Iran : les cinq dernières minutes du régime ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une Iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, est décédée trois jours après avoir été arrêtée et torturée par la police des mœurs.
Une Iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, est décédée trois jours après avoir été arrêtée et torturée par la police des mœurs.
©JUSTIN TALLIS / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

En septembre dernier, une Iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, est décédée trois jours après avoir été arrêtée et torturée par la police des mœurs pour ne pas avoir respecté le port du hijab en public. Sa mort a engendré une vague de contestations et de manifestations sans précédent en Iran.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Le 16 septembre 2022, une Iranienne de 22 ans, Mahsa AMINI, est décédée trois jours après avoir été arrêtée et torturée par la police des mœurs pour ne pas avoir respecté le port du hijab en public. Sa mort a engendré une vague de contestations et de manifestations sans précédent en Iran, qui a donné lieu à plusieurs manifestations dans les différentes villes du pays.

Déjà en 1999, la contestation du régime avait plusieurs causes, le refus de la fraude électorale, de la corruption et de l’accaparement de la rente pétrolière par une minorité de privilégiés, « les gardiens de la révolution », également dénommés les Khodi. La répression avait fait le nécessaire pour étouffer la contestation.

En 2018, contre toute attente et prévision, l’Iran avait connu une incroyable flambée de violences. Ce grand pays de plus de 86 millions d’habitants et de 1 648 195 km2 avec une histoire multi millénaire avait connu six jours d’importantes manifestations populaires contre la vie chère, contre l’augmentation des prix de certains produits, la suppression d’aides aux familles les plus démunies... Mais la répression a eu, une nouvelle fois, gain de cause de ce mouvement qualifié de « révolte des va nu pieds ».

Il y a quatre mois, peu de personnes aurait parié sur la pérennité du mouvement déclenché avec la mort de Masha. Et pourtant malgré les 14 pendaisons, les centaines de morts, les blessés, les milliers d’arrestations, un flicage permanent de la société… et toutes les violences possibles et imaginables de la répression… le mouvement ne désarme pas. Dans le même temps et contrairement à ce qui avait été annoncé, la police des mœurs est omniprésente ; grâce à un inouï repérage des citoyens, ces policiers d’un genre très spécial n’hésitent pas à envoyer des contraventions par SMS à des femmes n’ayant pas respecté les règles vestimentaires.

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Au-delà du ras le bol occasionné par l’accentuation de la main mise théocratique du pays, la détérioration continue de la situation économique alimente la révolte.

Contrairement aux argumentaires de certains et nonobstant les « trous dans la raquette », les sanctions perturbent l’économie iranienne.

Elles visent près de 1 000 cibles, personnes, entités, avions et navires iraniens ou liés à l’Iran ; 50 banques et filiales, plus de 200 personnes et navires, la compagnie aérienne publique Iran Air et plus de 65 de ses avions. Tous les avoirs dans les juridictions américaines des personnes concernées sont gelés. Les entreprises et citoyens américains ainsi que les firmes non américaines ne peuvent faire affaire avec des entités iraniennes, sous peine de mesure de rétorsion ; cela ne concerne pas seulement les éventuelles transactions en dollar, mais également celles dans d’autres devises internationales. Même si le caractère extraterritorial de mesures décidées unilatéralement par Washington interpelle, elles ont conduit de nombreuses entreprises, notamment européennes, à quitter le pays.

L’embargo imposé au pétrole iranien ainsi qu’aux produits sidérurgiques et pétrochimiques ont plongé l’économie iranienne dans de graves difficultés malgré le refus de certains pays de respecter ces interdictions ; la Chine et l’Inde en profitent pour acheter les ressources iraniennes avec des rabais élevés et en payant en yuans ou en roupies. Dans le même temps, des banques irakiennes ont hébergé des fonds iraniens et Washington

Néanmoins, depuis cinq ans, les conséquences sont nombreuses : chute des entrées de devises, baisse des recettes budgétaires de l’État, effondrement du système bancaire, et la généralisation de circuits parallèles de financement et de la corruption… le PIB s'est contracté de 4,6 % sur l'exercice fiscal 2019-2020, de 9,5 % en 2020-2021… Au-delà des sanctions, les effets collatéraux de la pandémie ont accentué la crise économique, et, en cinq ans, le PIB a diminué de plus de moitié.

La récession se manifeste par une augmentation du chômage, une inflation à deux chiffres, le doublement, voire le triplement des prix des produits alimentaires, un appauvrissement de la population… Une dépréciation monétaire. Le rial dont le nom vient du français royal côte aujourd’hui 0,00002 € ; cela se traduit par une inflation des signes monétaires et une course à la possession de dollars.

Ce dernier mouvement de contestation a pris des formes inédites avec le refus des footballeurs iraniens de chanter l’hymne national lors du dernier mondial, une joueuse d’échecs participant sans voile à une compétition, des agressions de mollahs dans les rues…

La difficulté des autorités à mater une nouvelle fois cette explosion de contestations présage-t-elle les « cinq dernières minutes » du régime ?

