo qui arrive bel et bien en tête du premier tour.

Poser ainsi la question d’une offre électorale trop limitée, ou trop convenue, conduit donc d’abord, comme vous le faites, à se poser celle d’une abstention qui progresse depuis des décennies, plus ou moins importante selon le type de consultation, et qui a touché 25% des électeurs au second tour de la présidentielle de 2017 (une hausse de près de 6% par rapport à celle de 2012), tandis que flambaient aussi les bulletins blancs et nuls (représentant le record de 11,5% des votants). Une abstention que les instituts de sondage voient encore progresser en 2022, et ce dans toutes les catégories sociales, y compris chez ceux qui, traditionnellement, sont les plus enclins à remplir leur devoir civique, les personnes âgées. C'est dire la lassitude qui existe aujourd’hui en France face au jeu politique. Certes, toute abstention n’est pas protestation : il y a aussi, ne l'oublions pas, une abstention dite « d'adhésion », quand l'abstentionniste estime que les jeux sont faits et n’éprouve pas le besoin de courir au secours de la victoire. Mais elle est minime, et c’est bien plus de désintérêt qu’il faut parler, un désintérêt à lier avec la désaffiliation électorale résultant de la critique de partis politiques en déshérence.

Quant à savoir ensuite qui serait le plus touché par cette abstention, une part de la réponse dépend du socle électoral de chacun des candidats, représenté par ceux qui, dès maintenant, annoncent qu’ils voteront de manière certaine et ne changeront pas d'avis d'ici 2022. On pourrait penser ici que l'abstention favorise les extrêmes : c’est une thèse que l'on connaît bien, qui explique que les militants des partis extrémistes sont souvent plus encadrés, plus motivés, et seraient donc moins abstentionnistes. Dans l'hypothèse où l'on considère encore le Rassemblement national comme un parti extrémiste, ce qui est tout à fait contestable au vu de son évolution, on pourrait donc penser que Marine Le Pen dispose d'un socle plus fiable, ou plus durable. En face, Emmanuel Macron, qui n'a pas réussi pour l'instant à bâtir avec LREM autre chose qu’un parti dit « de cadres » ou « d'élus », avec un socle électoral qui a fluctué depuis 2017 dans sa composition – plus à gauche en 2017, plus centriste en 2021 – devrait être en moins bonne posture. Pourtant, des études comme celle de la Fondapol remettent partiellement en doute cette analyse. Au premier tour, le socle de Marine Le Pen, celui des électeurs certains de voter pour elle en 2022, serait ainsi de 18 %, supérieur à celui d’Emmanuel Macron (16 %). Mais au second tour cette fois, c'est-à-dire quand on vote « contre » au moins autant que « pour », le socle dont disposerait Emmanuel Macron serait de 31 % des électeurs et celui de Marine Le Pen de 25 %. Reste que la relative proximité de ces socles semble montrer qu’une progression de l’abstention impacterait de manière à peu près identique les deux formations, ou, en tout cas, ne traduirait pas le déséquilibre que l'on pouvait attendre.

Atlantico.fr : Une élection où l’abstention est forte est-elle, par nature, plus incertaine ? 

Christophe Boutin : Au contraire même, à partir du moment où les indécis préfèrent s'abstenir, et où ne viennent voter que ceux qui constituent ce socle presque intangible de chacun des candidats. Si tout se joue sur ces socles initiaux, globalement fiables sauf énorme contre-performance du candidat choisi, il est naturellement plus facile de prévoir ce qui va se passer le jour de l’élection. Ce qui fait le caractère incertain de cette dernière, c'est bien plutôt la capacité que vont avoir les mouches à changer d’âne, autrement dit les électeurs indécis peu tentés a priori par les enjeux de l’élection de finalement choisir de venir voter, et de se porter sur tel ou tel candidat au dernier moment. 

