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Israël : Netanyahu - Gantz, pacte entre deux diables
©JACK GUEZ

Fin de la crise politique ?

En Israël, Benjamin Netanyahu et Benny Gantz ont scellé scellent un accord après 484 jours de blocage politique. Les deux dirigeants politiques vont se succéder à la tête du gouvernement.

Le 28 mars 2020, je vous ai présenté certaines raisons de l’accord entre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz, et la conclusion de ma chronique « fin de crise en Israël » était : « En attendant, il faut constituer le gouvernement, en passant par les tambouilles traditionnelles…as usual…et surtout s’attaquer à la crise sanitaire. » Il a fallu un mois pour arriver à un accord pour un gouvernement d’union et d’urgence nationale qui met un terme à 18 mois de gouvernement de transition.

Avant de présenter l’accord gouvernemental, revenons succinctement sur les principaux événements. Lundi 2 mars, au terme d’un troisième tour électoral, les électeurs israéliens avaient envoyé un message clair en faveur de Benjamin Netanyahu, nonobstant ses problèmes judicaires. Mais, la victoire a été courte, trop courte au point de devenir problématique.

Les 120 députés élus se répartissent ainsi :

  • 58 pour le bloc de droite emmené par Benjamin Netanyahu, et constitué du Likoud (36 sièges), les deux partis orthodoxes (16) et les sionistes religieux (6)
  • 47 pour une coalition hétéroclite dirigée par Benny Gantz et regroupant « Blanc Bleu » (33 députés), Israël Beteinou d’Avigdor Lieberman (7) et le regroupement du parti travailliste, du Parti d’extrême gauche Meretz et de la personnalité venue du Likoud Orly Lévy-Abecassis (7).
  • 15 pour la liste arabe unifiée, elle aussi regroupement de plusieurs tendances, y compris celle des islamistes radicaux.

Le soir même du scrutin, Benjamin Netanyahu a commis l’erreur de crier victoire trop tôt. Cinq jours plus tard avec les résultats définitifs, il fallait déchanter. La majorité n’était pas au rendez-vous.

Mais les chiffres sont têtus, les logiques politiques implacables, et Netanyahu un exceptionnel stratège. Nonobstant la position majoritaire du Likoud, il n’a pas cherché à revendiquer la mission de constituer un gouvernement ; il a laissé la tâche à Benny Gantz qui a mis 20 jours pour comprendre qu’il était dans une impasse. Le piège s’est alors refermé sur le leader de « Blanc Bleu » qui a dû aller à Canossa.

Benny Gantz a essayé de constituer un gouvernement sur la base d’un front « tous sauf Bibi » (« TSB ») comprenant des post sionistes et des antisionistes, des responsables venus du Likoud, d’autres de l’extrême gauche et des députés arabes. L’accession au pouvoir passait obligatoirement par un accord, tacite ou explicite avec les quinze députés de la liste arabe unifiée comprenant des responsables venus d’horizons très divers dont des islamistes radicaux

Ce qui était prévisible s’est produit, plusieurs députés membres de « Blanc Bleu » dont Zvi Hauser, Yoav Hendel ainsi que Orly Lévy-Abecassis, transfuge du Likoud, ont refusé cette perspective. Benny Gantz se retrouvait dans la même situation que Benjamin Netanyahu, sans majorité.

On croyait que la crise politique avait atteint son paroxysme, et qu’on allait à un quatrième round d’élections.

Pourtant, jeudi 26 mars, contre toute attente, Benny Gantz, le leader de la coalition de centre-gauche « Kakhol Lavan », « Blanc Bleu » s’est fait élire Président de la Knesset, le parlement israélien, avec 74 voix, les 58 du bloc de droite et 16 membres de « Blanc Bleu ». Benny Gantz a finalement cédé à l’ultimatum lancé par Benjamin Netanyahu durant « la bataille du perchoir ».

Comment expliquer un tel revirement ? L’absence d’expérience politique, surtout face à un adversaire coriace comme Netanyahu ? La crise sanitaire du coronavirus ? Les difficultés avec les députés arabes ? La future impossibilité de gouverner avec une coalition aussi disparate ? Le désaveu de l’opinion publique israélienne à la perspective d’un accord avec les députés arabes ? Des sondages catastrophiques s’il y avait un quatrième tour ?

