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Israël – Palestine, l’impossible frontière ou l’arbre qui cache la forêt ?
©MENAHEM KAHANA / AFP

Géopolitique

Conformément au plan de paix américain, la souveraineté israélienne devait s’appliquer à partir du 1er juillet à une partie des territoires palestiniens. Il n'en a rien été. Quelles sont les raisons de ce retournement de situation ?

Hagay Sobol

Hagay Sobol

Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée, il est vice-président du Think tank Le Mouvement. Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif « Tous Enfants d'Abraham ».

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Le premier juillet, conformément au plan de paix américain, et au grand dam de la communauté internationale, la souveraineté israélienne devait s’appliquer à une partie des territoires palestiniens. Malgré un grand battage médiatique et des déclarations chocs de Benjamin Netanyahou, il n’en a rien été. S’agit-il d’une suspension temporaire, d’un ajournement définitif de l’annexion, ou faut-il en chercher ailleurs les raisons, en particulier dans les politiques hégémoniques iraniennes et turques dont les impacts se font ressentir bien au-delà du Moyen-Orient ?

Vu l’animosité et les problèmes très complexes soulevés par la mise en œuvre de la souveraineté sur des territoires palestiniens en zone C de la Cisjordanie (« Judée-Samarie »), on peut légitimement se demander si telle était bien l’intention du Premier Ministre israélien. Ne s’agissait-il pas plutôt de détourner l’attention, à la fois de ses ennuis judiciaires, et de contrer subrepticement les dangers représentés par le programme nucléaire iranien, ainsi que la menace turque sur les ressources en hydrocarbure de la Méditerranée orientale ? On peut s’interroger également sur les motivations réelles des autres protagonistes que ce soit les palestiniens eux-mêmes, les pays arabes ou les occidentaux, chacun semblant instrumentaliser la situation quitte à repousser la concrétisation d‘un Etat palestinien et à se contenter pour l’heure du statu quo actuel.

L’histoire et les contradictions du droit international

Contrairement, à une idée reçue, l’Etat Hébreu n’est ni le pays le plus récent de la région (le Qatar, par exemple, a proclamé son indépendance en 1971), ni l’épicentre de l’instabilité régionale. En effet, le Moyen-Orient est au cœur d’une lutte fratricide millénaire entre musulmans sunnites et chiites et a été façonné par de nombreux conflits, ainsi que par tous les empires qui se sont succédés, le dernier en date étant l’empire Ottoman. A sa chute, la France et la Grande-Bretagne ont procédé à des découpages artificiels, ne tenant compte ni des promesses faites, ni des réalités démographiques ou culturelles, posant les bases des conflits actuels. Parmi eux, le dossier israélo-palestinien est d’une complexité redoutable ce qui explique que les formules simples n’ont jamais fonctionné.

