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Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, et les autres… : en marche vers un quinquennat d’opposition en mode One man show
©AFP

Méluche Ier

Et les députés En Marche vont assister impuissant. Emmanuel Macron devra prendre garde à ce que les vieux loups de la politique et de la rhétorique ne les mangent pas tout cru !

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Face à une forte majorité à l'Assemblée, les différentes oppositions auront du mal à exister au sein du Palais Bourbon. Cependant, certaines personnalités comme François Ruffin, Marine Le Pen, ou Jean Luc Mélenchon sont réputés pour leurs qualités de tribuns. A quoi pourrait ressembler une opposition se basant sur des "one man show" politiques ? 

Erik Neveu : Une série de figures des oppositions vont certainement utiliser la tribune parlementaire pour marquer et motiver leur opposition à la politique du nouveau gouvernement. Plusieurs de élu.e.s du Front de gauche ou du Front National – mais aussi du parti Socialiste et des Républicains- ont le talent oratoire, la gouaille ou le sens de la formule qui font mouche. Et les grands orateurs d'« En marche » sont à ce jour peu identifiables. Nul doute que cela promette des temps forts, de la part de J-L Mélénchon singulièrement. Mais on peut aussi apporter trois grosses réserves. D'une part, la couverture médiatique des débats parlementaires est modeste. Il est loin le temps des années 1970 où « Le Monde » résumait toutes les prises de parole des députés sur les grands débats, publiait en encadré qui avait voté pour quoi. Aujourd'hui la couverture médiatique se concentre sur les questions au gouvernement du mercredi,sur des petites phrases obtenues dans la salle des quatre colonnes, guère plus. N'oublions pas en second lieu que le règlement de l'Assemblée Nationale organise des inégalités de parole. Ceux qui ne peuvent former un groupe (cas probable du Front National) ont un temps de parole restreint. L'annonce de l'usage systématique de la procédure d'urgence va aussi condenser les temps de discussion. Une autre réserve tient aux lois du spectacle politique. Le tribun le plus talentueux ne peut se renouveler toutes les semaines et ses talents, à force d’être répétés, menacent bientôt d’apparaître comme une auto-parodie, à moins qu'une sorte de surenchère dans le verbe ou les happenings ne s'exprime...mais avec ses risques de dérapages.

Le parlement peut donc retrouver de grands moments d'une éloquence qui l'a pour partie désertée, regagner ponctuellement une centralité inédite. Mais attendre que s'y déploie chaque jour des joutes qui mettent K.O. un ministre ou occupent les journaux télévisés, c'est s'exposer à la déception.

Quels sont les risques de voir ces personnalités "dominer" les nouveaux députés moins expérimentés de la République En marche ? Ce risque a-t-il bien été mesuré par Emmanuel Macron ? Avec quelles conséquences ? 

Il faut être prudent quant à l'inexpérience des nouveaux députés. Il existe une puissante aspiration à la déprofessionalisation de la vie politique, ce qui suppose d'admettre un 'droit à' et une 'capacité de' faire des apprentissages. Sur un mode plus critique, derrière les discours sur la nouveauté, la « société civile », bon nombre des élus macronistes ont une expérience politique de fonctions électives ou d'ex-militants à la carrière contrariée aux Républicains, au MODEM ou au Parti Socialiste. Le problème peut venir de deux profils de nouveaux élus. D'une part celles et ceux qui ont été recrutés « sur casting » et dont des passages télévisés ont pu parfois montrer ce qui ressemblait à une vacuité surprenante avec des personnes annonant des éléments du programme d' «En Marche », d’autres refusant un débat où ils/elles auraient été en grande difficulté face à leur adversaire de second tour. Ceci noté, il ne faut pas mythifier ce qu'est le monde parlementaire. A coté d'hommes et de femmes maîtrisant bien des dossiers, assidus aux travaux parlementaires...il y a toujours eu beaucoup d'élus peu présents au parlement, se contentant de donner leur clé et code de boîtier de vote à un collègue et bien plus présents dans la circonscription qu'à l'assemblée. C'est peut-être d'une autre composante que des surprises peuvent venir. Les profils des élu.e.s « En Marche » ne sont pas si homogènes idéologiquement, et une partie d'entre eux ont certainement à cœur de défendre des valeurs et des groupes (français issus de l'immigration, créateurs d'entreprise) plus que de voter à la baguette ; ils et elles sont dans une croyance sincère à l'idée de changer la politique, pas dans le plan de carrière. Le maillon faible est là. Certains élus pourraient juger que des mesures mises en œuvre sont incompatibles avec leurs convictions...le choix de la procédure des ordonnances suggère d'ailleurs que ce risque est pensé à l’Élysée. En ne donnant pas ces exemples comme des comparaisons – les situations sont trop différentes- on rappellera que des groupes parlementaires nouveaux se sont parfois délités au fil d'une législature : poujadistes des années 1950 en France, plus récemment élus du mouvement paysan Samoobrona dans la Pologne des années 2000.

Dans un tel schéma, quelles sont les autres moyens, notamment pour les députés LR et PS de pouvoir exister au sein de l'Assemblée ? La force de la majorité d'En Marche n'est elle pas une prime donnée aux tribuns ? 

Non. Les tribuns créeront des événements. Mais ne voir qu'eux c'est oublier des dimensions techniques et juridiques essentielles de l’activité parlementaire qui ne se résume en rien aux séances pleiniéres de l'Assemblée. C'est aussi dans la mise en œuvre, la demande de perfectionnement d'une série de procédures que la nouvelle majorité peut être prise au piège de sa propre rhétorique. « En marche » est pour une politique renouvelée, ouverte, respectueuse des différences ? Chiche ! Que soient alors facilitées les commissions d'enquête, les missions d’information que prévoient la constitution et le règlement de l'Assemblée. Elles permettent à des parlementaires, éventuellement sous la direction d'un membre de l'opposition, d’enquêter et de produire des rapports porteurs de proposition, de contrôler des organismes publics. Que plus de moyens soient donnés à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour en faire une véritable force de frappe d'expertise au service du parlement, un contrepoids à l'expertise intéressée des groupes de pression. N'oublions pas encore la possible saisine du Conseil Constitutionnel qui pourrait avoir quelques effets sur des projets comme l'intégration au droit commun d'un état d'urgence devenant de jure permanent, ou la mise en cause de principes fondamentaux du droit au sein du droit du travail. Se mobiliser pour le plein déploiement de ce que le droit constitutionnel accorde au parlement, pour son élargissement ce sera jouer sur les contradictions déjà visibles au sein d'« En marche » entre petits soldats du président et élus soucieux d'une rééquilibrage des pouvoirs. Ce sera aussi utiliser un armement démocratique qui est loin d’être dérisoire en termes d'investigations, d'appel aux juridictions, de propositions de lois.

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