Jackie Kennedy et les larmes de JKF : son rôle pendant la crise des missiles de Cuba<!-- --> | Atlantico.fr
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Jackie Kennedy et son mari.
Jackie Kennedy et son mari.
©Reuters

Bonnes feuilles

Jackie Kennedy n’était pas qu’une icône du glamour et de la mode. Elle était aussi, et surtout, une visionnaire, passionnée d’histoire et de littérature, parlant couramment le Français et l’Espagnol. Incarnant le concept de "soft diplomacy", Jackie Kennedy était un atout indispensable à la Maison-Blanche. Extrait de "Jackie, une femme d’influence", publié aux Editions du Moment (2/2).

Maud Guillaumin

Maud Guillaumin

Journaliste à Europe 1, BFM, ITélé, Maud Guillaumin suit pour le service politique de France-Soir la campagne présidentielle de 2007. Chroniqueuse politique sur France 5 dans l’émission Revu et Corrigé de Paul Amar, puis présentatrice du JT sur LCP, elle réalise également des documentaires : « Les Docs du Dimanche », « Les hommes de l’Élysée » sur les grands conseillers de la Ve République et « C’était la Génération Mitterrand » transposé de son livre Les Enfants de Mitterrand (Editions Denoël, janvier 2010). Elle écrit également dans la revue littéraire Schnock. Elle est l'auteur de "Le Vicomte" aux éditions du Moment (2015).

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« Je me rappelle si bien, c’était le matin. Jack est revenu à la Maison Blanche, est rentré dans sa chambre, et il s’est mis à pleurer, avec moi à côté 1. »

JFK vient de l’apprendre. L’opération de la baie des Cochons, destinée à renverser Fidel Castro, est un fiasco. Seulement trois mois après l’investiture, c’est une catastrophe. Pour son premier acte de politique internationale, le président Kennedy a lamenta- blement échoué.

« Vous voyez, il a mis la tête dans ses mains et a pleuré. C’était si triste, ses cent premiers jours [à la Maison Blanche]…tous les rêves qu’il dessinait. Et cette chose terrible qui nous arrivait 2. »

C’est la première grave crise politique que le couple traverse ensemble. Devant sa femme, l’enfant prodige ne peut retenir ses larmes. Le plus jeune président des États-Unis, qui vient d’annoncer un destin à son pays et ouvrir une « Nouvelle Fron- tière », se fait débouter comme un émigré clandestin par des guerrilleros. Le monde entier se gausse. Comment ce bleu va-t-il s’y prendre face aux Rouges ?

Cette tentative d’invasion militaire n’est pas son idée. Elle a été planifiée dès 1960, sous l’administration d’« Ike » Eisenhower. La CIA a recruté mille quatre cents exilés cubains, les a entraînés au combat pour les faire débarquer dans la fameuse baie. Un plan vivement critiqué par Kennedy. Mais depuis plus d’un mois, des rumeurs d’invasion de Cuba avaient commencé à circuler. Il fal- lait faire quelque chose. Deux ans déjà que Fidel Castro a renversé le dictateur Batista. Dans la foulée, l’ancien avocat devenu gué- rillero a exproprié les firmes américaines et importé du pétrole soviétique. « No way! » pour Kennedy. Les intérêts américains sont en jeu. Et impossible de supporter un ami de l’URSS à deux pas des côtes américaines. Selon l’historien André Kaspi 1, c’est même un anticastriste virulent. Mais le plan fomenté par la CIA ne lui dit rien qui vaille. Jusqu’au bout, le Président hésite à lancer les frappes aériennes qui vont permettre le débarquement des combattants cubains. Ne voulant pas passer pour un couard, à peine arrivé aux commandes, il se sent obligé de donner le « go » à ce plan qu’il n’a pas choisi.

Pour ne pas éveiller les soupçons, le samedi 15 avril, comme tous les week-ends, John rejoint Jackie à Glen Ora, leur propriété de Virginie. Les frappes aériennes viennent de débuter et le Président est rongé par le doute.

« Jack était assis au bord du lit, tout à coup il a secoué la tête. C’était terrible. D’habitude, il n’avait aucune difficulté à prendre une décision, il y réfléchissait, puis une fois la décision prise, il en était satisfait. C’est la seule fois où je l’ai vu complètement démoralisé 2. »

Pour la première fois, JFK se tourne vraiment vers Jackie. Il découvre la solitude du pouvoir, la pression qui pèse sur ses épaules. Il craint la réaction de l’URSS. Il craint la riposte nucléaire.