Ainsi, la Palestine mandataire britannique, a subi deux partitions avant celle de l’ONU en 1947 : tout d’abord en 1922 avec la création du Royaume de Transjordanie (Jordanie actuelle), puis en 1923 avec le rattachement des hauteurs du Golan à la Syrie administrée par la France. Si l’Etat arabe de Palestine n’a jamais vu le jour au côté d’Israël, ce n’est pas du fait du projet sioniste, mais parce que Gaza est passé sous domination égyptienne et que la Cisjordanie a été annexée par la Jordanie après la guerre israélo-arabe de 1948. Et lors de l’adhésion de cette dernière à l’ONU, en 1955 (résolution 109), la communauté internationale n’a jamais exigé d’Amman que ces territoires constituent la base d’un Etat palestinien. Cette demande n’a été formulée qu’après la « guerre des six jours », en 1967, quand la « Judée-Samarie » passa sous administration israélienne. En effet, malgré l’insistance de l’Etat Hébreu auprès du Roi Hussein de ne pas intervenir dans le conflit en cours l’opposant à l’Egypte et à la Syrie, ce dernier décida malgré tout d’attaquer. Cette erreur stratégique lui coûta une défaite cuisante, la perte de la Cisjordanie et de la partie orientale de Jérusalem. Dès lors, après près de 20 ans d’amnésie, la cause palestinienne fut remise à l’ordre du jour par la communauté internationale. Ces territoires disputés devenaient un nouveau théâtre d’affrontement entre les USA et l’URSS, par proxys interposés, jusqu’au processus d’Oslo de 1991 qui verra la création de l’Autorité Palestinienne (AP), mais pas la paix avec au moins deux occasions manquées. Depuis, l’Iran et la Turquie ont repris le flambeau de l’Union soviétique auprès des palestiniens via les groupes terroristes du Djihad islamique ou du Hamas qui menacent autant l’AP de Mahmoud Abbas que l’Etat Juif.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Après la plus grande crise politique qu’ait connue Israël, Benjamin Netanyahou est toujours aux commandes. Cependant, cela n’a été possible qu’avec un accord de coalition de dernière minute avec son opposant du parti Bleu-Blanc, Benny Gantz, ancien Chef d’Etat-Major de l’armée qui devrait lui succéder dans le cadre d’une rotation après 18 mois. L’actuel Premier Ministre doit également faire face à la justice pour plusieurs chefs d’accusation. Dans l’analyse de la situation, il serait cependant hasardeux de sous-estimer ce politicien rusé et chevronné, un des rares au monde ayant une relation étroite à la fois avec Donald Trump et Vladimir Poutine. A très courts termes, la promesse de souveraineté qui ne constitue en rien la priorité de la majorité des citoyens israéliens, présente pour « Bibi » plusieurs avantages. En tout premier lieu, cela détourne l’attention de ses déboires judiciaires. Ensuite, affaibli politiquement, il espère probablement renforcer sa position en donnant des gages à son aile droite, et mettre Benny Gantz dans une situation difficile en lui forçant la main et en l’isolant encore un peu plus. Ce dernier ayant dû rompre avec son ancien allié Yair Lapid pour rejoindre le gouvernement d’union nationale.

Il s’agit pourtant d’un parti risqué dont les chances de succès sont faibles et aux conséquences plus qu’imprévisibles, en particulier d’un point de vue sécuritaire. Et comme on a pu le constater, à la date fatidique du premier juillet, rien ne s’est produit. Cette manœuvre rappelle les annonces fracassantes et récurrentes de nouvelles constructions dans les implantations juives. En réalité, la plus part des projets n’ont jamais vu le jour au grand mécontentement de ses soutiens de « Yesha », le mouvement des implantations (pour Yéhouda et Shomron, l’appellation hébraïque de la « Judée-Samarie »). Netanyahou peut ainsi plaider la bonne fois auprès de ses partenaires politiques tout en sachant qu’au dernier moment les USA ne donneront pas leur feu vert ou mettrons des conditions substantielles comme c’est le cas actuellement. Etant donné la vague de protestation engendrée, tant au niveau israélien que sur le plan international, on peut se demander si le jeu en vaut la chandelle. Il existe des indices assez forts qui laissent à penser que l’agenda caché du Premier Ministre israélien était des tester la volonté réelle des protagonistes, et de faire bouger les lignes, à l’aune des dangers que représentent les politiques expansionnistes perse et turque pour les pays arabes sunnites « modérés » mais également pour l’Union Européenne (UE).

L’Iran à marche forcée vers la bombe atomique

La situation est catastrophique en Iran à la fois au niveau économique, sanitaire et politique, le Président Rohani a même fait l’objet d’une procédure de destitution. Malgré cela, la théocratie chiite poursuit à marche forcée son entreprise de déstabilisation régionale via le croissant chiite, du Yémen à la Méditerranée, ainsi que sa course effrénée vers la bombe atomique. Cette menace existentielle a forgé une alliance de plus en plus ostentatoire entre Israël et ses voisins arabes sunnites. En conséquence, les Pasdarans (Gardiens de la révolution islamique iraniens), leurs supplétifs, en particulier le Hezbollah libanais, et les forces du régime syrien ont été la cible de plus d’une centaine d’attaques attribuées à l’Etat Hébreu, en Syrie, au Liban, puis en Irak. Désormais, le champ de bataille s’est déplacé encore plus à l’Est, directement en territoire iranien, avec au moins huit évènements majeurs ces dernières semaines imputés à Tsahal (Armée de défense d’Israël) par les médias arabes et occidentaux. Des cyberattaques, comme celle contre l’une des plus grandes installations portuaires du pays au mois de mai dernier, auraient été menées. Et des sites sensibles de fabrication de missiles balistiques ou essentiels au programme nucléaire militaire perse, comme à Natanz, auraient été complétement détruits, par des sabotages ou l’intervention d’avions furtifs F-35, retardant d’au moins deux ans l’acquisition de l’arme atomique. Si elles étaient avérées, ces attaques de plus en plus éloignées de la « Terre sainte » n’auraient pu avoir lieu sans l’aide logistique de pays du Golfe (ouverture de l’espace aérien, voire utilisation d’aéroports pour le ravitaillement), ni l’assentiment du locataire de la Maison Blanche. L’absence de réaction de la Russie, théoriquement alignée sur Téhéran, aurait en outre, grandement facilité les choses.

