Jusqu’où ira la haute hiérarchie judiciaire française pour favoriser l’immigration et empêcher le contrôle de nos frontières ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé mardi pour modifier la loi concernant l'aide juridictionnelle, qui pourra désormais être étendue aux personnes en situation irrégulière.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé mardi pour modifier la loi concernant l'aide juridictionnelle, qui pourra désormais être étendue aux personnes en situation irrégulière.
©Hans Lucas / AFP

Immigration

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé mardi pour modifier la loi concernant l'aide juridictionnelle, qui pourra désormais être étendue aux personnes en situation irrégulière.

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est professeur émérite de l’Université Paris1- Panthéon-Sorbonne ; Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel ; Ancien Conseiller d’Etat (S.Ex.) ; Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature et membre de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe
Voir la bio »

Atlantico : Le Conseil constitutionnel s'est prononcé ce mardi pour modifier la loi concernant l'aide juridictionnelle. Elle devra être étendue aux personnes en situation irrégulière. Cette décision ne va-t-elle pas favoriser l’immigration et empêcher le contrôle de nos frontières ? Que faut-il penser de la hiérarchie judiciaire française ?

Bertrand Mathieu : Cette décision s'inscrit dans une logique assez proche de celle qui avait conduit le Conseil constitutionnel, sur la base du principe de fraternité, à refuser la pénalisation de l’aide apportée au séjour des étrangers en situation irrégulière. Le Conseil constitutionnel assimile de plus en plus les nationaux, les étrangers en situation régulière et les étrangers en situation irrégulière. La logique voudrait, en ce qui concerne le droit au recours, qu'un étranger en situation irrégulière ne puisse bénéficier d’une aide juridictionnelle que pour faire valoir qu'il est en réalité en situation égulière. Cela serait  logique et parfaitement admissible. Le problème est qu’à partir du moment où vous considérez, sur le plan des droits sociaux, de l'aide juridictionnelle et même des libertés en général que les étrangers qui sont en situation irrégulière se trouvent, de fait, dans la même situation que les étrangers qui sont en situation régulière et a fortiori que les nationaux, cela entraîne incontestablement un appel d'air. En réalité le droit de l’Etat d’admettre, ou non, un étranger sur son territoire qui est l’un des attributs essentiels de la souveraineté, est remis en cause. En effet l’entrée en France d’un étranger sans que cette entrée soit acceptée par l’Etat ou même nonobstant un refus, conduit à lui reconnaître un ensemble de droits qu’il peut opposer à ce dernier.  Les prérogatives de l’Etat sont ainsi paralysées. 

Le deuxième facteur clé vient des droits européens et, notamment, des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme du Conseil de l'Europe et de la Cour de justice de l'Union européenne. Il est  assez logique de considérer que les droits des étrangers européens sont les mêmes que ceux des nationaux dans un certain nombre de domaines, tout en excluant  les droits politiques. Mais, la jurisprudence de la Cour de justice et la politique de la Commission européenne ont une portée beaucoup plus large et imposent aux Etats de respecter un carcan de règles favorables aux étrangers extra-européens.  Malgré des encadrements récents, ces règles sont très favorables à la reconnaissance des droits des étrangers en situation irrégulière, c'est-à-dire qu’elles conduisent à reconnaître implicitement une faculté   d'accès des étrangers au territoire national. Plus encore les pays qui tentent de freiner la migration aux frontières de l’Europe sont souvent « suspects » au regard des autorités européennes. Cela est encore plus vrai pour la Cour européenne des droits de l'homme qui, elle, a tendance à faire bien évidemment prévaloir les droits individuels des individus, indépendamment de leur nationalité, sur la souveraineté des États.

La souveraineté des États, dans laquelle rentre, comme il a été dit, le contrôle des frontières, est menacée du fait de ces contraintes externes et internes, fabriquées pour une large part, par des organes juridictionnels.

N'y a-t-il pas un biais politique ou idéologique derrière cette décision du Conseil constitutionnel ? A force de nominations à la tête du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’Etat par Emmanuel Macron, n’assiste-t-on pas à l’imposture du et en même temps avec cette décision ? 