Le problème de cette éventualité tient à l’absence d’alternative politique, à la différence de la révolution de 1979 qui avait un leader avec l’ayatollah KHOMEINI.

À défaut de solution de rechange, sans perspective, sans espoir, les Iraniens peuvent continuer à se révolter contre la mollacratie, comme ce fut le cas en Tunisie en 2010 ou en Egypte en 2011… Ni les Tunisiens, ni les Égyptiens, tout comme les sans culottes de 1789, ont manifesté et risqué leur vie sans avoir de solution de rechange. Animés par le souffle de la liberté, ils ont agi selon leur conscience pour renverser une tyrannie sans se soucier du lendemain politique.

Hasard ou coïncidence, pour la première fois, les Américains n’excluent plus l’usage de la force pour stopper à la course iranienne à l’arme nucléaire. Malgré tous les efforts réalisés par Joe BIDEN pour faire redémarrer l’accord du 14 juillet 2015, le « Joint comprehensive plan of action » (JCPA). Cet accord fondé sur le principe « le contrôle du programme nucléaire contre la levée des sanctions » avait été dénoncé par Donald TRUMP en mai 2018. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, le Président démocrate se faisait fort de désavouer son prédécesseur en trouvant un compromis avec les Iraniens.

Loin de lui donner satisfaction, Téhéran a multiplié les provocations en annonçant avoir franchi les dernières étapes en vue de l’acquisition de l’arme suprême. Sommes-nous dans les « cinq dernières minutes » du nucléaire iranien ? Même si Israël est le premier visé par cette menace, les voisins de l’Iran sont aussi inquiets et redoutent « le scénario du Koweït », à savoir l’invasion pour prendre possession des champs pétroliers saoudiens, émiratis ou koweïtis…, comme Saddam HUSSEIN avait essayé de le faire en envahissant l’Irak. La détention de la bombe constituerait alors pour l’Iran une assurance tous risques.

Parallèlement, Téhéran s’attire de nouveaux griefs en vendant drones et missiles à la Russie, en installant en Crimée une usine de fabrication de drones... Pour consolider cette source d’approvisionnements, la Russie a annoncé qu’elle défendrait la République islamique d’Iran (RII) en cas d’attaque même si elle ne fait rien pour contrecarrer les réguliers bombardements israéliens en Syrie.

Alors, sommes-nous à la veille d’une attaque ou s’agit-il simplement des gesticulations verbales ? S’agit-il du dernier round avant une conclusion négociée, chaque partie gonflant ses muscles ?

La tentation est d’autant plus forte que, depuis maintenant 30 ans, les manifestations de l’expansionnisme iranien sont nombreuses. Après la décennie quatre-vingts marquée par les huit années de la guerre avec l’Irak, les mollahs ont exporté leur révolution théologique et sont intervenus directement et indirectement dans de nombreux pays :

  • Le Liban où tout est contrôlé par le Hezbollah. Le mouvement chiite aurait un énorme arsenal de missiles.

  • La Syrie où les Iraniens directement et indirectement avec le Hezbollah ont sauvé avec les Russes le régime de Bachar El ASSAD. Mais les tentatives iraniennes pour consolider leur implantation dans ce pays entrainent régulièrement des frappes israéliennes avec la complicité des Russes.

  • Le Yémen où l’Iran entretient la guerre civile avec son soutien aux rebelles chiites Houtis.

  • L’Irak où les milices chiites armées par les Iraniens ont, à l’image du Hezbollah, un rôle de plus en plus important dans la gestion des affaires du pays

  • Gaza avec un soutien actif au Hamas et au Djihad islamique

Pour atteindre ses fins, Téhéran n’hésite pas à bombarder des tankers japonais, abattre un drone américain, des installations pétrolières saoudiennes… 

Avec la prise du pouvoir en 1979 par l’imam Khomeiny, les Iraniens ont ouvert la boite de Pandore de l’islamisme radical. En finançant et soutenant de nombreux mouvements radicaux, voire terroristes, ils ont déstabilisé la région, accentué l’opposition entre chiites et sunnites et réveillé le wahhabisme. Pour les mollahs, c’est un devoir d’exporter la religion islamique, obligation inscrite dans l’article 11 de la constitution. Or, les déshérités ont de plus en plus de difficultés à accepter des sacrifices alors qu’une partie des ressources du pays est distraite pour soutenir les guerres en Syrie, au Yémen ou des mouvements terroristes comme le Hezbollah, ainsi que pour armer des groupes comme les Talibans afghans.

La posture idéologique des mollahs explique leur dernière attaque contre la France à cause de caricatures de Charlie Hebdo. Faisant croire qu’ils n’auraient pas compris les conditions de fonctionnement de la presse en France, ils veulent apparaître aux yeux des musulmans comme les seuls défenseurs du prophète et de ses serviteurs.

Il reste, en ce début d’année, à espérer que la raison l’emporte et que nous ne nous trouvions pas sur un chemin pavé de morts et de problèmes…

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