Invasion de Taïwan par la Chine : une menace militaire à prendre en compte<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de l'Armée populaire de libération se préparent à l'arrivée du président chinois Xi Jinping dans une caserne à Hong Kong, en juin 2017. Valérie Niquet publie « Taïwan face à la Chine » aux éditions Tallandier.
Des soldats de l'Armée populaire de libération se préparent à l'arrivée du président chinois Xi Jinping dans une caserne à Hong Kong, en juin 2017. Valérie Niquet publie « Taïwan face à la Chine » aux éditions Tallandier.
©DALE DE LA REY / AFP

Bonnes feuilles

Valérie Niquet publie « Taïwan face à la Chine » aux éditions Tallandier. Tensions, manœuvres et provocations se multiplient dans le détroit de Taïwan. Valérie Niquet nous donne les clés pour comprendre pourquoi l’île reste pour Xi Jinping, la « mère de toutes les batailles » et pourquoi les États-Unis se préparent à intervenir. Extrait 2/2.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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La Chine n’a jamais renoncé à ses menaces de recours à la force contre Taïwan, même aux périodes les moins tendues, lorsque la RPC tentait de séduire ses habitants, ses hommes d’affaires et ses partis politiques prochinois dans l’espoir de voir l’île céder sans résistance. Pour les stratèges chinois, le recours à la force pour reconquérir l’île est d’autant plus légitime, que le maintien de l’ordre ou la mise au pas d’une province rebelle est la prérogative du pouvoir central, communiste aujourd’hui, impérial hier. Comme le proclame la Constitution de la RPC « Taïwan fait partie du territoire sacré de la RPC. C’est la mission sacrée de tout le peuple chinois, y compris nos compatriotes de Taïwan, d’accomplir la grande tâche de réunification de la patrie1 ». Dans ces conditions « s’opposer et contenir la menace d’indépendance de Taïwan » est au cœur des objectifs de défense nationale.

Taïwan fait donc face à une véritable menace existentielle crédibilisée par le développement remarquable, quantitatif et qualitatif, des capacités militaires de la RPC depuis la fin des années 1990. L’échec des manœuvres d’intimidation militaires de Pékin sur l’île en 1995-1996 avait mis en évidence la faiblesse des forces chinoises. Depuis, Pékin fait tout pour combler ce déficit capacitaire, y compris en recourant aux moyens de la guerre hybride et psychologique. 

Une menace militaire à prendre en compte

Depuis plus de trente ans, la Chine développe ses capacités, dans sa volonté de crédibiliser ses capacités de conquête de l’île, face aux forces taïwanaises, mais aussi face aux États-Unis. Le commandement du théâtre oriental (East Theater Command), basé à Nankin, en première ligne face à Taïwan, a multiplié depuis 2020, et ce en dépit de la pandémie de Covid, les exercices combinant l’ensemble de ses capacités, qui visent à combler le déficit d’expérience de l’APL en situation de combat réel. Numériquement, les forces de l’APL sont démesurées face à celles de Taïwan : même si on ne prend en compte que les forces potentiellement impliquées dans le détroit de Taïwan, la RPC dispose de 416 000 hommes, Taïwan, de 88 000 ; 2 porte-avions pour la Chine, aucun à Taïwan ; 66  destroyers et frégates côté chinois, 26 pour Taïwan ; 33 sous-marins diesels en Chine contre 2, obsolètes, à Taïwan ; 2 sous-marins à propulsion nucléaire en Chine, aucun à Taïwan ; 700 avions de combat en Chine contre 400 à Taïwan.

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Dans ce contexte, plusieurs scénarios d’invasion de Taïwan par la Chine sont en théorie réalisables. L’objectif serait d’obtenir la reddition de l’île le plus rapidement possible, avant que les États-Unis ne soient mobilisés, en tablant sur l’hésitation des démocraties à s’engager dans un conflit majeur avec la puissance chinoise et sur les capacités de dissuasion et d’interdiction que la Chine a développées. Ce scénario serait d’autant plus réalisable que la reddition, dans le sens où l’entend Pékin, pourrait se limiter, au moins dans un premier temps, à la « simple » reconnaissance du principe d’une seule Chine, celle de Pékin, la réunification effective ne venant qu’ultérieurement.

Le budget de la défense de la RPC est de 209 milliards de dollars en 2022, le deuxième dans le monde derrière les États-Unis (768  milliards de dollars). La Chine a considérablement développé l’ensemble de ses capacités militaires, et notamment ses capacités balistiques conventionnelles et nucléaires. Face à Taïwan, ce sont les missiles conventionnels (balistiques et de croisière) qui occupent la première place, mais la toile de fond des capacités nucléaires de la Chine, comme dans la crise ukrainienne avec la Russie, pèse aussi dans l’équation stratégique face aux États-Unis.

Face à Taïwan, on dénombrait en 2020 six bases de missiles conventionnels à courte ou moyenne portée DF11, DF15 et DF16, deux bases de missiles DF21 (portée 1 500 km) à capacité conventionnelle ou nucléaire, ainsi que des bases de missiles de croisière. Si l’on s’en tient aux forces conventionnelles, la Chine dispose donc aujourd’hui face à Taïwan d’une très importante supériorité numérique de plus de 1 500  missiles d’une portée de 600 à 1 000 km. Les États-Unis de leur côté ne disposent pas de ce type de missiles terrestres à portée intermédiaire (500-1 000 km) en raison du traité d’interdiction sino-russe INF dont la Chine n’a jamais fait partie. Washington a dénoncé le traité en 2019, mais trouver des bases de déploiement au sol en Asie est loin d’être facile en raison des réticences des pays potentiels. Plus récemment, la RPC a également déployé des missiles de croisière CJ10 d’une portée de 1 500 km. La Chine dispose également de lanceurs de roquettes multiples autopropulsés, d’une portée de 130 km à 160 km, équipés de munition à fragmentation efficaces contre les blindés et capables de détruire en un seul tir une surface importante (67 ha). En raison de la largeur du détroit de Taïwan, ces équipements ne pourraient toutefois être déployés qu’après un débarquement réussi.