Bien sûr on peut analyser, du point de vue national, la situation au prisme de la composition des juridictions concernées et du rôle du pouvoir politique dans les nominations, mais l’essentiel de la question n’est pas là, me semble t-il. D’ailleurs des nominations sur des critères politiques, quels qu’ils soient, du fait d’un camp ou d’un autre, sont dommageables, au regard du principe d’impartialité plus encore que de celui d’indépendance.  Plus profondément, et donc de manière d’autant moins réversible, le biais idéologique à l’œuvre est commun à quasiment toutes les juridictions européennes et, par répercussion ou de manière autonome, aux juridictions nationales. Il fait prévaloir les droits des individus sur les intérêts de la nation. Il s’agit plus d’un biais idéologique que d'un biais politique. Dans ce système de pensée  les droits de l'individu, quelle que soit sa nationalité, doivent prévaloir de manière quasiment absolue, sur des considérations relatives à la protection de la nation. Cette dérive est extrêmement développée dans toutes les juridictions. Le droit se construit de plus en plus à partir des droits de l'individu. Ces droits doivent prévaloir, quelle que soit la situation juridique de l'individu par rapport à l'Etat dans lequel il se trouve. Dans ce contexte le principe de non-discrimination impose de ne pas distinguer entre nationaux et étrangers, entre les étrangers, entre amis et ennemis…  L’état de droit, qui a pour mission essentielle la protection contre l’arbitraire et le respect des normes juridiques, devient, dans ce cadre, un outil au service de cette idéologie 

Par rapport à cette décision française du Conseil constitutionnel, y a-t-il eu des jurisprudences de la CEDH et de la Cour de cassation assez emblématiques et des cas assez similaires par le passé ?

Il y a une très forte cohérence de la jurisprudence dans les différentes instances européennes et entre les pays. Les contraintes européennes sont très fortes. Les juridictions nationales, qu'il s'agisse du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel, ont tendance à surinterpréter les décisions des juridictions européennes. Les dirigeants politiques, sur le plan national, sont très largement paralysés.

A l'aune des élections européennes et au regard de ces décisions prises par les hautes juridictions, comment faire pour contrôler nos frontières ou revenir à des normes plus nationales ?

Si le gouvernement et législateur nationaux devraient exercer, en la matière un rôle essentiel, il est, malheureusement, assez utopique d’attendre de leur intervention la solution de ces problèmes.  Vous pouvez faire voter toutes les lois que vous voudrez sur le contrôle des frontières ou sur les politiques liées à l’immigration, elles seront sanctionnées par le Conseil constitutionnel, comme le démontre la récente décision sur la loi immigration. A supposer que de telles lois passent le filtre du Conseil constituionnel, les juges nationaux seront susceptibles de ne pas les appliquer en considérant qu'elles sont contraires aux normes européennes. Il y aura une paralysie du législateur national, comme du gouvernement, du fait, non pas d’un contrôle juridictionnel, parfaitement légitime, mais de la manière dont il s’exerce.

Indépendamment desorientations dont il est porteur, le politique est donc paralysé. Dans l'état actuel des choses, quelle que soit la majorité au pouvoir, elle serait dans l’incapacité d’agir. C'est pour cela que les réformes et les programmes politiques sont souvent vains Les électeurs en sont conscients, ou en ont l’intuition, c’est pourquoi ils se réfugient dans l’abstention ou des votes contestataires. Les programmes, même ceux des partis les plus engagés dans le contrôle de l’immigration,sont en réalité, en l’état, inapplicables parce que les juges ont la maîtrise du système et l’ont verrouillé. La grande interrogation est de savoir comment essayer d'en sortir ? Bien sûr on peut imaginer, supprimer le Conseil constitutionnel, quitter l’Union européenne, dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme, mais c’est alors d’une rupture avec l’état de droit, dans sa conception la plus essentielle dont il s’agit. Si les juges ne sont pas, stricto sensu, des organes démocratiques, ce sont des organes nécessaires à la démocratie. En fait, il faut bien considérer que la révision du Traité sur l’Union européenne, aussi nécessaire soit-elle, reste très compliquée tant elle exige l’unanimité des Etats concernés. Sortir du système   de la Convention européenne des droits de l'homme ne changerait pas grand-chose car la Cour de justice de l'Union européenne reprend largement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. La situation paraît bloquée de tous les côtés.