Des angoisses justifiées : « Fidel », comme l’appellent les Cubains, dénonce immédiatement les frappes aériennes. Pour lui, c’est « un nouveau Pearl Harbor » qui illustre la violence de l’impérialisme américain. Entre-temps, le commando d’élite a débarqué sans souci mais, loin d’être soutenu par la population cubaine, se trouve rapidement quadrillé, pris au piège par les castristes.

La journée qui suit ce fiasco, Jackie raconte : « À la Maison Blanche, il y avait des réunions tout le temps. Bobby est venu me trouver et m’a dit : “Reste très proche de Jack, s’il te plaît.” […]. Je ne devais même pas sortir les enfants […] car il était si accablé 1. »

Le soir du mercredi 19 avril, les Kennedy sont reçus à l’ambas- sade de Grèce par Constantin Karamanlis, le Premier ministre. À ce moment, JFK sait officiellement que l’opération a échoué. Les États-Unis n’étant pas censés être impliqués dans cette invasion ratée, les époux jouent le jeu, comme si de rien n’était. Un geste inédit qui prouve que le Président et la First Lady forment une équipe unie dans l’adversité. Le matin même, Jackie a essuyé les larmes de son mari. La dernière fois qu’elle l’a vu pleurer, c’était en 1954, à l’hôpital, quand il ignorait s’il survivrait aux opéra- tions ou s’il perdrait l’usage de ses jambes.

Cette fois, Kennedy pleure car il a perdu tout crédit. Il va devoir regagner la confiance de ses proches, de ses collaborateurs, de ses alliés. Pour s’affirmer en tant que chef malgré ce revers, d’emblée, il l’assume complètement. Le 21 avril, lors d’une conférence de presse, il déclare : « Selon un vieux dicton, la victoire a cent pères mais la défaite est orpheline 2. » Le peuple américain le soutient. Les sondages lui confèrent 81 % de taux d’approbation, le score le plus élevé de sa présidence. L’Amérique a cette force : elle est indivisible dans l’épreuve.

Assumer, John Fitzgerald Kennedy le fera jusqu’au bout. En 1962, après de longues négociations, il parvient à faire libérer les Cubains arrêtés par les guérilleros lors du débarquement. « Il pensait à tous ces pauvres gens qu’on avait envoyés se battre, pleins d’espoir, avec la promesse de les soutenir 1. » Malgré les critiques, le Président accepte la rançon exigée par Fidel Castro. Une facture de 60 millions de dollars en nature 2. Le Líder Máximo réclame tout ce que l’île n’a pas : des tracteurs, des médicaments, du matériel médical et des aliments pour bébés. Plus encore, Kennedy décide d’organiser une cérémonie pour accueillir les combattants cubains. En décembre 1962, le couple présidentiel se rend à l’Orange Bowl de Miami. « C’est l’une des scènes les plus émouvantes que j’aie vues 3 », raconte la First Lady. « Guerra, guerra, guerra ! » crient les Cubains à peine libérés, et ils offrent à Kennedy le drapeau 2506, le numéro de leur brigade, en signe de reconnaissance. L’espagnol de Jackie fait de nouveau sensation. Récitant le discours qu’elle a appris par coeur, en laissant des silences pour permettre à la foule d’applaudir sans retenue, elle souhaite qu’en grandissant, son fils John devienne « aussi valeu- reux » que ces combattants.

Évidemment, accueillir ces prisonniers en fanfare, c’est jeter de l’huile sur le feu. « Cela a rappelé à tout le pays ce terrible échec. Mais il [Jack] voulait à tout prix les faire sortir de prison. Après ça, il a reçu une volée de bois vert 4. » C’était couru d’avance.

