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L'initiative citoyenne, un essai de démocratie européenne en demi-teinte
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Le 1er avril 2012 est entrée en vigueur au sein de l’Union européenne « l’initiative citoyenne » prévue par le traité de Lisbonne de 2007. Ce mécanisme permet à des citoyens européens de déposer une proposition à la Commission s’ils récoltent un million de signatures.

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Trop Libre est un blog de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) fondé par David Valence et Christophe de Voogd, tous deux historiens et enseignants à Sciences Po. Il est désormais animé par ce dernier, avec la collaboration d’Alexis Benoist et de Rémi Hugues.

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La cause est entendue : l’Union européenne souffre, depuis sa fondation, d’un déficit démocratique. Beaucoup des partisans de la construction européenne pensaient en effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que les opinions n’étaient pas mûres… mais formaient le vœu que, peu à peu, ce projet porté par les élites finirait de convaincre les citoyens par la preuve. Aussi a-t-il fallu attendre 1979 pour que les « citoyens européens » puissent élire leur représentants.

Mais à force d’élargissement, le chantier démocratique européen s’est étendu, et l’exigence citoyenne d’une démocratisation du fonctionnement de l’exécutif européen aussi. Dans ce cadre, l’idée d’une initiative citoyenne est l’occasion d’innover, de doter l’Europe d’une démocratie par une sorte de contre-démocratie. On donne au processus classique d’élection, qui tend à perdre son souffle, une force de validation parallèle et plus diffuse que serait l’initiative citoyenne.

D’initiative, elle n’en a que le no

Le projet de constitution européenne de 2005 posait les jalons de cette idée … mais son destin malheureux est connu ! On aurait pu remiser cette idée stimulante dans les cartons de l’Europe si le traité, moins ambitieux, de Lisbonne ne l’avait pas reprise en 2007. Traduite par le Parlement européen en une réglementation (la n°211/2011, de son petit nom), « l’initiative » exige qu’un comité de 7 citoyens européens (d’Etats membres différents) réunisse un million de voix du quart des Etats membres, en l’espace de 12 mois.

Manifestement, les commissaires n’étaient pas pressés de voir leur pouvoir d’initiative législatif concurrencé, ce qui explique la rigueur de cet encadrement…Les citoyens y demeurent en effet sous la tutelle des commissaires. Où l’on découvre que « l’initiative » citoyenne porte mal son nom, car le véritable pouvoir d’initiative, dans le processus législatif européen, reste un monopole aux mains de la Commission et du Parlement…

Un droit ingrat… et difficile à exercer ?

Sous le vocable d’initiative, il faut alors entendre le droit ingrat qui est accordé à 7 citoyens, constitués en comité, de récolter un million de voix. On commence à peine, face à cette litanie de conditions, à s’imaginer la difficulté du processus, sans compter que la proposition peut finalement être rejetée, sans plus d’égard, par la Commission. Cette dernière doit toutefois motiver sa décision.

Or, l’initiative citoyenne porte un « cens caché ». Elle a, en effet, un coût important pour ces comités, formés pour l’occasion, s’ils veulent s’octroyer des chances réelles d’obtenir en moins d’un an ce magique million de voix. Il leur faut avoir de vraie capacité de communication à l’échelle nationale et régionale dans les pays européens, ce qui suppose de promouvoir son initiative dans les médias et quotidiens locaux. Le seul site internet ne permet jamais d’atteindre une cible aussi large, disséminée dans le quart des pays membres (soit 6 pays et souvent autant de langues).

Même une association qui possède une très forte présence médiatique et un ancrage national n’est pas sûre de pouvoir essaimer l’adhésion à sa proposition dans au moins six autres pays. Très peu de comités citoyens, d’associations, de groupes d’intérêts ont la capacité à mobiliser l’opinion à l’échelle européenne sur un enjeu particulier. On ne connait qu’un seul précédent fructueux, celui d’une pétition portée conjointement par les ONG Avaaz et GreenPeace en 2010, qui avait récolté 1,2 million de voix sans pouvoir être reçue par la Commission.