En réalité, il n’existe aucune solution réaliste et évidente. Sortir du Conseil de l'Europe ne résout pas le problème. Pour changer l'Union européenne, encore faut-il réviser les traités à l’unanimité. La quitter ne me semble pas être une option possible ou même souhaitable. Et il n’est pas possible de revenir sur une décision du Conseil constitutionnel.

A longueur de colonnes et de débats politiques, il n’est question, tout du moins dans une partie du champ politique, que de la reprise en main par la France de son destin, en particulier dans le domaine de l’immigration et de lutte contre le « gouvernement des juges ». Mais le travail de fond sur la recherche de solutions réalistes n’est pas réellement conduit. On peut comprendre qu’il soit difficile de l’utiliser dans le débat public, car si les objectifs sont assez clairement identifiables, les solutions sont beaucoup plus techniques. 

J’estime, mais ces solutions sont partielles et méritent d’être débattues, qu’il convient d’essayer de chercher des outils constitutionnels. Ces outils doivent permettre de surmonter, sur la question qui nous intéresse, et dans quelques cas, tant la jurisprudence du Conseil que les droits que les jurisprudences européennes. 

L’une des solutions envisageables, et je ne mésestime pas la levée de boucliers qu’elle suscitera,  serait et de  permettre au Parlement de surmonter, avec une majorité des deux tiers, une décision du Conseil constitutionnel. Elle n’est pas vraiment « révolutionnaire » à partir du moment où, en l’état du droit, le constituant peut toujours surmonter une décision d’annulation prononcée par le Conseil constitutionnel. Mais cet instrument n’est pas toujours pertinent.  

Prenez l'exemple de la décision sur l'aide aux étrangers en situation irrégulière censurée au nom du principe de fraternité. Vous n’allez pas inscrire dans la Constitution qu'il est interdit d'aider les étrangers en situation irrégulière, ni supprimer le principe de fraternité. L'une des possibilités, qui est peut-être un peu technique, est d’opérer une sorte de « validation constitutionnelle ». Cette procédure n’aurait vocation à s’appliquer  que dans des cas exceptionnels. A une forte majorité, le législateur pourrait décider que la loi s'applique nonobstant la décision du Conseil constitutionnel. Ce qui ne veut pas dire qu'on révise la Constitution mais que sur un cas particulier, il faut faire prévaloir la volonté politique sur la décision du Conseil constitutionnel.

Le deuxième outil possible serait d'inscrire dans la Constitution que, sous réserve du droit constitutionnel d'asile, et des droits reconnus aux ressortissants des pays de l’Union européenne, la France détermine librement les conditions d’accès et de séjour des étrangers sur son territoire.. Cela vise à créer un principe constitutionnel que le Conseil constitutionnel sera obligé d'appliquer. Cette rédaction  permettrait surtout  de faire prévaloir, vis-à-vis des droits européens, un principe inhérent à l'identité constitutionnelle. 

Parmi les solutions nécessaires, réformer la Constitution est la seule qui manifeste une volonté politique échappant aux contrôles juridictionnels et aux contraintes externes. C’est en quelque sorte le dernier refuge de la souveraineté nationale. Mais elle exige de réunir une majorité décidée. 

Après la décision du Conseil constitutionnel d’accorder l'aide juridictionnelle aux étrangers en situation irrégulière au nom du « principe d'égalité devant la justice », jusqu'où pourrait aller ces ces hautes juridictions  françaises pour favoriser l'immigration et empêcher le contrôle de nos frontières ? Est-ce que la situation pourrait-elle encore s’aggraver en cas de futures décisions ?

La situation pourrait s’aggraver en conduisant à un renforcement de l’assimilation des étrangers en situation irrégulière de ceux qui sont en situation régulière et même aux nationaux, concernant l’ensemble des droits et des prérogatives dont ils peuvent jouir sur le territoire national. Nous traversons une époque où le principe de nationalité est un principe qui perd beaucoup de sa vigueur au regard des droits de l'homme. Il y a une distinction à faire entre les droits du citoyen et les droits de l'homme. Du côté européen, la jurisprudence européenne fait plus qu'influer les jurisprudences nationales, la nationalité est une question secondaire ou subalterne, notamment pour la Cour européenne des droits de l'homme. 