Durant cette première crise internationale, Jackie découvre le pouvoir et sa terrible pression. Elle ressent l’angoisse et le sentiment de son mari de porter l’avenir des États-Unis sur ses épaules. Marie-France Garaud, conseillère du président Pom- pidou, illustre cette idée : « En France, jusqu’à Pompidou, le chef de l’État endossait le lourd collier de grand-croix de la Légion d’hon- neur. C’était un symbole très fort. Le citoyen élu par le peuple revêt le poids de la nation et devient responsable de la destinée d’un pays 1. »

Les Américains n’ont pas le collier, mais bien le même fardeau. À l’époque Kennedy est à la tête du « monde libre », protecteur des démocraties face au danger communiste. La règle en vigueur entre l’Est et l’Ouest ? La coexistence pacifique. Ou, pour être clair : le doigt sur le feu nucléaire en permanence. JFK l’a compris. Il lui faut des nerfs d’acier. La présidence qu’il concevait comme une glorieuse destinée prend soudain un nouveau visage : celui de la méfiance et du calcul politique. Jacqueline comprend qu’elle doit être son roc, contre vents et marées. Loin de se retrancher dans sa cage dorée, cette battante prend les armes ; la petite fille mutine et gâtée va impressionner ses concitoyens par son courage lors de chaque crise.

Avec le fiasco de la baie des Cochons, John Fitzgerald Kennedy lui a fait part de ses craintes. Khrouchtchev risque de se servir de cet événement pour mettre la pression sur la question de Berlin. Il est vrai qu’après l’entrevue difficile à Vienne en juin 1961 2, durant laquelle Kennedy se montre trop faible, les divergences se cristallisent autour du statut de la ville allemande. Selon Joe Alsop, JFK a laissé entendre que cette rencontre avait renforcé la menace d’une guerre nucléaire.

Le mois suivant, le président américain enregistre une allocu- tion télévisée. Pour préparer cette prise de parole, le Bureau ovale est transformé en studio de télévision. Jackie écoute alors les dispositions du Président qui appelle les réservistes américains et augmente le budget de la Défense. Berlin est au coeur du réacteur. « Ce fut l’un des discours les plus sinistres que je l’aie vu prononcer. C’était incroyable. Il annonçait que nous serions peut-être obligés d’entrer en guerre ! Berlin était le premier discours de ce genre 1[…]. »

La menace se précise. Le dimanche 13 août, alors que les Kennedy sont en vacances à Cape Cod et s’apprêtent à faire une promenade en mer, la nouvelle tombe. Dans la nuit, les Sovié- tiques ont élevé une barrière de gravats et de fils de fer barbelés autour de Berlin-Ouest pour empêcher la population de l’Est de fuir. Le mur de Berlin est né. Les Allemands appellent au secours mais Kennedy ne fait rien. Ou plutôt si : il part faire sa prome- nade en bateau, comme prévu. Le président américain comprend la stratégie de Khrouchtchev. Il a sauvé la face pour apaiser la crise. JFK valide : « Un mur, c’est beaucoup mieux qu’une guerre », selon ses termes restés célèbres. Tant pis pour ceux qui sont du mauvais côté.

Depuis la baie des Cochons, Kennedy sait qu’il est crucial de ne jamais humilier son adversaire. « Ne négocions jamais par crainte, ne craignons jamais de négocier », a-t-il dit lors de son discours d’investiture. Une règle d’or qu’il saura appliquer lors de chaque crise. Si les menaces grondent, les diplomates travaillent en sous-main. Lors de l’édification du « mur de la honte », le Secrétaire d’État Dean Rusk invite le ministre soviétique des Affaires étrangères, Andreï Gromyko, au dialogue. Le but : éviter la guerre nucléaire. La présidence de JFK n’a que mille jours d’existence ; mille jours durant lesquels la guerre froide n’a jamais été aussi chaude.

Derrière le slogan affiché par les deux Grands de la « coexis- tence pacifique », la menace est permanente. Les Kennedy ont pris l’habitude de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ensemble, malgré la pression, ils continuent à vivre en surmontant les crises qui s’enchaînent. Jusqu’à son paroxysme :la crise des missiles de Cuba. « Pendant dix ou onze jours, j’ai eu l’impression de ne jamais dormir, ni veiller, je ne sais plus quel évé- nement a eu lieu quel jour. Mais je sais que Jack m’a tout de suite mise au courant 1. »

Le 16 octobre 1962 au matin, McGeorge Bundy, conseiller à la Sécurité nationale, se rend à la Maison Blanche. Sous le bras, des documents de la plus haute importance. Il monte directement voir le Président dans sa chambre pour lui présenter au plus vite des clichés aériens de Cuba pris par la CIA. Les photos prouvent que les Soviétiques sont en train d’installer des missiles offensifs à tête nucléaire. On identifie également vingt-six navires soviéti- ques transportant des ogives nucléaires en route vers l’île… située à moins de deux cents kilomètres de la Floride. À cette distance, impossible de pouvoir riposter immédiatement. C’est pourtant le principe fou sur lequel repose la théorie de la « dissuasion nucléaire » mise en place par les deux Grands. L’URSS est donc en train de violer cette règle.