Une initiative censitaire !

Les langues, les cultures, l’existence même d’une opinion européenne posent problème pour des propositions simples qui nous concernent, nous européens. Pour surmonter ces difficultés, il faut des financements que ne peuvent apporter ni les Etats, ni l’Union, garants de l’intérêt général. L’Europe invente par défaut l’initiative censitaire, car seuls les groupes d’intérêts les plus fortunés et les plus influents parviendront à diffuser leur message dans la communauté membre. Qu’est-ce qu’une initiative qui n’est que le monopole de quelques uns ?

Si l’on considère les six premières initiatives qui sont en cours, on peut se permettre à juste titre d’être sceptique sur leur chance de succès, ne serait-ce que pour obtenir un million de voix. Quatre seulement présentent un profil crédible, avec un site internet en plusieurs langues et des interfaces nourries, les deux autres ne sont disponibles qu’en une seule langue et leurs sites brillent par la pauvreté du contenu. Toutefois, même ces initiatives convaincantes ne disposent pas de relais médiatiques suffisants, ni d’un budget conséquent (à l’exception d’une). Ironie de la chose, le système informatique proposé par l’Europe, pour récolter les voix en ligne, n’est pas tout à fait opérationnel, ce qui grève la capacité d’action des comités…

Pour une vraie démocratie libérale européenne

Il ne faut pas forcément s’offusquer de cette collusion des intérêts particuliers. Une grande démocratie libérale se vit comme l’organisation des intérêts privés. C’est un horizon indépassable de la modernité politique face auquel le mythe du citoyen, qui serait illuminé par le Bien général une fois dans l’isoloir, ne survit pas. Nous avons tous des intérêts quelconques et a priori particuliers à défendre, le but d’une telle initiative est alors de les faire converger et tendre vers ce lieu indéterminé, en démocratie, qu’est le bien commun. L’initiative doit par conséquent être fondée sur une transparence totale concernant les motifs de ces comités ainsi que sur leurs sources de financement. C’est déjà le cas, la réglementation impose cette transparence des financements. Mais disons le d’emblée, cela n’est pas suffisant pour donner son autonomie propre à une idée vivifiante dans nos sociétés désenchantées du suffrage.

Pour que l’initiative européenne puisse prendre son sens plein, nous formulons deux propositions alternatives. La première consisterait à baisser le nombre de voix nécessaire à 500 000 pour que la proposition soit présentée sur la table de la Commission. Problème : si les instances européennes imposent de tels critères dans la récolte des soutiens, c’est pour garantir l’intérêt général. Dans l’esprit du législateur, une initiative qui recueille un million de voix dans le quart des pays membres se conforme à l’intérêt général. On peut craindre qu’abaisser de moitié ce seuil favorise les intérêts particuliers, mais la Commission conserverait alors à juste titre son monopole d’initiative. Elle viendrait garantir l’intérêt général à la fin d’un processus facilité.

Si l’on conserve le quorum des un million de voix (ce qui garantit l’intérêt commun), alors rien ne justifie que la Commission conserve la réalité de l’initiative, en pouvant motiver son refus. Il serait louable que toute proposition qui récolte un million de voix, dans le quart des pays membres et satisfait dès lors l’impératif d’intérêt général, soit présentée immédiatement en lecture au Parlement européen afin de respecter le pouvoir d’initiative populaire et, non pas, de le museler comme c’est le cas actuellement.

Ainsi faut-il mettre la Commission et son « initiative citoyenne » face à ses contradictions. Soit c’est une vraie « initiative » qui concourt à l’intérêt général et alors il faut la respecter pour elle-même, soit ce n’est qu’une façade de démocratisation et on doit l’assumer comme telle. Mais l’Europe ne peut pas jouer honnêtement sur les deux tableaux…

Cet article écrit par François Dorléans a été publié préalablement sur le blog Trop Libre.

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