Il est évident que plus vous faites de l’étranger en situation irrégulière un titulaire de droits opposables, plus vous favorisez l'immigration irrégulière. L'étranger va pouvoir bénéficier d’aides, notamment en matière de recours juridictionnels, dont il pourra, le cas échéant abuser pour se maintenir sur le territoire et bénéficier, à teme, de nouveaux droits,  alors même qu’il ne bénéficie du droit d'asile, et alors même qu'il est entré irrégulièrement sur le territoire national. Incidemment, cette aide bénéficiera à des associations qui favorisent directement ou indirectement les séjours irréguliers. In concreto cette situation doit être appréciée au regard du fait qu’Il est aussi de plus en plus difficile d’expulser les étrangers en situation irrégulière. Le droit des étrangers est extrêmement complexe. Un service de préfecture ne peut pas faire autrement que de commettre de temps en temps des erreurs, qui conduiront au maintien sur le territoire de personnes indésirables, voire dangereuses.

A partir du moment où il y a des procédures qui sont très longues, entre le refus du droit d'asile et le dernier recours au Conseil d'Etat, il peut s'écouler une année ou deux. L'étranger va alors pouvoir faire valoir, par exemple, qu'il a une vie familiale normale en France. La situation de l’individu  prise en compte, sera non pas celledans laquelle il se trouvait quand on lui a refusé le droit d'asile, mais telle qu’elle se présente après un ou deux ans de séjour. Enfin, à supposer que l’obligation de quitter le territoire (OQTF) devienne définitive, il sera très difficile de prendre des mesures contraignantes. Si un étranger en situation irrégulière refuse d'embarquer, l'OQTF, ne sera pas effective. 

Il y a des vannes qui s'ouvrent à l'entrée et des vannes qui se ferment à la sortie.

D'un point de vue juridique, comment considérer cette décision du Conseil constitutionnel d'accorder l'aide juridictionnelle aux étrangers au nom du principe d'égalité devant la justice ? Comment expliquer cette décision ?

Pour les étrangers en situation régulière, le problème ne se pose pas, parce qu'à partir du moment où la France accepte des étrangers sur son territoire, elle leur fait bénéficier d’un certain nombre de droits. Il y a une certaine logique. Le problème concerne le droit applicable aux étrangers dont elle n'a pas accepté l'accès sur son territoire. Le principe d'égalité est alors un principe relativement destructeur et en trompe l’oeil. En théorie, il n’a pas pas vocation à s’appliquer lorsqu’ une différence de situation  justifie une différence de traitement. Ce que rappelle d’ailleurs le Conseil constitutionnel sans en tirer les conséquences qui pourraient s’imposer. La décision du Conseil constitutionnel a tendance ainsi à effacer de manière très large la différence de situation qui justifie une différence de traitement.

Par exemple, et sans vouloir substituer une analyse doctrinale à une décision juridictionnelle, les solutions retenues auraient pu être beaucoup plus nuancée. Comme pour les  droits sociaux, le Conseil constitutionnel aurait pu parfaitement prendre en compte une différence de situation au regard de la différence qui existe entre un étranger en situation régulière et un étranger en situation irrégulière.

L'aide juridictionnelle aurait pu n’être accordée que lorsqu'un étranger en situation irrégulière fait un recours pour demander à prouver qu'il est, en réalité, en situation régulière.

Le Conseil constitutionnel aurait pu ainsi demander au législateur de définir des cas exceptionnels dans lesquels l'étranger en situation irrégulière pouvait bénéficier de l’aide à l'assistance d'un avocat. Mais le Conseil constitutionnel a posé un principe général sans distinction. Cette jurisprudence me semble de ce point de vue contestable.

Y a-t-il encore des garde-fous face aux hautes juridictions à l'avenir ou est-ce peine perdue ? Les politiques ont-ils perdu la main face à ces décisions des hautes juridictions nationales ou de la CEDH ?

Les politiques ont perdu la main. Nous sommes dans un contexte où la majorité des responsables politiques passe son temps à déplorer un certain nombre de choses mais les solutions proposées sont assez irréalistes, soit qu’elle soient homéopathiques, soit qu’elle visent à «  renverser la table » sans que les conséquences en soient mesurées. Il y a assez peu de propositions concrètes. Pour ma part, mais d’autres solutions peuvent être inscrites dans le débat j’estime que e travail doit porter sur des réformes constitutionnelles et qu’en la matière, après un large débat, l’outil devrait être référendaire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !