Ingérences extérieures en France : Naïveté ou compromissions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le palais de l'Élysée, siège du pouvoir français
Le palais de l'Élysée, siège du pouvoir français
©AFP

Rapports parlementaires

Le rapport public fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023, relance une fois de plus le débat sur la perméabilité de la France aux actions d’ingérences extérieures. Les auteurs du rapport s’inquiètent. D’où la nécessité d’un plan Marshall de la sécurité Nationale ?

Aurélie Luttrin

Aurélie Luttrin est ancienne avocate en droit public des affaires, conférencière et consultante spécialisée dans la performance des entreprises, des collectivités territoriales et des Etats à l’ère de la 4ème révolution industrielle. Membre du Cercle K2, elle est co-autrice du rapport sur les enjeux du big data (novembre 2022). 

Elle forme également les élus, les professionnels des secteurs public et privé à la compréhension des enjeux de la 4ème révolution industrielle et les accompagne dans leurs stratégies de cybersûreté.
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Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Atlantico : A la lecture du rapport public fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023 publié le 2 novembre dernier, concernant les ingérences étrangères sur notre sol, peut-on réellement parler d’une forme de naïveté de ses auteurs quant aux explications avancées, pour expliquer l’ampleur de ces pénétrations en France ? Voire même d’une forme de propension à minimiser ou à occulter les compromissions en lice ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : La lecture du chapitre 3 de ce document nous relate parfaitement les préceptes de la vision très américaine du monde très prégnante chez certains : une vision plutôt binaire et manichéenne, où nous avons d’un côté le « camp du Mal » (Chine, Russie, Iran, et consorts) et de l’autre, celui du « Bien » traditionnellement composé des alliés alignés sur les positions américaines. Or, face à ces atteintes patentes faites à nos intérêts stratégiques – et auxquels nous devons au demeurant faire face – toute vision explicative manichéenne (à l’anglo-saxonne) s’avère la plupart du temps stérile si l’on n’est pas soi-même américain, et dénote d’une sérieuse méconnaissance des réalités de la géopolitique. Et plus globalement des enjeux de l’intelligence artificielle et de la donnée tels qu’ils se posent à nous. Extrait :

« La France est une grande puissance politique, militaire, économique, scientifique, culturelle. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle fasse l’objet d’agressions protéiformes émanant de l’étranger, visant à infléchir ses positions, à saper sa cohésion nationale, à connaître ses intentions ou encore à voler ses savoir-faire. Ces puissances étrangères profitent également d’une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe, même si le retour de la guerre sur notre continent a permis une prise de conscience collective sur la nécessité de protéger notre souveraineté, dans toutes ses dimensions. »

Comme le rappelait il y a une dizaine de mois sur le réseau Linkedin l’universitaire Thierry Lafon, chercheur associé au laboratoire CeReGe (UR 13564) spécialisé en Intelligence Stratégique à l’université de Poitiers, et pour exemple, il nous est désormais possible d'étudier les techniques du « Nudge » et de production de l’influence, qui ont – pour mémoire –  été utilisées par les anglo-saxons pour promouvoir la « distanciation sociale » en Grande-Bretagne, pendant la pandémie de Covid 19. » Des stratégies que nous pouvons décrypter et qualifier aujourd’hui : « Elles ont été recommandées par le sous-groupe SPI-B des sciences du comportement du SAGE (Scientific Advisory Group for Emergencies) mis en place par le gouvernement Britannique, afin de peser sur la décision immédiate, et à plus long terme des populations […] elles comportent 9 grands moyens d'obtenir un changement de comportement : via l’éducation, la persuasion, l’incitation, la restriction, la restructuration environnementale et la modélisation, et elles se fondent sur les travaux du NICE (National Health Institute) publiées le 24 octobre 2007. » Il en découle selon Thierry Lafon une méthodologie d'action organisée autour de 6 axes spécifiques :

1. législation et fiscalité

2. campagnes médiatiques de masse

3. marketing social

4. programmes communautaires

5. promotions sur les points de vente.

Et qui est associée à une grille d'évaluation en 9 points :

1. Fournir des conseils clairs, précis et crédibles sur des comportements spécifiques.

2. Utiliser les médias pour augmenter le #sentiment de menace personnelle.

3. Utiliser les médias pour accroître le sens des responsabilités envers les #autres

4. Utilisez les médias pour promouvoir des messages positifs autour des actions

5. Réaliser l'envoi de messages [ciblés et individualisés]

6. Utiliser et promouvoir l’approbation sociale des comportements souhaités

7. Envisager de promulguer une législation pour obliger les comportements requis

8. Envisager l'utilisation de la désapprobation sociale en cas de non-conformité.

9. Développer et mobiliser adéquatement les ressources des infrastructures communautaires

10. Fournir des ressources financières et matérielles pour atténuer les effets des mesures sur l'équité

Thierry Lafon nous rappelle aussi que ces méthodes très sophistiquées de génération de l’influence sociale sont les mêmes que celles utilisées par ailleurs, dans « les luttes du faible au fort » mises en œuvre par certaines nations : l’usage d’un narratif, alternant à l’envi, « émotion et faits », destiné à provoquer l'action. 

Face à la montée en puissance des questions d’autonomie stratégique européenne et à la nécessité de se protéger non seulement de risques techniques et opérationnels mais également des risques plus réglementaires, à travers ce rapide exemple que nous n’aurons pas le temps de développer ici, on pourra très distinctement percevoir la puissance d’un tel dispositif que l’on pourra aisément monitorer, à base d’IA et d’usage du Big Data, et à des fins de gestion des perceptions d’une partie adverse. 

Dans le registre du numérique, et comme le rappelait récemment Guillaume Poupard dans un rapide billet sur Linkedin, « la France a, par exemple, décidé en 2022 d’inclure dans son référentiel SecNumCloud des critères de sécurité juridique permettant en outre de s’assurer que seules les lois et règles européennes s’appliquent aux offres qualifiées. Dit autrement, la volonté ainsi explicitée est de se protéger de droits non-européens, souvent qualifiés « d’application extraterritoriale ». Ce qui est en tout état de cause  très facilement le cas dans le registre du numérique : « La version 3.2 du référentiel SecNumCloud publiée en mars 2022 fixe ainsi des critères de nationalité et de contrôle capitalistique s’imposant aux offreurs recherchant une qualification. » Et Guillaume Poupard de conclure que « depuis lors d’intenses discussions à l’échelle européenne dans le cadre de la définition du schéma EUCS ont lieu afin de tenter de concilier des impératifs légitimes d’autonomie stratégique, de défense face à des régulations extra-européennes particulièrement intrusives, mais également d’accès aux meilleurs solutions technologiques. »

On le voit très distinctement à travers ces deux derniers exemples illustratifs, les actions de pénétrations et d’ingérences extérieures activables par nos adversaires disposent aujourd’hui de modalités parfaitement renouvelées, qui passent le plus souvent hors des échos radars de la plupart de nos décideurs politiques et institutionnels. Nationaux et locaux. 

Lorsque l’on analyse depuis plus d’une dizaine d’années, les cas de fuites massives de nos données au profit de puissances étrangères, force est de constater que  « la naïveté » avancée comme explication plausible par certains commentateurs semble pour le moins très insuffisante ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Voir comme seul élément explicatif « la naïveté » comme responsable des atteintes massives à la prévalence des conditions de notre sécurité nationale est un doux euphémisme pour évacuer au demeurant, la franche compromission de certains acteurs en lice dans la boucle des responsabilités ou des décisions publiques. 

En l’état, nous sommes entrés peu ou prou dans une quatrième révolution industrielle où le pouvoir réside désormais, non plus dans le seul capital, mais dans la donnée, pour reprendre les termes de Thomas N.Siebel. Détenez les données des populations, des entreprises et des administrations d’un Etat adverse, et vous dominerez à bas bruit cet Etat, sans faire usage de la moindre arme de guerre traditionnelle. Et tout cela (et c’est peut-être là le plus merveilleux), sans violer le moindre traité ni la moindre règle du droit international. Nous avons drastiquement changé de paradigme depuis plus de 10 ans, mais aujourd’hui encore, la plupart de nos dirigeants politiques et de nos leaders économiques s’acharnent à l’ignorer, et continuent tranquillement de raisonner imperturbablement avec le canevas des règles d’un monde qui n’existe déjà plus. 

En revanche, d’autres ont très bien compris ces nouvelles règles du jeu. Au premier chef, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et leurs entreprises « chevaux de Troie » (les GAMMA – Google Amazon Meta Microsoft Apple, pour les Etats-Unis, Baidu, Alibaba, TenCent, Xiomi pour la Chine). Le tout, couplé à un bloc de traités internationaux (Five Eyes, Route de la Soie, etc…) et de lois nationales extraterritoriales (CLOUD Act, Loi chinoise sur le renseignement national du 28 juin 2017…) garantissant la réussite de leur plan d’expansion économique et stratégique, à l’échelle mondiale. 

