Je n’ai pas voté pour Emmanuel Macron mais contre Marine Le Pen ou la complainte immature des enfants rois de la politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Les représentants de la NUPES hurlent d’autant plus fort aujourd’hui contre la réforme des retraites qu’ils ont à faire oublier leur soutien à Emmanuel Macron en 2022.
Les représentants de la NUPES hurlent d’autant plus fort aujourd’hui contre la réforme des retraites qu’ils ont à faire oublier leur soutien à Emmanuel Macron en 2022.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Génération Ouin Ouin

Admettons que des électeurs le pensent. Mais les responsables politiques en situation d’agir - y compris en acceptant une candidature unique à gauche - qui se lamentent sur la réforme des retraites tout en ayant voté Macron ressemblent à ces enfants qui crient « maison magique » en sautant sur le canapé comme si le vote « anti-fasciste » (sic) leur donnait un totem d’immunité.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Alors que les responsables politiques d’opposition se lamentent sur la réforme des retraites, beaucoup disent : "Je n’ai pas voté pour Emmanuel Macron mais contre Marine Le Pen et donc pas pour cette réforme". Cet argumentaire n’est-il pas une fuite par rapport aux responsabilités de ces élus ?

Eric Deschavanne : Les représentants de la NUPES hurlent d’autant plus fort aujourd’hui contre la réforme des retraites qu’ils ont à faire oublier leur soutien à Emmanuel Macron en 2022, alors même que cette réforme était à peu près l’unique engagement de campagne de celui-ci. Une telle inconséquence contribue fortement à leur discrédit. L’argument « au premier tour on choisit, au second on élimine » est valable, mais ce vote de second tour n’en est que plus significatif : il permet d’exprimer ce à quoi on tient vraiment, la priorité des priorités. A cet égard le choix des opposants à Emmanuel Macron qui l’ont soutenu au second tour de l’élection présidentielle était clair : l’opposition à la réforme des retraites n’était pas leur priorité. Leur priorité était de s’opposer à Marine Le Pen, c’est-à-dire à la perspective d’une politique a priori hostile à l’immigration et au multiculturalisme. Je ne vois pas pourquoi ce parti-pris – nous sommes plus proche d’Emmanuel Macron que de Marine Le Pen, la défense du multiculturalisme libéral est à nos yeux plus importante que celle des « acquis sociaux » - ne pourrait être assumé publiquement par la NUPES. Si tel était le cas, les politiques concernés gagneraient à crédibilité. Ce choix avait sa cohérence. Ne pas l’assumer est puéril.

Comment expliquer cette forme d’immaturité qui les conduit à ne pas vouloir reconnaître leur part de responsabilité ?

Cette forme d’irresponsabilité qui confine à l’immaturité est la caractéristique du populisme. Le populisme ne fonde pas son succès sur la force d’un projet ni sur la cohérence idéologique mais sur son aptitude à récupérer les colères sociales. Le problème de la gauche mélenchoniste tient au fait que même si elle fait beaucoup d’efforts en ce sens, elle court aujourd’hui derrière l’opposition à la réforme des retraites comme elle courrait hier derrière les Gilets jaunes, elle continue par ailleurs en raison de certains de ses choix d’apparaître au regard d’une large fraction de l’opinion comme étant du côté de l’establishment.

A quel point l’immaturité est-elle en train de se généraliser dans la classe politique ?

Il est en effet aujourd’hui difficile d’affirmer que le niveau monte en politique. Nous allons du reste bientôt assister à un sommet de bêtise politique avec la réforme de la Constitution visant à y inscrire un droit qui existe déjà et que nul ou presque ne conteste. Comment expliquer ce déclin de l’esprit de responsabilité ? On ne peut malheureusement pas exclure l’hypothèse selon laquelle cette médiocrité des politiques ne serait que le reflet de l’irresponsabilité des citoyens. La politique se définit aujourd’hui au fil des buzz, l’opinion publique étant plus que jamais la reine du monde, une reine capricieuse, inconstante et incohérente, incapable de se projeter dans l’avenir.

Le déclin des grands partis de gouvernement marque à l’évidence une étape importante. L’alternance de la gauche et de la droite de gouvernement avait fini par lasser et paraître stérile. Force est de constater que le « dégagisme », loin de déboucher sur une régénération des idées et des projets politiques, a laissé place au néant. La fin du cumul des mandats a sans doute également joué un rôle. La vie politique nationale est désormais trop souvent animée par des amateurs incompétents et irresponsables, qui ne bénéficient pas de l’expérience que confère l’exercice des responsabilités politiques locales.

Si Emmanuel Macron peut effectivement se prévaloir du fait que la mesure était au cœur de son programme, ne fait-il pas une erreur en mettant le pays en crise pour une réforme qui n’a aucun intérêt réel (hormis des considérations budgétaires courtermistes) ?

Le problème n’est pas le projet lui-même. La démographie est un des rares domaines de connaissance où les prévisions sont à peu près fiables. On peut discutailler à l’infini les scénarii du COR, la plupart des facteurs prévisionnels étant fort incertains, mais il y a deux certitudes difficilement contestables qui justifient la réforme : 1) l’abaissement de l’âge légal de départ à 60 ans en 1982 était une erreur que les gouvernements qui depuis se succèdent sont condamnés à réparer tant bien que mal ; 2) la pente difficilement réversible des décennies à venir est celle du déclin démographique. Par ailleurs, il n’y a rien d’irrationnel à vouloir rassurer les marchés financiers quand on dirige un pays qui survit grâce à l’endettement.

Le problème est l’absence de projet global. Qui sait ce que veut Emmanuel Macron pour la France. Cette réforme technocratique n’est pas mise en perspective, de sorte que la perspective qui s’impose est celle de la régression sociale, d’une dégradation inéluctable du bonheur de vivre en France que le pouvoir politique n’a pas les moyens d’enrayer. La retraite à 60 ans a coïncidé avec l’accélération, au tournant des années 70-80, de l’accroissement de l’espérance de vie à 60, de sorte qu’un nouvel âge de la vie est apparu, le « troisième âge », sorte d’âge d’or de la vie où l’on est âgé sans être vieux, où l’on bénéficie de la liberté d’un adolescent ainsi que des revenus et de la maturité de l’adulte qu’on est devenu. On peut donc comprendre la force de l’opposition à la réforme, et le président Macron aurait sans doute dû l’anticiper, par exemple en engageant des réformes sociales relatives au rapport au travail, l’insatisfaction des conditions de travail étant sans doute une des causes de l’aspiration à la retraite.

Le plus difficile pour un dirigeant politique, est de parvenir à convaincre qu’il est porteur d’un projet crédible d’amélioration du destin collectif. Le principal reproche que l’on puisse faire à Emmanuel Macron est de n’être pas parvenu à surmonter cette difficulté. Il peut aujourd’hui constater que son réformisme, pourtant modeste, n’a pas de sens pour l’opinion.

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