Justice à Monaco : bruits et chuchotements sur le procureur général… qui pourrait être contraint de quitter son poste<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis quelques mois, trouble et interrogations envahissent le Palais de justice de la Principauté.
Depuis quelques mois, trouble et interrogations envahissent le Palais de justice de la Principauté.
©Reuters

Grand ménage

Depuis quelques mois, trouble et interrogations envahissent le Palais de justice de la Principauté. En cause : le procureur général, Jean-Pierre Dreno pointé du doigt pour des poursuites jugées partiales et un appartement acheté à un proche de Berlusconi. Le haut magistrat dément toute faute et toute imprudence.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Le procureur général de Monaco, Jean-Pierre Dreno, en poste depuis près de quatre ans, pourrait partir;
  • Il est mis en cause, entre autres, pour l’achat d’un appartement sur la Riviera italienne à un proche de Silvio Berlusconi;
  • Le haut magistrat  se défend d’avoir commis la moindre faute  ou imprudence  à l’occasion de cette transaction immobilière;
  • Un mauvais climat semble régner au Palais de justice avec des accusations anonymes lancées contre un autre magistrat;
  • La Chancellerie suit de très près les évènements, des magistrats français étant détachés à Monaco.

L’affaire commence à susciter interrogations et trouble sur le Rocher. Depuis plusieurs mois en effet, revient sans arrêt au Palais de justice le nom de Jean-Pierre Dreno, actuel procureur général de Monaco pointé du doigt dans des histoires jugées par certains, peu orthodoxes. Aussi, circulent depuis quelques jours à Monaco des rumeurs insistantes sur son prochain départ. Le directeur des services judicaires de la Principauté, Philippe Narmino, premier monégasque à occuper ses fonctions – alors qu’elles sont dévolues à un magistrat français –, qui est en réalité le ministre de la justice, mais sans siéger au conseil de gouvernement, cherche, dit-on, un successeur à Jean-Pierre Dreno. Ne manquerait que le feu vert du Prince Albert II et du Ministre d’Etat, Michel Roger, ancien membre des cabinets de Jean Lecanuet, René Monory et Jean-Pierre Raffarin, dont les fonctions s’apparentent à celles de Premier ministre. Pourquoi ces bruits sur Jean-Pierre Dreno, ancien procureur à Perpignan, aux Sables d’Olonne, à Papeete et à Pau, en poste depuis  près de quatre ans  à Monaco ?

Tout commence en 2012, lorsque Jean-François Robillon, alors président du Conseil national – l’équivalent de l'Assemblée nationale – commande à l’institut Opinion Way un sondage  pour savoir quelles sont les intentions de vote des électeurs monégasques. Les résultats sont positifs pour Robillon puisqu’ils le donnent gagnant. En février 2013, pourtant, ce dernier est battu et, le lendemain de sa défaite, placé en garde à vue tout comme son chef de cabinet Sébastien Fiorucci. Un scandale couve-t-il ? Pourquoi cette garde à vue ? Tout simplement, les adversaires politiques de Jean-François Robilllon ont saisi la justice estimant que, ce dernier, pour la réalisation du fameux sondage aurait violé le secret de données personnelles des électeurs monégasques… contenus dans un annuaire. Rien de bien méchant.

Pourtant, la machine judiciaire s’emballe. Jusqu’à ce que Robilllon, devenu chef de l’opposition municipale porte plainte à son tour contre le procureur général Dreno pour violation de l’enquête judiciaire. Le magistrat, selon Robillon, à travers de nombreux communiqués, n’aurait pas respecté la confidentialité des investigations. Un procès a lieu début 2014. Le 15 avril, le tribunal relaxe le procureur général. Ce qui fait pas mal de bruit. Affaire terminée ? Pas du tout, car l’instruction sur les sondages se poursuit, malgré le non-lieu décerné par le juge le 2 août 2013. En effet, le procureur général a fait appel. Le procès se tient le 5 mai 2014. Le 8 juillet, le verdict tombe : Robillon et Fiorucci écopent chacun, de 2 500 euros d’amende "pour mise en œuvre d’un traitement d’informations nominatives sans avoir effectué les formalités préalables." Evidemment, certains souriront que Clochemerle fasse un passage du côté du Rocher. Ils ont  sans doute raison, quand survient une autre histoire, révélée par Le Point, qui une fois encore met en cause Jean-Pierre Dreno. Lequel semble ne pas avoir que des amis  à Monaco.