Les capacités de frappe balistiques sont essentielles car elles permettent en théorie de préparer un débarquement en « décapitant » les autorités civiles et militaires de l’adversaire, ses postes de commandement, les aéroports et les ports. Elles ont également comme objectif de démoraliser et de terroriser la population, entraînant en principe un effondrement rapide de la volonté de résister. C’est la stratégie de la Russie en Ukraine, avec les frappes de missiles hypersoniques, très surdimensionnés mais destinés à faire peur. La démoralisation de l’adversaire peut même survenir avant tout combat avec la diffusion d’informations alarmistes. Pour contrer cette stratégie de démoralisation après la guerre en Ukraine, la présidente Tsai Ing-wen a appelé à la prudence devant toute comparaison hâtive en rappelant que le détroit de plus de 100 km qui sépare la Chine de Taïwan pouvait jouer le rôle de barrière infranchissable. 

Un détroit difficile à franchir

En effet, si Taïwan ne s’effondre pas dès les premières frappes de missiles, les capacités de la Chine à organiser et réussir un débarquement dans l’île, puis à en prendre le contrôle, sont beaucoup plus limitées et – dans tous les cas de figure – extrêmement coûteuses. La Chine a développé ses capacités amphibies ces dernières années, mais dans des proportions limitées. La production des navires Yuzhao T71 (19 000 tonnes) et Yushen T75 (36 000 tonnes), qui peuvent transporter une trentaine d’hélicoptères, des véhicules amphibies et plusieurs centaines d’hommes a été lancée, mais demeure limitée à quelques unités, dont le Hainan, premier porte-hélicoptères de la série Yushen  T75, entré en opération en 2020.

L’essentiel de la flotte chinoise de bâtiments amphibi ne compte qu’une cinquantaine de bâtiments et est encore obsolète, insuffisant pour organiser un roulement continu et transporter, sous le feu de l’ennemi, les milliers de chars, de véhicules blindés, de pièces d’artillerie, leurs pièces de rechange, le carburant et les hommes nécessaires aux opérations. La Chine peut sans doute mobiliser sa flotte de bâtiments civils, flotte marchande et flotte de pêche, mais le nombre de rotations est limité par le nombre de ports sur le continent qui puissent être exclusivement destinés à cette mission. La Chine est donc loin de disposer de la supériorité navale et aérienne qui lui permettrait de lancer, puis de poursuivre, une opération de débarquement à travers un détroit bien plus large que celui qui sépare les côtes françaises du Royaume-Uni. Par ailleurs, en dépit d’une production importante de barges de débarquement et de hovercrafts, la Chine est encore très loin de maîtriser une opération aussi complexe, dans un environnement particulièrement hostile –  et ce en dépit d’exercices à grand spectacle, comme celui qui a été très largement diffusé à l’automne 2021, mobilisant l’ensemble des forces. Le principal objectif était d’impressionner l’adversaire et d’exercer une pression psychologique supplémentaire sur la volonté de résistance de Taïwan. Dernier point crucial, comme l’ont montré les difficultés rencontrées par la Russie en Ukraine, la logistique est un facteur majeur que l’APL est encore très loin de maîtriser, même sur son propre territoire.

Quantitativement, l’armée de l’air chinoise est bien plus importante que celle de Taïwan. Mais ses avions sont dans leur large majorité dépassés. La Chine ne dispose que de moins d’une centaine d’avions de troisième et quatrième générations, SU27 (J11) et SU30. Là encore, l’expérience ukrainienne a démontré que les pertes pouvaient être nombreuses et rapides, d’autant que Taïwan et son allié américain ne rencontreraient pas les mêmes difficultés pour imposer une zone d’exclusion aérienne.

L’objectif de Pékin demeure donc de tenter de détruire la flotte d’appareil taïwanais plus moderne, et les aéroports, avant de tenter un débarquement, sans garantie de réussite. 

Un blocus difficile à tenir

Pour augmenter la pression sans avoir à combattre directement, la Chine pourrait tenter un blocus de l’île, mais là encore, en dépit de sa supériorité numérique, notamment avec sa flotte de sous-marins, et des moyens offensifs de la guerre des mines, le succès est loin d’être assuré, d’autant plus que la faible profondeur du détroit nuit à la furtivité des sous-marins et augmente considérablement leur vulnérabilité en temps de guerre. Le coût politique et économique du blocus serait également considérable, avec la mise en œuvre de sanctions insupportables pour une économie aussi imbriquée dans l’économie mondiale que l’est l’économie chinoise.

Dans tous ces cas de figure, la Chine aurait également pour objectif d’atteindre la « supériorité informationnelle » en utilisant les moyens offensifs de la guerre électronique et des attaques cybernétiques sur l’ensemble des réseaux de communications de l’adversaire. Mais elle s’exposerait aussi à une contre-offensive visant les centres nerveux de sa propre économie.

A lire aussi : Pourquoi Taïwan pose à la Chine un double défi idéologique et existentiel

Extrait du livre de Valérie Niquet, « Taïwan face à la Chine », publié aux éditions Tallandier

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