Irréconciliables ? Ces deux Nupes qui feignent de ne pas voir leur vraie nature<!-- --> | Atlantico.fr
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Les débats sur la réforme des retraites se sont achevés vendredi dernier dans une ambiance houleuse.
Les débats sur la réforme des retraites se sont achevés vendredi dernier dans une ambiance houleuse.
©Ludovic MARIN / AFP

Gauche radicale et gauche révolutionnaire

« Parfois, il y a des positions irréconciliables à gauche, et il faut l’assumer » disait Manuel Valls en 2016. L’alliance électorale nouée lors des législatives 2022 semblait démentir ce constat. La réforme des retraites qui a révélé la nature du noyau des insoumis fidèle à Jean-Luc Mélenchon lui rend son actualité.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Gérard Grunberg

Gérard Grunberg

Gérard Grunberg est directeur de recherche émérite CNRS au CEE, Centre d'études européennes de Sciences Po. 

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Atlantico : Alors que les débats sur la réforme des retraites se sont achevés vendredi dernier dans une ambiance houleuse, Jean-Luc Mélenchon a déployé une stratégie de la conflictualité à travers son rôle et son influence auprès des députés de La France Insoumise ces dernières semaines. Pourquoi certains ne voient pas cette stratégie qui n’est pas juste outrancière, mais qui a une composante véritablement Révolutionnaire (au sens historique du terme, 1789…) ? Cette stratégie est-elle dangereuse pour la démocratie et le débat parlementaire ?

Maxime Tandonnet : Cette stratégie correspond à l’état d’une partie de l’opinion. Nous vivons en ce moment le paroxysme de la fracture démocratique, entre la classe dirigeante ou influente et la France populaire ou périphérique. La colère populaire se focalise sur le report de l’âge de la retraite à 64 ans. Les 64 ans (bien que largement neutralisés) sont devenus un emblème du mépris des puissants envers le peuple.  Jean-Luc Mélenchon a mieux que quiconque compris ce phénomène à caractère révolutionnaire. Et de toute évidence, il joue la surenchère. L’attitude du pouvoir macronien lui facilite grandement la tâche. Il est bien évident que les conditions du débat parlementaire enfermé dans des délais extrêmement contraignants du fait de l’application de l’article 47-1, sur un sujet aussi explosif sont un appel au durcissement et à la radicalisation. La véhémence des Insoumis est certes inadmissible au regard des principes de la démocratie et du débat parlementaire. Mais elle est aussi en partie la conséquence du mépris de l’exécutif pour la représentation parlementaire.   

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Gérard Grunberg : La France insoumise et Mélenchon lui-même ont beaucoup insisté, cette fois-ci, sur leur vision du rôle du Parlement et de celui de la rue. Ils n’ont pas caché que leur but au sein de l’Assemblée n’était pas tant de discuter le projet de réforme que de laisser le temps à la rue, en bloquant le travail de l’Assemblée, de former un mouvement de protestation très fort qui pourrait empêcher le vote de la loi. C’est une vision proche d’une perspective d’utilisation de la rue contre le rôle du parlement, dans une posture presque insurrectionnelle. Mélenchon est un jacobin robespierriste. Il défend l’idée que le peuple a raison contre ses représentants. Mais opposer le peuple dont on ne sait pas ce qu’il est – et dont on prétend croire qu’il est représenté par un million de gens qui manifestent – à des représentants élus par 50 millions de gens, c’est problématique. C’est la tradition de 1792-1793. Mélenchon et une partie de LFI pensent que les députés sont là pour exécuter ce que veut le peuple de la rue.

Avant 2022, il y avait encore un reste de centre gauche avec le PS, mais on voit bien avec cette réforme que l’ensemble des formations de gauche a glissé vers le radicalisme. Il suffit de penser à la sortie collective des députés de gauche à l’Assemblée. La gauche dans son ensemble est, en tout cas dans son organisation politique, en train d’évoluer vers une vision de la politique qui est une vision de confrontation directe par le moyen de la rue.

Pourtant, des députés, y compris communistes, comme André Chassaigne, ont dénoncé les propos tenus contre Olivier Dussopt. N’a-t-on pas, malgré tout, une dichotomie importante entre une gauche « seulement » radicale et une autre insurrectionnelle ?

Gérard Grunberg : Il y a effectivement une partie des socialistes et des communistes qui restent dans la tradition de vieux partis parlementaires. Ils ont une habitude du parlement et voudrait que le parlement serve à défendre leurs idées, discuter et voter. LFI, sans s’entendre avec les membres de la NUPES, a décidé et organisé cette attitude de blocage systématique. Il n’empêche que les mouvements de gauche, malgré leurs désaccords internes – pas seulement entre les partis mais à l’intérieur des partis – maintiennent une unité contre la réforme des retraites.

Cela pourrait-il être une bombe à retardement pour LFI en raison de différences de nature politique ?

Maxime Tandonnet : Le score élevé de la Nupes dans un contexte d’abstentionnisme titanesque a été l’une des surprises des dernières élections législatives. Il a fortement contribué à satisfaire la volonté populaire de priver le chef de l’Etat d’une majorité présidentielle absolue. Aujourd’hui les excès des Insoumis semblent susciter une prise de distance de ses partenaires communistes et socialistes.  Cette alliance électorale soudée par le charisme de M. Mélenchon et son bon score aux dernières présidentielles a toutes les chances de voler en éclats dans les années à venir. Même la CGT prend ses distances. Mais ce phénomène concerne l’ensemble de la politique française. Le naufrage dans l’impopularité du président Macron et l’impossibilité pour lui de se représenter en 2027 annonce la disparition quasi inévitable de Renaissance. LR est en train d’exploser entre les partisans d’une collaboration avec le pouvoir macronien sur la réforme des retraites et une forte minorité de ses adhérents et sympathisants ou électeurs qui déplorent ce rapprochement. Nous marchons vers une désintégration complète de la politique française sans le moindre signe d’une recomposition possible à ce stade.