Le risque de représailles de la part du régime des Mollahs est majeur. Que ce soit des attaques contre « des cibles vitales en Israël », comme viennent de menacer de le faire les rebelles Houthis au Yémen, ou des attentats comme celui perpétré par le Hezbollah libanais contre le centre communautaire juif AMIA en Argentine en 1994. On comprend dès lors que Jérusalem ait d’autres priorités que de mobiliser l’appareil sécuritaire afin de se prémunir contre les débordements possibles liés à la mise en œuvre de la souveraineté. Il n’y a qu’un pas également pour considérer que tout cela a représenté un écran de fumé opportun à l’attention des dirigeants perses qui occupés à condamner l’annexion ont été complètement pris au dépourvu. Comme un point d’orgue à cette série noire, le nouveau satellite espion israélien Ofek-16 pointé sur Téhéran vient d’envoyer ses premières images. Tout cela a de quoi inquiéter sérieusement la junte théocratique au pouvoir qui ne peut qu’espérer un nouveau Président US plus favorable à leurs vues pour les élections de novembre.

La politique néo-ottomane d’Erdogan

Dans son désir de redonner à la Turquie son faste d’antan, le Président Recep Tayyip Erdogan a mis en place une politique étrangère très agressive. Tout d’abord, en Syrie, où sous couvert de lutte contre le terrorisme, il soutient certains groupes islamistes et occupe des territoires Kurdes en pratiquant une épuration ethnique, sans grande réaction de la part de la communauté internationale. C’est également le cas en Libye, dernière possession ottomane en Afrique. En signant avec le GNA (Gouvernement d’Accord National), de mouvance islamiste, un accord non reconnu internationalement redéfinissant sa zone économique exclusive (ZEE), le Président Turc modifie de manière unilatérale les frontières de la méditerranée orientale au détriment des pays riverains comme l’Egypte, la Grèce, Chypre ou Israël. Ce montage lui permet de s’approprier indûment une partie des énormes ressources gazières offshore et de faire barrage au projet de pipeline EastMed reliant cette région à l’Italie et au sud de l’Europe. Pour renforcer encore son emprise, celui qui n’a pas hésité à faire de la Basilique Sainte Sophie une mosquée, a envoyé des troupes sur place afin de « sécuriser » les champs de pétrole libyens et contrer l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du général Khalifa Haftar, l’autre homme fort du pays, soutenu par certains pays du Golfe, l’Egypte, officieusement la France engagée au Sahel voisin, et un temps par la Russie qui a désormais son propre agenda. Confrontés au même danger, l’Egypte, la Grèce et Chypre coordonnent activement leur défense avec Israël comme en atteste la récente visite du chef d’Etat-major hellène à Jérusalem.

C’est dans ce contexte explosif qu’un incident grave, menaçant l’avenir de l’OTAN, a opposé récemment des bâtiments turcs à un navire français chargé de faire respecter l’embargo sur les armes en Libye. Si l’on n’y prend pas garde, tel un jeu de domino, l’onde de choc de ce conflit va se propager à tout le Maghreb, le Sahel et sur les deux rives de la Méditerranée. Car non content de perturber les échanges économiques et les approvisionnements énergétiques, il y a le spectre d’une bombe migratoire, comme cela a déjà été expérimenté avec les réfugiés syriens dont Ankara a déjà joué à maintes reprises pour imposer ses vues à l’Europe.

