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Jean-Pierre Chevènement a 80 ans : mais qui saura reprendre l’héritage de cette gauche qui aime la nation ?
©Jean-Pierre Belzit / POOL / AFP

Joyeux anniversaire

L'idée d'une "gauche au service de la France" semble disparue aujourd'hui.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce 9 mars, Jean-Pierre Chevènement fêtera son 80e anniversaire. L'emblématique maire de Belfort a apporté une voix forte dans le paysage politique française autour de l'idée d'une "gauche au service de la France", c'est à dire d'une approche de la Nation de gauche, qui semble disparue aujourd'hui. En quoi cette approche pourrait-elle encore faire sens dans le paysage politique actuel ? 

Edouard Husson : Jean-Pierre Chevènement a été vu, de plus en plus, comme une personnalité admirable mais isolée, à gauche. Il est en fait la pierre de touche des renoncements de la gauche. C’est tout le paradoxe de sa campagne présidentielle en 2002: elle s’adresse théoriquement aux « républicains des deux rives »; mais, ayant assisté à plusieurs meetings de la campagne et rencontré Jean-Pierre Chevènement à plusieurs reprises dans ces mois-là pour parler de la politique allemande, je me souviens que la greffe d’une droite gaulliste ou souverainiste sur la gauche républicaine ne prenait pas. Même si l’ancien ministre a recueilli à peu près 40% de voix de droite lors du vote, on était très loin d’avoir une influence semblable de la droite dans son état-major. C’est en observant la campagne de Jean-Pierre Chevènement que j’ai compris que « l’union nationale » est un phénomène réservé au temps de guerre. Il faut la menace suprême, celle d’une invasion militaire, pour que les cultures politiques respectives de la droite et de la gauche s’effacent quelque peu. Ce constat n’en rend que plus évident la faillite politique de la gauche qui, depuis vingt ans, a été incapable de se saisir du thème de la nation. Après tout, la droite a tiré, au moins superficiellement, les conséquences du choc de 2002 - Jean-Marie Le Pen au second tour - en se rassemblant autour de Nicolas Sarkozy.  On observe bien un phénomène du même type, à gauche, avec Ségolène Royal mais sa campagne est sabotée de l’intérieur par une partie des dirigeants du PS, qui n’acceptent pas de la suivre. Cinq ans plus tard, François Hollande noie complètement la saveur de la liqueur chevènementiste dans un immense verre d’eau: il n’est pas étonnant que son quinquennat ait été un tel fiasco. Les socialistes sont aujourd’hui devenus insignifiants électoralement; la gauche strauss-kahnienne constitue une bonne part des cadres du macronisme. Il y avait donc la place pour un nouveau Chevènement en 2017 et Mélenchon a occupé cette place. Mais il lui manque trois qualités éminentes de l’ancien ministre: l’amour de la nation, la culture historique et la compétence économique. 

Au regard du contexte politique occidental qui voit un retour de la nation comme thème dominant, porté majoritairement par des partis de droite, doit-on voir cette idée de la nation de gauche comme obsolète ? 

Je ne le crois pas du tout. Au contraire: le pays a éminemment besoin qu’émerge un grand parti de gauche qui à la fois renouvelle la social-démocratie et réenracine la gauche dans son terreau national. Le macronisme est une impasse pour la gauche, exactement comme le juppéisme pour la droite. Non seulement il ne serait pas bon qu’émerge seulement une nouvelle droite gaulliste et conservatrice: c’est qu’elle ne réussira pas à se structurer complètement s’il n’y a pas, en face d’elle, une vraie gauche. La démocratie a besoin d’une droite et d’une gauche. L’électorat a besoin de pouvoir choisir entre des éléments d’alternative. Nous avons besoin, au parlement, d’une majorité et d’une opposition. Les défis qui nous attendent sont suffisamment énormes pour qu’il n’y ait pas une seule réponse politique. Comment mettre en place une nouvelle vague de décentralisation? Quelle façon de faire coopérer la sphère publique et la sphère privée vue les énormes besoins de financement de notre économie ? Quelle doit être la réorganisation de l’Etat? Quelles sont nos priorités en matière de relations internationales? Quelle forme doit prendre l’école au XXIè siècle ? Sur tous ces sujets, il faut une droite et une gauche qui, dans la fidélité à l’histoire de la nation, propose des solutions possibles et différentes. 

Quels seraient les bénéfices à tirer par la gauche, de se réapproprier cette thématique ? 

C’est pour la gauche une question existentielle ! C’est la condition de nouvelles victoires électorales. Le macronisme est une impasse, à la fois politique, intellectuelle et morale. Emmanuel Macron est largement la réalisation de l’illusion strauss-kahnienne, celle d’une gauche qui abandonne la nation. Et cela débouche sur une guerre de classes qui ne dit pas son nom, illustrée par les violences policières auxquelles nous assistons. C’est l’émancipation réservée aux happy few. Ce n’est pas le progressisme qui est condamnable chez Macron, c’est le fait qu’il ne s’adresse pas à tous les Français. Actuellement, Emmanuel Macron vit dans l’illusion qu’il va pouvoir indéfiniment camper au centre, intimider la gauche et vivre de son affrontement avec Marine Le Pen. La nouvelle mode est de parier sur la réélection de Macron. On oublie juste que l’actuel président n’a même pas soufflé sa deuxième bougie d’anniversaire au pouvoir. Son pouvoir s’est désintégré à une vitesse inouïe. Imaginons abstraitement que Macron réussisse son calcul; mais le pays serait dans un état pitoyable ! Surtout, le monde va énormément changer dans les trois ans qui viennent:  le Brexit va réussir, Donald Trump sera réélu; l’Allemagne va se morceler politiquement; la Chine va connaître des troubles intérieurs; la pression de l’immigration sur l’Europe va augmenter; la crise sociale et politique française va s’approfondir etc........ Nous allons avoir besoin d’une reconstruction complète de la politique, en France, à gauche comme à droite, si nous ne voulons pas que le pays devienne un bateau ivre. Jean-Pierre Chevènement, avec son expérience et sa lucidité  peut jouer un rôle éminent dans la reconstruction de la gauche ! C’est pourquoi il faut lui souhaiter encore de longues années en bonne santé. Il faut souhaiter que de nouvelles générations de gauche aient l’intelligence de se tourner vers lui ! En tout cas, bon anniversaire Monsieur le Ministre ! 

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