Ses partenaires ont immédiatement crié à la trahison. Une conclusion s’impose. La haine ne suffit pas pour accéder au pouvoir, et la volteface de Benny Gantz conduit inéluctablement à une recomposition du paysage politique israélienne.

Au bout d’un mois de discussions non conclusives, notamment sur le choix du futur titulaire du ministère de la Justice et les conditions de nomination des juges à la Cour suprême, Benny Gantz a tenté un coup de bluff. Il a laissé entendre qu’en cas d’absence lundi 20, il inviterait la Knesset à voter les lois susceptibles d’empêcher un député inculpé devenir premier ministre. Étonnante démarche consistant à se servir de ses anciens alliés pour contrecarrer Netanyahu ; elle n’a eu aucun effet, et il a fini par accepter les conditions de Netanyahu.

Il a fallu un mois pour conclure. Les principaux éléments d’un accord retracés dans un document volumineux sont :

  • Le gouvernement s’appuierait sur une large majorité de 77 députés et aurait une opposition totalement éclatée entre le mouvement « Yech Atid » de Yaïr Lapid qui sera le leader de l’opposition, les députés arabes, les élus de Merets et ceux d’Israël Beiteinou d’Avigdor Lieberman. Alors qu’il se voyait comme faiseur de roi, ce dernier a tout perdu.
  • Netanyahu commence par être premier ministre avec Gantz comme vice-premier ministre pendant dix-huit ; en octobre 2021, ce sera « la rotatia » avec une inversion des rôles.
  • Le gouvernement sera pléthorique avec 34 ministres et deux vice ministres, ce qui est critiqué en cette période de flambée du chômage. Á deux expressions près, tous les membres du bloc « Blanc Bleu » seront ministres !
  • Benjamin Netanyahu doit faire face aux demandes de Naftali Bennet et à la grogne des ministres du Likoud qui ne retrouveront pas un poste ; il a décidé d’attendre le vote par le Parlement de l’accord pour finaliser la répartition des postes. Mais certains postes sont déjà affectés comme la Défense à Benny Gantz ou les affaires étrangères à Gaby Ashkenazy.

Les partis orthodoxes garderont leurs postes traditionnels à l’intérieur Arié Dehry et à la santé, avec Yaacov Litzman.

Le Likoud conserve les finances avec Israël Katz.

En acceptant de siéger dans un gouvernement Netanyahu en contrepartie du poste ministériel des affaires économiques, le travailliste Amir Perez a rasé sa moustache à défaut de manger son chapeau ; son colistier Itzik Schmuli aurait le département de l’emploi et des affaires sociales.

  • Les principaux points du programme de ce gouvernement sont la gestion de la crise sanitaire et économique du Covid-19 et la présentation au Parlement dès juillet d’une loi d’annexion des implantations de Cisjordanie et de la vallée du Jourdain, tel que défini par le « deal du siècle » de Donald Trump.
  • C’est certes un gouvernement d’Union, mais c’est surtout un gouvernement de la défiance. L’absence totale de confiance entre les deux partenaires a conduit à chacun des deux un droit de véto.

Cela peut présager une faible durabilité pour ce gouvernement, mais ce n’est pas si sûr.

Avec cet accord, Benjamin Netanyahu a assuré sa survie politique malgré sa situation judiciaire. Il pourrait vouloir de nouvelles élections compte tenu des sondages qui donnent le Likoud à 40 sièges, et de la jeunesse ainsi que de la faiblesse de la base électorale de Benny Gantz, sans insister sur la reconnaissance du succès de sa gestion de la crise du Covid-19. Mais il a tout intérêt à patienter et attendre que son horizon judiciaire soit éclairci.

Malgré son inexpérience politique et ses maladresses, Benny Gantz a, de son côté, réussi le tour de force d’avoir un gouvernement paritaire avec seulement 18 députés contre 58 pour Netanyahu. Alors qu’à aucun moment depuis seize mois il n’a été en mesure de constituer un gouvernement, il accède au pouvoir. Il a écarté son encombrant partenaire, Yaïr Lapid, ce qui explique sa violente réaction. Il reste à Gantz à faire ses preuves et à élargir sa base électorale s’il veut prétendre à la succession de Netanyahu.

Quelle que soit la pérennité de ce gouvernement, l’accord s’apparente à un accord entre deux diables, l’un pour assurer sa survie politique, l’autre pour asseoir son avenir politique.

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