Dans son numéro du 26 novembre 2014, l’hebdomadaire  raconte que le haut magistrat aurait acheté un appartement  dans la très plaisante station balnéaire Ospedaletti, située sur la Riviera italienne, à trois quart d’heures de route de Monaco. Prix d’achat : 500 000 euros. Mais surtout, Le Point écrivait que  le vendeur n’était autre qu’un certain Erminio Giraudi, présenté comme une relation proche de Silvio Berlusconi et impliqué dans le scandale Mediaset pour corruption. Voilà qui faisait tache, et qui a contraint Jean-Pierre Dreno  à s’expliquer dans un droit de réponse. Après avoir détaillé les conditions d’achat de son appartement, s’être justifié sur les économies dont il disposait pour cette transaction– en 39 ans de carrière professionnelle, quoi de plus normal –, le haut magistrat s’est montré catégorique : il ignorait totalement les liens existant entre Berlusconi et Erminio Giraudi. Et de préciser que le vendeur de l’appartement était en réalité le frère de ce dernier, résidant aux Pays-Bas. Mais en raison de son grand âge, 85 ans, ne pouvant se déplacer, il avait donné une procuration spéciale à Erminio Giraudi. A ses yeux, rien de répréhensible à cela.

C’est peu de dire que la médiatisation de la transaction immobilière effectuée par Jean-Pierre Dreno, ajoutée à sa conduite dans la direction du Parquet général jugée contestable par certains monégasques, est du plus mauvais effet pour la magistrature du Rocher. D’autant plus que circulent sous le manteau de méchantes notes anonymes sur un autre magistrat où sont évoqués des détails peu ragoûtants sur sa vie privée, ainsi qu’une tolérance apparemment scandaleuse sur la gestion de certains dossiers. Les mêmes notes révèlent qu’il serait peu probable que les services de renseignement – notamment la DGSE – ne soient pas informés de ces imprudences.

Affirmations vraies, fausses, ou déformées outrageusement ? Si la troisième  hypothèse semble plausible, ces allégations témoignent du mauvais climat régnant dans les sphères judiciaires et politiques du Rocher. Est-il écrit que périodiquement, quelques soubresauts, dès qu’on parle de justice, agiteraient le Rocher ? A la fin des années 90, quelques magistrats français – détachés du ministère de la Justice – avaient eux aussi été montrés du doigt, mais pour des raisons diamétralement opposées. Ils s’appelaient Charles Duchaine et Dominique Auter, respectivement juge d’instruction et substitut général. Pugnaces, soucieux de  respecter la mission de service public qui leur était confiée, ils ont éprouvé les pires difficultés  dans leur lutte contre le blanchiment ou d’autres dérives financières. Tous deux ont fini par quitter la principauté. Charles Duchaine, après avoir été en poste à Bastia a rejoint Marseille où il a instruit, entre autres, l’affaire Guérini. Magistrat exemplaire, d’un grande probité, il est depuis quelques mois le directeur de l’Agence (AGRASC) chargée de gérer les avoirs criminels (trafics de drogue, blanchiment) saisis par la justice… Il y a 16-17 ans, l’intransigeance gênante de Duchaine et Auter – au départ vertement critiquée par la haute hiérarchie judiciaire du Rocher –  avait finalement eu un effet bénéfique : inciter Monaco à faire le ménage du côté des mafieux, à se  montrer plus vigilant dans la lutte contre le blanchiment et tout faire pour que la Principauté redevienne insoupçonnable. Espérons que ces récents évènements ne s’apparentent qu’à un faux pas provisoire.

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