Entrent en effet en jeu ici un certain nombre de paramètres imprévisibles et incontrôlables : un fait divers, une évolution de la situation internationale, une mauvaise prestation devant les médias, une dramatisation médiatique des enjeux de l’élection sont autant d'éléments qui peuvent influencer les électeurs, sans que l’on puisse d’ailleurs toujours bien en prévoir les conséquences : on sait par exemple que les indécis peuvent fort bien, au dernier moment, vouloir limiter un succès certain en apportant leurs voix à un adversaire présumé battu, mais tout autant se porter au secours de la victoire et amplifier le dit succès.

Atlantico.fr : Que doivent faire les candidats pour essayer de lutter contre l’abstention ? À défaut de réussir à faire adhérer à leur projet politique, doivent-ils au moins essayer de mobiliser contre quelqu’un d’autre, comme cela a pu être le cas aux États Unis en 2020 ?  

Christophe Boutin : Précisons d’abord que la mobilisation « contre » existe essentiellement au second tour de l'élection présidentielle. Au premier tour, elle peut effectivement résulter parfois de stratégies électorales, les électeurs choisissant de voter en fonction de ce qu'ils pensent être le second tour. Ils votent alors non pour le candidat qui aurait a priori leur soutien pour son programme, mais dont ils estiment qu'il n'a que très peu de chances d'être présent au second tour, mais pour celui qui est le plus proche de leurs idées et qui a une chance d’être présent au second tour, pour qu'il bénéficie ainsi, à la fin du premier tour, d'une avance en voix ou, au moins, d’un bon score. Cette stratégie de premier tour est bien motivée par un choix « contre », contre cet autre candidat dont estime qu’il sera lui aussi présent au second tour et que l’on veut empêcher d’accéder au pouvoir. Elle n'est pas si fréquente que cela : au premier tour, classiquement, l’électeur vote « pour », pour un candidat et ses idées, et même s’il ne pense pas que ce candidat puisse accéder au second tour, il espèrera que cela conduira nécessairement celui qui aura besoin de ses voix à intégrer des éléments de son programme entre les deux tours.

La logique veut donc que l'on soit prioritairement motivé par un vote « pour », ce qui pose la question du rapport entre abstention et offre électorale, c’est à dire à ce mélange entre programme et charisme du candidat. La victoire d’Emmanuel Macron en 2017 est par exemple celle de la rencontre d’un programme, celui de « Révolution », proposant de renverser la table et de sortir de la fausse alternance entre le PS et LR, et de l’acteur doué qui a porté ce programme. Mais il y a sans doute en 2021 chez nombre de Français la même volonté qu’en 2017 de sortir d’un Système dont Emmanuel Macron est finalement apparu comme son plus efficace représentant, une volonté de reprendre leur destin en main. Et pourtant on parle de progression de l’abstention.

Pour lutter contre l’abstention, il faudrait sans doute une conjonction entre plusieurs éléments. Le premier serait que soient évoquées dans les différents programmes les trois éléments qui préoccupent le plus les Français – et ce de plus en plus, comme le montrent les sondages -, à savoir l'insécurité, l'immigration, et l'identité. Pas forcément bien sûr pour donner la même réponse, mais pour que les politiques en terminent avec cette manière de mettre discrètement ces questions sous le tapis. Ce que ne supportent plus les Français, c'est l'euphémisation, la langue de bois, la volonté de nier les évidences les plus criantes, et ils sont prêts ensuite à examiner les solutions diverses qui peuvent être proposées. On n’a aucun doute en tout cas, sur toutes ces questions, de la participation qu’il y aurait si demain l'on organisait des référendums à leur sujet ; et on n’en a guère plus de leur intérêt nouveau si les programmes politiques les prenaient clairement en compte au lieu de chercher à démontrer qu’elles ne se posent pas. 

Le second élément, lié au premier, serait de voir des politiques affirmer avec force leurs convictions et leurs choix. Il n’est que de voir le succès d’audience d’un Éric Zemmour - même s’il ne faut effectivement pas confondre le succès d'un éditorialiste et celui d'un politique – pour constater la soif de clarté dans l'expression, dans la définition des priorités et des choix. Loin de la soumission au politiquement correct dictée par les médias et maintenant les Gafa, si la politique restait, comme l'écrivait Donoso Cortes, le monde « des affirmations absolues et des négations souveraines », on peut penser que l’abstention reculerait.

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