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Jusqu'où pourrait monter la France insoumise pendant le quinquennat Macron ?
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Plafond de verre

La France insoumise s'installe progressivement dans le paysage politique français et est vue comme la première force d'opposition à Emmanuel Macron. La fin d'un plafond de verre ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Selon un sondage IFOP publié le 6 septembre, 45% des Français estiment que la France insoumise incarne le mieux l'opposition au Président de la république, mais un sondage Odoxa publié par le Figaro le 21 septembre indique que 66% des Français jugent que Jean Luc Mélenchon serait lui-même un mauvais président. Alors que la France insoumise s'installe progressivement dans le paysage politique français, quelle est la marge de progression du parti ?

Bruno Cautrès : ​La question de la marge de progression de la France insoumise est une question qui n’a pas de réponse définitive ; nous sommes dans un contexte politique où plusieurs éléments importants vont bouger au cours des deux ou trois prochaines années notamment: les résultats économiques des politiques mises en chantier par Emmanuel Macron et la capacité ou pas du Parti socialiste à renaître de ses cendres. Selon les évolutions, on verra la France insoumise se renforcer ou au contraire revenir à un étiage plus bas. Les élections intermédiaires (les européennes 2019 et municipales 2020) seront un vrai test pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Avant ces échéances, sa capacité à prolonger la dynamique de la campagne 2017 et à faire vivre une forte opposition à Emmanuel Macron jouera un rôle important dans la dynamique ou la stabilisation du phénomène. Le fait qu’Emmanuel Macron ait choisi en Jean-Luc Mélenchon son principal opposant montre que le pari est fait, côté LREM, que l’électorat de centre-gauche ne reviendra pas vers des formations politiques trop à gauche au plan économique. Mais ce pari pourra t’il être gagné si les politiques mises en œuvre par le gouvernement ont une trop forte tonalité de droite ?

Voici quelques éléments qui peuvent avoir une influence sur la dynamique de la France insoumise. Mais au-delà de ces éléments de court terme, le terreau sur lequel le France insoumise pourrait continuer à se stabiliser à un bon niveau électoral, voire à progresser, existe ; la France qui conteste la mondialisation et le monde de la finance, celle qui adhère aux passerelles que Jean-Luc Mélenchon fait entre ces questions et celles de l’environnement, existe. L’élection présidentielle de 2017 a paradoxalement montré la défaite de ce camp face à Emmanuel Macron mais aussi son ampleur. C’est peut-être même l’un des principaux enseignements de cette élection : il n’y a pas de consensus dans notre pays sur la question de la France vis-à-vis de l’économie ouverte et globalisée. Des représentations différentes de cette question s’opposent et ne vont d’ailleurs que prendre de l’importance.

Est-il possible de considérer que la France insoumise, de la même façon que pour le Front national, peut être soumis à un effet de plafond de verre ? En quoi les leçons du second tour de l'élection présidentielle peuvent-elles éclairer un tel effet ? 

Pour répondre à cette question, il est tout d’abord important de rappeler la progression de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2017, par rapport à 2012. Cette progression est assez impressionnante. En réunissant sur son nom plus de 7 millions de bulletins de vote en 2017 a presque multiplié par deux son score de 2012. C’est un cas assez unique depuis 1958.

Jean-Luc Mélenchon a très largement remporté la bataille du leadership sur l’ensemble du vote de gauche dans cette présidentielle. Le candidat de la France insoumise a reçu plus de 70% du vote de gauche qui s’est exprimé au premier tour, laissant loin derrière lui le candidat socialiste (Benoit Hamon, 2 291 288 voix, soit près de 23% des votes de gauche) ou les deux candidats de l’extrême gauche (Philippe Poutou et Nathalie Arthaud qui totalisent ensemble un peu plus de 600.000 votes seulement (626889 exactement). Ces plus de 7 millions de votes ont permis à Jean-Luc Mélenchon d’obtenir la quatrième place du premier de la présidentielle que l’on presque qualifier de troisième place ex-aequo avec François Fillon.

On voit donc que, comme pour le FN, s’il existe un « plafond de verre », la hauteur de ce plafond a été nettement repoussée. Mais gagner l’élection présidentielle est une autre affaire. Par ailleurs, la France insoumise, comme le FN, a une très bonne capacité à incarner l’élection présidentielle à travers son leader ; mais se posera la question, un jour, de sa succession. L’un des points importants de la stratégie de la France insoumise au cours de la dernière présidentielle (vis-à-vis de ce point) a été de faire monter une jeune génération de nouveaux visages autour de Jean-Luc Mélenchon afin justement de montrer qu’une équipe est derrière le leader historique et charismatique. Cela représente un atout pour la formation de Jean-Luc Mélenchon, mais il faudra que cette nouvelle génération gagne en visibilité.

Quelles sont les obstacles à une plus forte progression de Jean Luc Mélenchon et de la France insoumise ? Ces obstacles sont ils surmontables ? 

La sociologie du vote Mélenchon de 2017 montre que si les scores obtenus dans les catégories populaires sont plus importants qu’en 2012, cet électorat s’est davantage tourné vers Marine Le Pen. Il faut donc, pour que Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise continuent de repousser le « plafond de de verre », qu’ils attirent davantage cet électorat tout en ne faisant pas partir l’électorat de gauche qui est venu se porter sur eux en 2017 dans un contexte de déclin du PS. Cette alliance des couches populaires et des classes moyennes est l’alliance qui avait porté François Mitterrand à l’Elysée en 1981 et sur laquelle le PS a diffusé son ancrage dans les villes notamment. De même, il faudrait que Jean-Luc Mélenchon attire davantage encore d’électeurs travaillant dans le secteur public. L’un des principaux ressorts d’une élection présidentielle tient dans la capacité du candidat vainqueur à proposer aux Français un diagnostic sur le pays et des solutions. La victoire d’Emmanuel Macron tient en partie au fait d’avoir su incarner la lassitude des Français vis-à-vis de la classique alternance gauche/droite. Pour Jean-Luc Mélenchon, il lui faudra pouvoir proposer aux Français une interprétation du macronisme sur laquelle les choses peuvent prendre : il s’agit pour lui de montrer que le projet d’Emmanuel Macron est celui du triomphe de la finance, que les vraies injustices de la vie ne peuvent être combattues par le nouveau gouvernement et que les politiques d’Emmanuel Macron sont sources de nouvelles inégalités et exclusions sociales. On a vu hier, dans son discours à l’issue de la « marche des insoumis » que Jean-Luc Mélenchon demandait aux insoumis de se mettre en marche….On voit que la tâche est immense, que la marche sera longue pour fédérer une majorité de Français autour d’un projet économique et social ayant vocation à faire une majorité. Mais après tout, Emmanuel Macron vient de montrer qu’en politique il faut croire dans ses rêves et oser…. : une « autre marche » est-elle possible ? C’est sans aucun doute à apporter une réponse positive à cette question que la France insoumise va miser dans les mois qui arrivent. 

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