La dernière chance pour un Etat palestinien ?

Hormis le plan Marshal pour reconstruire l’Europe d’après-guerre, il n’existe pas d’autre exemple d’un soutien politique international et financier aussi massif que celui accordé aux palestiniens. Et pourtant la perspective d’un Etat est toujours aussi incertaine. Si les israéliens ont leur part de responsabilité, la division palestinienne est un obstacle majeur. Coincé entre deux visions irréductibles, celle du Hamas islamiste à Gaza rêvant d’un Califat et celle nationaliste du Fatah à Ramallah, le projet est dans l’impasse. De plus, l’Autorité Palestinienne, administrant les zones A et B de Cisjordanie, conformément aux accords d’Oslo, rongée par la corruption et les rivalités, est incapable de trouver un successeur à Mahmoud Abbas à la santé déclinante, laissant présager le pire.

L’opposition farouche au « Deal du siècle » de Trump, jugé trop favorable à Jérusalem, ne fait pas oublier que le leadership palestinien a déjà refusé plusieurs propositions de paix beaucoup plus favorables dont celle de l’ancien Premier Ministre Ehud Olmert en 2008. Ce plan répondait pourtant à pratiquement toutes ses revendications y compris sur les questions très sensibles de la « Ville trois fois sainte » et des réfugiés. Et dans le même temps, le principe d’un échange de territoires avait été accepté : les grands blocs d’implantation étant intégrés à Israël, pour des raisons démographiques et stratégiques, et de leurs côté les palestiniens recevant des territoires israéliens équivalant. Il est fort peu probable qu’une telle opportunité ne se reproduise à l’avenir, le temps et la réalité sur le terrain ne jouant pas en leur faveur. Car même au sein du camp arabe, les critiques envers l’irrédentisme palestinien sont de plus en plus nombreuses, soulignant que l’absence de toute volonté de compromis est le véritable obstacle aux négociations. Les Etats arabes sunnites confrontés à des menaces sans précédent, sont las de soutenir et de financer à fond perdu une cause qu’ils jugent désormais non essentielle, préférant faire front avec Israël face aux dangers communs. Dans ce contexte, pointe cependant une lueur d’espoir. Si les leaders palestiniens actuels, quoi qu’ils en disent, préfèrent le statu quo, car ils ont tout à redouter de la mise en place d’un Etat où ils perdraient à la fois le pouvoir et l’accès à la manne financière internationale, ce n’est pas le cas de la classe politique locale. Plus pragmatique elle a appris à tenir compte des réalités en gérant les agglomérations palestiniennes au quotidien sans rien attendre de Ramallah. C’est probablement d’eux et de la société civile palestinienne que viendra la solution au conflit.

Un dialogue de sourds ?

Dans ce dialogue de sourds entre palestiniens et israéliens pour établir leurs frontières, chacun a d’excellentes raisons pour camper sur ses positions, y compris la communauté internationale. Cependant, dans un contexte d’instabilité croissante où chaque front définit ses alliances, les protagonistes peuvent être en conflit sur certains dossiers et alliés sur d’autres. Dans cette perspective, c’est Israël et non les palestiniens qui occupe la meilleure position stratégique. En conséquence, si l’Etat Hébreu en venait à annoncer une souveraineté en Cisjordanie, surtout si elle n’était que symbolique sur les grands blocs d’implantations, il est fort peu probable que les pays arabes sunnites ou les occidentaux aillent au-delà d’une contestation de façade, et ce malgré l’initiative de 11 Ministres européens des affaires étrangères demandant à l’UE d’établir d’éventuelles « conséquences juridiques ».

Abba Eban, l‘ancien Ministre israélien des affaires étrangères avait coutume de dire que « Les palestiniens n’ont jamais manqué une occasion de manquer une occasion ». Si les leaders palestiniens veulent réellement un Etat pour leur peuple, plutôt que de boycotter le plan Trump, ils devraient se saisir de ce texte qu’ils ont rejeté sans même l’avoir lu et venir à la table des négociations afin de ne pas laisser passer ce qui pourrait s’apparenter à leur dernière chance.

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