Gérard Grunberg : Le problème c’est que le comportement et disons l’affaire Mélenchon complexifient le problème car il y a, à mon avis, une vraie rupture au sein de LFI entre « la bande à Mélenchon » et tous ceux qu’il a écartés. Cela va nécessairement intervenir et interférer avec la réorganisation de la gauche. Je pense qu’il y a beaucoup de gens au PS, chez EELV et chez les communistes qui en ont marre de Mélenchon, mais qui tout en étant contre lui, pensent pouvoir reconstruire quelque chose une fois qu’il sera parti. Pour la gauche aujourd’hui, la question Mélenchon est à la fois un élément de désaccord interne mais aussi potentiellement de réorganisation de la gauche.

Manuel Valls avait parlé de deux gauches irréconciliables. Cela s’applique-t-il aujourd’hui ?

Gérard Grunberg : Il y a moins ça car il disait ça en opposant une gauche plus ou moins libérale à une gauche plus ou moins marxiste. Mais aujourd’hui la gauche libérale a disparu. Le PS, malgré ses désaccords internes, est dirigé par Olivier Faure qui est clairement favorable à la NUPES. Bien sûr que certains ne sont pas d’accord avec lui, mais puisqu’ils continuent à se revendiquer de l’union de la gauche et de l’anti-macronisme, cela rend la distinction un peu inopératoire, tant le centre gauche est diminué.

Qu’est-ce qui pourrait créer des dissensions au sein de la NUPES ?

Gérard Grunberg : La question principale est sans doute la position sur l’Ukraine. Ce sera la question principale de 2023. Les socialistes et les verts veulent continuer de soutenir l’Ukraine et Mélenchon est un facteur bloquant sur ces questions. Il a toujours été clairement poutinien, contre l’OTAN et les Etats-Unis, ainsi que l’UE. Il y a un problème de fond fondamental qui empêche cette gauche de se présenter comme gauche de gouvernement.

Difficile de savoir si cela va exploser ou non. C’est un mouvement brownien et il est très difficile de savoir ce qui va se passer car les tensions, comme je vous l’ai dit, sont aussi internes. Ce qui est sûr c’est que la gauche va rester minoritaire et n’arrivera pas au pouvoir. La stratégie de Mélenchon et de LFI ne peut pas être gagnante. On ne peut pas dire qu’il a emporté l’adhésion de la gauche et même les syndicats l’ont condamnée. Mélenchon est, à mon avis, isolé à gauche, ce qui devrait empêcher cette vision de l’emporter.

La stratégie de la conflictualité, proprement Révolutionnaire, déployée par Jean-Luc Mélenchon risque-t-elle de porter ses fruits pour la grande journée de mobilisation et de grève générale prévue pour le 7 mars ? Le gouvernement sera-t-il obligé de reculer et de retirer son projet de réforme des retraites face à la rue, à la mobilisation et en cas de débordements le 7 mars ?   

Maxime Tandonnet : Il me semble que la situation est extrêmement explosive et qu’on peut s’attendre au pire dans les semaines à venir. Mais il ne faut pas surestimer l’influence de M. Mélenchon et des Insoumis sur le mouvement social. La déconnexion entre le peuple et la classe politique est globale, incluant le mouvement de M. Mélenchon. Si le mouvement social dégénère, cela ne viendra probablement pas du tapage à l’Assemblée nationale. Selon différents sondages, 72% des Français et plus de 90% des actifs sont hostiles à la réforme des retraites. Ses défenseurs estiment que les sondages ne sont pas significatifs. Mais ils expriment pourtant la réalité d’un sentiment de révolte extrêmement puissant et profond. Le refus d’une partie de la classe politique de l’entendre est symptomatique de sa déconnexion. Il est difficile de savoir à l’avance si le mouvement social va sombrer dans la violence extrême. Mais si tel est le cas, ce sera comme lors des Gilets jaunes, le signe d’une colère populaire exacerbée et non l’application de consignes venues d’en haut – d’un parti politique.

La vérité, absolument taboue – personne ne le dit –  est qu’il a déjà beaucoup reculé. L’âge du départ à la retraite à 64 ans, compte tenu des 43 annuités obligatoires visait à faire travailler plus de 43 ans les personnes ayant commencé à travailler avant 21 ans, c’est-à-dire n’ayant pas fait de longues études. Cette mesure s’inscrivait dans la logique habituelle du mépris : faire payer la France populaire, ou périphérique. L’exécutif a peu ou prou accepté, grâce à la pression de quelques réfractaires de LR, que nul ne soit obligé de travailler au-delà de 43 annuités. De fait, cela veut dire que le report de l’âge du départ à 64 ans est abrogé. Mais il ne faut surtout pas le dire pour préserver l’illusion de la mise en œuvre d’une promesse présidentielle. Maintenant, le pouvoir macronien et le mouvement social s’affrontent autour d’une coquille en grande partie vidée de toute substance. Dans ce genre de situation, tout peut arriver. La prise de conscience que cette réforme est proche du néant peut certes aboutir à apaiser les esprits. Mais parfois, les grandes révoltes ou révolutions éclatent pour des symboles. Songeons à mai 1968 déclenché pour des broutilles. Dans le contexte d’impopularité et d’extrême tension sociale, une véritable explosion est évidemment possible. Dans ce cas, l’annonce du retrait symbolique des 64 ans interviendra sans doute trop tard pour arrêter le mouvement.

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