Trois semaines avant les élections de mi-mandat, Kennedy doit affronter la plus grave crise de l’histoire de la guerre froide qui va tenir le monde en suspens.

Immédiatement, le président américain convoque le Conseil de sécurité nationale. Une action militaire est préconisée. Mais le ministre de la Défense, Robert McNamara, pèse de tout son poids et propose, dans un premier temps, un blocus maritime de l’île. Le tout, dans le plus grand secret. Et surtout, en conservant son sang-froid. Voilà le mot d’ordre de Kennedy qui gère cette crise inédite, et décide de respecter le calendrier prévu pour les élec- tions de mi-mandat pour ne pas éveiller les soupçons.

Même Jackie n’est pas dans la confidence, contrairement à ce qu’elle croit. Kennedy ne veut pas l’inquiéter et attend de voir comment la situation évolue. Mais le samedi 20 octobre, alors qu’elle vient d’arriver à Glen Ora, il l’appelle, au lieu d’aller la retrouver. Le danger se précise et il veut sa famille près de lui. « “Pourquoi ne me rejoindrais-tu pas à Washington ?”», lui demande-t-il. « Cela lui ressemblait si peu. […] Mais j’ai senti à sa voix que quelque chose n’allait pas 1. »

Les réunions de crise, les coups de téléphone, les concertations s’enchaînent. « Il n’y avait plus de jour ou de nuit. […]C’est l’époque où j’étais le plus proche de lui, je ne quittais jamais la maison, je ne voyais jamais les enfants ; quand il rentrait, pour la nuit ou pour une sieste, je dormais avec lui. 2 »

Après ce premier week-end de crise, Kennedy décide d’in- former la population.

Le lundi 22 octobre, lors d’une allocution télévisée, il dévoile la présence de missiles soviétiques à Cuba et fixe un ultimatum à Khrouchtchev. Il ordonne l’arrêt des opérations et menace l’URSS de représailles si elle ne retire pas les missiles installés sur l’île. Le lendemain, le Président signe l’ordre de blocus et obtient la pro- messe que la France, le Royaume-Uni et les autres États membres de l’OTAN le soutiendront en cas de guerre contre les Soviétiques.

Le discours de Kennedy provoque la panique chez les Améri- cains. Bon nombre entreprennent la construction d’un abri antinucléaire. Ils y déposent des provisions, de l’eau, des couver- tures, des vêtements de rechange. Tous ont le sentiment que tout peut arriver. Une peur sur laquelle surfent les sociétés spécialisées en abris nucléaires. Business is business. Leur dernier modèle « tout confort » s’arrache à 14 000 dollars.

La Maison Blanche ne fait pas exception. Parmi les membres du gouvernement, certains préfèrent protéger leur famille et envoient femmes et enfants à l’abri. Les Kennedy doivent d’ailleurs être transférés à Camp David en cas d’attaque. Pour beaucoup, le monde est au bord du précipice. Jackie en a conscience et c’est pour cela qu’elle supplie son mari de rester auprès de lui.

« J’ai dit : “S’il te plaît, ne m’envoie pas à Camp David, les enfants et moi. Ne m’envoie nulle part. S’il arrive quelque chose, nous resterons ici avec toi. Même s’il n’y a pas de place dans l’abri anti-bombes de la Maison Blanche. Je t’en prie, je veux être sur la pelouse quand ça arrivera, je veux juste être avec toi, je veux mourir avec toi, et les enfants aussi, plutôt que de vivre sans toi.” Alors il a accepté de ne pas m’éloigner. Il n’en avait aucune envie 1. »

À ceux qui disent que les Kennedy ne sont qu’un couple de façade, cette belle déclaration d’amour offre le plus cinglant des démentis.

Extrait de "Jackie,une femme d’influence", de Maud Guillaumin, publié aux Editions du Moment, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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