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Kinshasa première ville francophone du monde devant Paris ? Euhh…..non pas encore du moins
©Reuters

Démographie

Un article des Echos prétend que Kinshasa en République démocratique du Congo est la plus grande ville francophone au monde devant Paris. Mais c'est aller un peu vite en besogne...

Atlantico : Selon un article publié par Géopolis, Kinshasa, capitale de la RDC, serait la plus grande ville francophone du monde, avec 12 millions d'habitants, passant ainsi devant Paris. Cette affirmation est-elle conforme à la réalité alors que la RDC, dont la langue officielle est bien le Français, connaît également un grand nombre d'autres langues utilisées sur son territoire ? 

Laurent Chalard : Non, cette affirmation ne correspond nullement à la réalité pour deux principales raisons. 

La première est le manque de fiabilité des statistiques démographiques concernant la République Démocratique du Congo (RDC), et donc Kinshasa, pays où ne s’est tenu aucun recensement de la population depuis 1984, année où Kinshasa comptabilisait officiellement 2,66 millions d’habitants. En effet, parmi l’ensemble des pays de la planète, la qualité des données démographiques de la RDC est considérée comme l’une des moins bonnes. L’estimation de 12 millions d’habitants pour la cité kinoise en 2017, si elle n’est pas forcément éloignée de la réalité, est donc à prendre avec des pincettes ! 

La seconde raison, de loin la plus importante, est que l’article en question fait une confusion entre la population d’une agglomération et le nombre de personnes parlant effectivement le français dans cette agglomération. Or, dans un Etat, tel que la RDC, où la langue française est une langue importée par le colonisateur belge, elle ne peut prétendre être la langue maternelle de la majorité de la population. Dans les faits, seule une minorité de la population est en capacité de s’exprimer clairement en français. Cet article surestime donc grandement la prégnance du fait francophone à Kinshasa.

Dès lors, quelles sont les données pouvant être exploitées permettant de mesurer le nombre de francophones à Kinshasa ? 

Selon les données diffusées sur différents sites internet, le pourcentage de francophones à Kinshasa varie entre 10 %... et 90 % de la population totale ! Il y a donc de quoi en perdre grandement son latin… En fait, tout dépend le critère que l’on utilise.

Normalement, le critère de base dans le cadre des comparaisons internationales est la langue maternelle. Si on l’applique à Kinshasa, on se rend compte que le pourcentage de personnes dont le français est la langue maternelle, est très faible chez les adultes (de l’ordre de 1 % ?), étant un peu plus important chez les jeunes issus des catégories sociales aisées, qui, rappelons-le, sont très peu nombreuses en RDC. Kinshasa est donc bien loin d’être la première ville francophone du monde !

Si l’on utilise un critère un peu plus large, qui ne repose pas sur le caractère acquis de la langue, mais sur la capacité à la maîtriser correctement, c’est-à-dire les personnes sachant lire et écrire le français, leur pourcentage est estimé à moins de 20 % de la population de l’agglomération, c’est-à-dire au grand maximum 2 millions de personnes, ce qui ferait de Kinshasa une agglomération avec un nombre de francophones équivalent à des agglomérations comme Lyon ou Bruxelles, mais en-dessous de Montréal.

Si l’on élargit encore un peu plus notre critère, en se basant uniquement sur la compréhension orale du français, le pourcentage augmente, atteignant probablement le tiers de la population totale. Dans ce cas-là, Kinshasa se trouverait à peu près au niveau de Montréal, deuxième traditionnelle principale ville francophone du monde, après Paris.

Ce n’est que lorsque l’on utilise le critère des personnes connaissant quelques mots de base du français, que l’on arrive au pourcentage de 90 % de francophones avancés par certain, mais cela n’a aucune pertinence sur le plan scientifique !

Quelles sont les plus grandes villes francophones hors de France ? Au rythme des évolutions démographiques, quel panorama de la francophonie peut-on dresser à plus long terme ? 

La version française de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, utilisant les données du site américain demographia.com, dresse une liste de principales villes francophones du monde, qui vaut ce qu’elle vaut, mais constitue une base de comparaison intéressante. Son analyse montrerait qu’Abidjan serait (après Kinshasa et Paris donc) la troisième ville francophone de la planète devant Montréal, ce qui, pour la même raison que Kinshasa ne peut-être devant Paris, n’est pas pertinent. Montréal reste la deuxième ville francophone du monde, le français n’étant parfaitement maîtrisé que par une minorité de la population de la métropole ivoirienne. Plus loin dans le classement, Bruxelles n’arriverait qu’en quinzième position, derrière plusieurs villes africaines (Dakar, Casablanca, Yaoundé, Douala, Ouagadougou, Alger, Bamako, Tananarive), Port-au-Prince à Haïti, et même Beyrouth au Liban, ce qui prête à sourire ! Dans la quasi-totalité des villes que nous venons de citer, la population de langue maternelle française est très minoritaire. Pour l’instant, les principales villes francophones demeurent dans le monde occidental, le Top 5 étant constitué par Paris, Montréal, Bruxelles, Lyon et Marseille.

Par contre, au niveau de l’évolution à long terme, il est fort probable, qu’avec la poursuite de la croissance démographique urbaine en Afrique, les progrès de l’éducation, qui se fait souvent uniquement en langue française, et de la diffusion du français à l’ensemble de la population à travers les médias de masse, que les villes africaines, dont nous avons parlé, finiront par figurer parmi les principales métropoles francophones du monde, en terme de locuteurs effectifs, dépassant dans un premier temps, Lyon et Bruxelles, puis Montréal et finissant par égaler Paris, même si l’ensemble de leur population ne sera pas totalement francophone. Cependant, cette situation ne sera pas le cas avant plusieurs décennies. A l’heure actuelle, affirmer que Kinshasa est devenue la première ville francophone relève plus d’un argument de marketing linguistique de la francophonie, témoignant d’un souhait de la part de ses promoteurs, que d’une réalité concrète.

L'article des Echos

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