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Le Web crée beaucoup d'emplois mais en détruit aussi énormément.
Le Web crée beaucoup d'emplois mais en détruit aussi énormément.
©Flickr/danielmoyle

Destruction créatrice

La fermeture des magasins Virgin l'a montré récemment : le développement d'Internet peut être une menace pour les entreprises inadaptées à ce nouveau paradigme. Même si, à l'inverse, le Web est aussi générateur de nouveaux débouchés.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Atlantico : La révolution numérique a permis une contraction du savoir, notamment grâce aux encyclopédies en ligne et aux systèmes de base de données. Paradoxalement, ne peut-on pas dire que le boom Internet, générateur d'emplois, précarise des personnes autrefois spécialisées dans le traitement et la classification, comme les secrétaires ou les bibliothécaires ?

Pascal Perri : La révolution numérique est tout à la fois une révolution des savoirs et une révolution économique. C’est un choc darwinien pour le vieux monde. Une vraie rupture dans l’ordre économique et juridique. Nous avons vécu sur un modèle très corporel. Les entreprises étaient localisées sur des territoires, les consommateurs se rendaient dans des commerces ou des lieux d’échange et repartaient avec des biens ou avec un contrat de service. Ce monde était lisible. Le paiement de l’acte de commerce était lui aussi matérialisé. Si je fais ce détour, c’est pour mieux répondre à votre question. La dématérialisation d’une partie des échanges a incontestablement détruit des emplois, mais il s’agissait souvent d’emplois à faible valeur ajoutée peu valorisés. D’autres emplois ont été créés, c’est la loi de Schumpeter, la destruction est parfois créatrice quand on fait le solde entre ce qui a été perdu et ce qui a été créé. La question est de savoir où ces nouveaux emplois ont été majoritairement créés. A ce stade, on peut dire que c’est plus dans la Silicon Valley qu’en Moselle !

Quand on met en regard les emplois crées par le Web et les emplois perdus - comme a tenté de le faire le rapport McKinsey - quel peut-être le réel bilan du secteur internet ?

On ne fait pas un bilan a mi parcours. Le retournement numérique de l’économie n’en est qu’à ses débuts. Le rapport McKinsey a été commandé par Google qui a tout intérêt à défendre la thèse de la destruction créatrice. Au delà du conflit d’intérêt, il est incontestable que l’Internet créé des emplois et de bons emplois. McKinsey affirme qu’en 2009, la contribution d’internet représentait déjà 60 milliards d’euros dans notre économie, soit à l’époque plus de 3% de la richesse créée. Toujours selon McKinsey, 25% des emplois créés en France depuis 1995 sont dus à Internet.

Dans des secteurs comme le transport, l’énergie, la recherche, le commerce, Internet a réduit les coûts de production. C’est grâce à ces gains de productivité que le marché s’est élargi et que de nouveaux emplois ont été créés. Un exemple : on trouve aujourd’hui des emplois qui n’existaient pas dans le back office des sites de réservation comme voyagessncf.com, mais il y a de moins en moins de guichetiers dans les gares. Nous en sommes au début de cette grande transition. Les opérateurs historiques de marché développent le cross canal : ils déploient des offres Internet attractives en terme de prix et renforcent les fonctions du conseil et de l’accompagnement dans leurs points de vente physiques. Il faut s’adapter à cette nouvelle donne. Ceux qui ont négligé Internet comme par exemple Virgin en sont morts. Mais dans ce cas, qui est responsable des destructions d’emplois ? Internet ou l’incurie des dirigeants de ces entreprises ?

D'aucuns évoquent une destructions d'emplois équivalente à celle de la période de désindustrialisation. Qu'en est-il ? Quels peuvent en être les impacts sociaux ?

Je ne crois pas que la comparaison soit acceptable en terme de volume. En revanche, il est un point rarement évoqué dans cette analogie, c’est la migration des emplois vers de nouveaux territoires. La désindustrialisation est liée au choix stratégique de nos sociétés en faveur du pouvoir d’achat et au détriment de l’emploi. La désindustrialisation en Europe s’est accompagnée d’une industrialisation forcenée des émergents. La promesse était de faire baisser les prix en jouant sur les couts salariaux de production. Avec Internet, nous avons tous les outils pour déjouer le piège. Nos écoles forment des ingénieurs et des cadres commerciaux de grand talent. Nous avons la ressource intellectuelle pour nous approprier la révolution numérique. Il faut vite réagir. L’informatique est une langue vivante qu’il faut apprendre à l’école. Il me semble que ça devrait être un chantier prioritaire pour ne pas rater ce tournant décisif.

Peut-on dire que l'on se dirige en conséquence vers un chômage technologique de masse ?

A chaque fois qu’une machine substitue un individu, elle détruit un emploi, mais elle peut aussi en créer d’autres. Ne cédons pas à la panique du chaos social. Les opérateurs OTT (Over the top) nous posent cependant un problème. Ils passent au dessus de nos têtes, captent les revenus de nos consommateurs et vont séquestrer leurs bénéfices aux Bermudes. En devenant lui même commerçant, Google menace aujourd’hui les assembleurs français sur Internet (tourisme, voyages, livres, équipements de la personne ou de la maison) qui payent des impôts en France et créent des emplois. C’est une concurrence déloyale. Le gouvernement doit intervenir sans tarder pour mettre de l’ordre. Au moment où nous sommes tous appelés à faire un effort de redressement, on ne comprendrait pas que les géants américains de l’Internet viennent faire des profits en France sans contribuer aux charges publiques.

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