Kémi Seba, ce militant politique franco-béninois qui participe à la guerre d’influence de la Russie contre le France<!-- --> | Atlantico.fr
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Kémi Seba.
Kémi Seba.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Ennemi

Lundi 24 octobre, le militant/prédicateur franco-béninois Stélio Gilles Capochichi dit « Kémi Séba » a été invité par le prestigieux Institut d’Etat des Relations Internationales de Moscou à discourir sur « le rôle du panafricanisme dans la résistance multipolaire à l’oligarchie occidentale ». Retrouvez cet entretien avec Loup Viallet.

Loup Viallet

Loup Viallet

Loup Viallet est spécialiste en économie internationale et en géopolitique africaine. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (2020) et Après la paix (2021).

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Atlantico : Vous avez tweeté « Ce 24 octobre, le traître Kemi Seba est à Moscou pour prêter allégeance à l’impérialisme de Poutine et soutenir sa guerre contre l’Occident. » Que dénoncez-vous exactement ?

Loup Viallet : Ce tweet était descriptif. Lundi 24 octobre, le militant/prédicateur franco-béninois Stélio Gilles Capochichi dit « Kémi Séba » a effectivement été invité par le prestigieux Institut d’Etat des Relations Internationales de Moscou à discourir sur « le rôle du panafricanisme dans la résistance multipolaire à l’oligarchie occidentale » en présence des principaux maîtres d’œuvre de la politique du Kremlin en Afrique (parmi lesquels Mikhail Bogdanov, le Vice-ministre russe des affaires étrangères, Igor Morozov, le président de l’AFROCOM…).

La participation de « Kémi Séba » à cet événement est problématique, compte-tenu de l’influence de ses discours sur une partie des Français d’origine africaine et des diasporas africaines présentes sur le continent européen ainsi que sur certaines franges des populations d’Afrique francophone, à qui il présente systématiquement la France comme un Etat qui bâtirait sa puissance et sa richesse sur leur asservissement et leur exploitation. A Moscou, « Séba » a officialisé le lien que son organisation développe avec le régime de Vladimir Poutine depuis plusieurs années. En reprenant la terminologie du discours du président russe (qui n’évoque pas de guerre d’invasion en Ukraine mais une « opération spéciale » devenue « une lutte de résistance contre l’Occident ») il a servi de caution « africaine » à la propagande du Kremlin. En intervenant dans un haut lieu diplomatique de la capitale de la Fédération de Russie moins d’un mois après l’annexion officielle de quatre régions d’Ukraine par le président Poutine, « Séba » a prêté allégeance à l’impérialisme de Poutine.

Si mon expression a fait réagir, c’est aussi parce que cela fait plusieurs jours que Capochichi et moi-même nous affrontons par médias interposés. Il n’a pas supporté que je rappelle publiquement son soutien aux récents coups d’Etat favorisés par la Russie au Mali et au Burkina Faso, ou que je dévoile sa duplicité : Capochichi a fait profession d’instrumentaliser le ressentiment et la haine contre la France, pourtant il n’a jamais renoncé à son passeport français ni aux protections et aux libertés qu’il garantit. A ce jour, il est encore citoyen français, peut circuler librement sur le territoire national, percevoir des prestations sociales, récolter des fonds, donner des conférences et endoctriner des masses. En février dernier, il faisait salle pleine dans la ville de Fleury-Mérogis. Le mois suivant, il entamait une tournée aux Antilles sur le thème « Comment organiser la résistance contre la vie chère et l’injustice coloniale ».

Vous estimez que Kemi Seba participe à la guerre de la Russie contre la France en Afrique. A quel point est-il impliqué ?

J’estime en effet que l’activisme de Capochichi contre le supposé colonialisme français en Afrique (la fameuse Françafrique.. pour rappel les pays d’Afrique francophone représentent moins de 1% du commerce extérieur français) rejoint les objectifs de la stratégie du Kremlin sur le continent africain : renverser des régimes faibles issus de l’ancien empire colonial français, où la mémoire et les symboles anticolonialistes sont facilement manipulables et où les coups d’Etat sont peu coûteux, pour incarner une alternative au modèle occidental que représente la France … et surtout pour profiter de la déstabilisation des sociétés africaines dans un double objectif : faire main basse sur les matières premières et faire pression sur le continent européen en fragilisant son arc-de-crise.

 Comment mesurer l’implication de Capochichi et de son ONG Urgences Panafricanistes ? Donnons lui la parole car ses intentions sont claires. Elles sont synthétisées dans ces extraits d’un message posté sur une de ses chaînes Telegram en date du 3 octobre 2021 :

   « c’est surtout sur la nécessité d’allumer des brasiers de contestation un peu partout sur la plantation (sic) de la françafrique que Kemi Seba et l’ONG Urgences panafricanistes entendent insister »

   Et plus loin : « Le cap est donc fixé vers une stratégie de contagion de foyers de contestation du néocolonialisme dans un maximum de pays africains du pré-carré français de sinistre mémoire »

   Quant aux faits qui étayent ce projet global de déstabilisation, ils sont trop nombreux pour tous les citer. Je vous propose un pot-pourri, un best-of de ses plus grands « actes de résistance ».

Voici le Top 3 en question :

1)    Le 19 août 2017, Kemi Seba brûle un billet de 5000 francs CFA (environ 7 euros) dans un meeting à Dakar pour protester contre le « néocolonialisme monétaire français ». Je rappelle ici que cette monnaie est garantie par le Trésor français, gouvernée par deux banques centrales africaines dont les membres sont nommés par les chefs d’Etats africains, que tous les pays membres sont libres d’en sortir (à l’instar de la Mauritanie ou de Madagascar). Kemi Seba n’a toujours pas compris que si les régimes qu’il soutient au Mali, au Burkina Faso ou en Centrafrique n’ont toujours pas abandonné cette monnaie alors qu’ils sont en crise avec la France, c’est précisément parce que la garantie française ne fonctionne pas comme un instrument de domination colonial mais comme un filet de sécurité financière. L’alternative est l’inconvertibilité, la volatilité et la dollarisation… 

2)    Dans une interview intitulée « Kemi Seba : guerre froide 2.0 » qui a été publiée sur la chaîne youtube « Kemi Seba officiel » le 04 octobre 2020, Capochichi révèle avoir été invité à rencontrer le parrain de Wagner Evgueni Prigojine à plusieurs reprises (« en Russie, au Soudan et en Libye ») et avoir accepté son aide pour poursuivre ses activités « contre l’oligarchie française et occidentale ». « Ceux qui sont contre nos ennemis sont nos amis » lui aurait-il dit. Ainsi Capochichi se vante-t-il d’actes gravissimes, qui relèvent de la haute trahison. Le fait d’entretenir des intelligences avec un puissance étrangère (ou avec ses agents) en vue de susciter des hostilités contre la France est sanctionné de 30 ans de réclusion (article 411-4 du Code pénal). 

3)    J’ai beaucoup hésité pour la troisième place de ce top 3. A ce stade, il n’est plus besoin d’illustrer davantage la dangerosité de l’activisme passé de Capochichi. C’est pourquoi j’ai retenu la nouvelle suivante : le 28 septembre dernier, Capochichi a annoncé l’installation très prochaine du siège international de son organisation à Bamako, capitale gouvernée par une junte de militaires qui ont ouvert la porte au groupe Wagner au Sahel, ainsi que le lancement d’un média, « Afrique Résurrection (A.R ».

Vous m’avez demandé à quel point Capochichi était impliqué dans des actions de déstabilisation contre la France en Afrique (et contre la cohésion nationale sur le territoire national). Au point où il en est, ce ne sont plus des constats mais des procédures qu’il faut développer à son adresse. Comment son organisation Urgences Panafricanistes peut-elle encore continuer à opérer sur le territoire national ? Comment ses canaux de communication peuvent-ils encore rester ouverts au grand public ? Comment peut-il encore garder la citoyenneté d’un Etat-nation qu’il décrit comme un ennemi ?

Au moment où nous réalisons cet entretien, un événement imprévu vient d’arriver : en marge du forum de Dakar, le ministre des Affaires étrangères de la junte malienne a déclaré que le Mali était « prêt à restaurer ses liens avec la France si elle respecte (sic) sa souveraineté ». Comment comprendre cet événement ? Est-ce un retournement de situation ?

C’est certainement un aveu d’échec. Le pivot russe est grippé. Les appuis offerts par Wagner et par la propagande anti-française ont permis au régime chancelant d’Assimi Goita de se maintenir au pouvoir, mais le pays n’est plus gouvernable.

Le départ de Barkhane a précipité des régions entières sous le contrôle de l’Etat islamique dans le Grand Sahara. Le pays se morcelle de plus en plus tandis que les promesses russes commencent à sonner creux : les mercenaires de Wagner se sont moins illustrés par leurs capacité à sécuriser et à stabiliser le Mali que par leur méthodes barbares (en mars 2022, ils massacraient 300 civils dans le village de Moura, dans le cadre d’une opération anti-djihadiste).

Par ailleurs, la Fédération de Russie se révèle être un allié plus fragile que prévu pour la junte malienne. Deux épisodes particulièrement humiliants pour les nouveaux seigneurs de Bamako illustrent cette situation. Le 4 octobre dernier, un Sukhoi Su-25 acquis par les forces armées maliennes un mois auparavant s’est écrasé à Gao, provoquant la mort du pilote russe. Le matériel, défectueux, datait probablement de l’ère soviétique. Plus humiliant encore : mardi 18 octobre dernier, le ministre des Affaires Etrangères malien Abdoulaye Diop accusait à l’ONU la France d’armer les terroristes au Mali. Mais lorsqu’il a demandé l’ouverture d’une réunion spéciale du Conseil de sécurité pour présenter les preuves (lesquelles auraient pu être présentées à n’importe quel autre moment) de sa diffamation, aucun pays membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies n’a voulu soutenir la plainte du Mali, pas même la Fédération de Russie.

J’ai noté que le ministre Diop avait assorti sa proposition de réchauffement des relations avec la France d’une conditionnalité plutôt cavalière : il faudrait que la France « respecte » la souveraineté du Mali. Il serait catastrophique qu’une nouvelle coopération s’engage sous le régime du soupçon permanent. De ce point de vue, le ministre Diop commence sa nouvelle danse par un faux-pas. Le départ des troupes françaises était explicitement motivé par l’arrivée de Wagner ainsi que par les mensonges et les diffamations à répétition du régime malien à l’encontre de la France.

Paris n’a jamais cessé de garantir la stabilité et la convertibilité externe du franc CFA au Mali, permettant aux Maliens de continuer leurs échanges avec les entreprises de la sous-région. De son côté, la junte malienne n’a cessé de décrédibiliser sa parole, non seulement envers les partenaires et alliés du Mali (je pense aussi à l’Allemagne..), mais envers le peuple malien à qui elle prétendait « rendre le pouvoir ». Après avoir été repoussée à de multiples reprises, la date de la future élection présidentielle a été fixée à février 2024. Comment avoir la certitude que les putschistes tiendront parole dans le futur, à leur peuple comme à leurs partenaires ? La junte malienne n’est pas en position d’imposer ses conditions. Il serait plutôt temps pour le ministre Diop de présenter des preuves de respect et des garanties de fiabilité. Y-est-il prêt ? En sera-t-il capable ? Le régime de Bamako pourra-t-il faire son aggiornamento ? Aucun Etat européen, maghrébin ou ouest-africain n’a intérêt à ce que le Mali demeure un foyer d’instabilité.

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