Quid de ces ingérences en matière Cyber ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : En matière cyber, il n’y a plus d’alliés traditionnels. Il s’agit d’une course implacable à la domination du monde, avec des camps qui se constituent ostensiblement. Les victimes désignées : les Etats qui disposent d’un faible niveau de compréhension en matière de cyber-conflictualité, qui sont facilement perméables aux techniques de renseignement, d’influence et d’ingérence adverses, et qui ont un gros patrimoine économique, industriel qu’il sera facile de phagocyter et de dépecer en faveur de la puissance qui réussira à capter les données. Comme le souligne d’ailleurs le rapport, la France est une cible de choix pour les prédateurs internationaux de tous poils… Et tous les voyants sont hélas au vert pour organiser un pillage en règle sur nos territoires, avec la collaboration placide de toutes les strates de la population et de la haute fonction publique. Si le rapport est particulièrement étoffé quant aux techniques chinoises, russes, iraniennes et turques, il l’est beaucoup moins quant aux techniques américaines. Tout juste l’affaire Pegasus est-elle mentionnée pour démontrer du bout des lèvres que « l’espionnage entre alliés existe »… Or, la réalité est bien plus cruelle que cela. Les Etats-Unis, au même niveau que la Chine et la Russie, organisent méticuleusement une stratégie de pillage systémique de la France, sur le plan économique, industriel, politique, environnemental et social. Le pataquès  Pegasus semble bien inoffensif et low-cost en termes d’impacts, à côté des autres actions menées quotidiennement contre nos intérêts vitaux.

Quid également, des actions allemandes réalisées contre les intérêts français concernant sa souveraineté énergétique, en outre exposées dans un rapport de l’Ecole de Guerre Economique : « Ingérences des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française » en date du 22 juin 2023 ? Nulle trace dans le compte rendu de nos parlementaires. Ce dernier manque cruellement de dureté et d’intransigeance, alors que les conditions de notre sécurité nationale sont en jeu. La preuve concernant les élus territoriaux où seule est recommandée pour lutter contre les ingérences systémiques « une formation en début de mandat délivrée par le Préfet » (recommandation n° 5 : « Organiser dans chaque département, à l’initiative du Préfet et en lien avec les services territoriaux de sécurité intérieure, une session de sensibilisation des élus locaux aux risques d’ingérences après chaque renouvellement électoral (municipal, départemental et régional) ». 

Cela pourrait prêter à sourire si la situation n’était pas aussi grave ? 

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : En effet. De même, manque cruellement au rapport, la description efficace et circonstanciée des techniques offensives d’infiltration employées par chacune des puissances étrangères hostiles en action, à l’égard de la France : l’exploitation sans vergogne par exemple de l’égo ou de l’orgueil des cibles choisies, ou l’utilisation traditionnels des « 7 péchés capitaux » dont l’un se retrouve particulièrement en tête de liste, car toujours diablement efficace. Autrement dit le sexe. Combien de femmes et d’hommes (en fonction de l’orientation sexuelle des cibles), agents mandatés par des puissances étrangères, ont phagocyté les think tanks, des directions d’établissements ou d’écoles, d’entreprises en utilisant les sites de rencontre dédiés, pour « tamponner » des cibles sensibles et à haute valeur ajoutée dans le but de les compromettre. La technique de la rencontre amoureuse d’opportunité « ou purement fortuite » pour compromettre l’ennemi trop souvent flatté par tant d’attention (ou séduit par tant de compétence physique), baisse sa garde et délivre à la longue de nombreux secrets industriels, ou d’Etat ? 

Ce procédé vieux comme le monde et fonctionne toujours aussi, bien avec un investissement financier minime. Le ROI est maximum. Nous constatons un accroissement massif de cette technique particulièrement efficace sans que cela n’alerte ou ne provoque une sensibilisation et une formation spécifique des élites économiques, industrielles et politiques. Du côté des victimes, c’est le déni complet avec une oscillation entre « je ne suis pas stupide, je l’aurais repéré si c’était le cas » et « faut arrêter d’être parano, je n’ai rien à cacher ». Les centrales en charge (DRSED, DGSE et DGSI en tête) ont bien tenté quelques alertes pédagogiques sur Linkedin, mais il faudrait un plan beaucoup plus musclé pour produire une efficacité certaine.

Mais ne blâmons pas les Etats-Unis, la Chine et consorts. Ils ne font en définitive que le « job » que nous ne faisons plus, et ils le font plutôt bien reconnaissons-le. Nous sommes en définitive les seuls à blâmer. En ce sens, arrêtons de nous victimiser et agissons promptement pour reprendre en main notre destinée en osant l’offensif. C’est une priorité dans un contexte de lutte du faible au fort. Car nous sommes aujourd’hui devenus les faibles. 

Au regard de vos constats, pourrait-on dire qu’il existe une compromission généralisée, à tous les niveaux ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Tenons-nous en aux faits. La cession massive des données de santé de nos citoyens à Microsoft via le Health Data Hub, la cession massive de données sensibles de nos entreprises par la BPI au géant de la data Amazon en contrat permanent avec le Pentagone, le passage sous pavillon américain d’innombrables pépites technologiques et stratégiques incontournables telles Photonis et Exxelia interrogent… .

Les collectivités territoriales ne sont pas en reste, petit florilège :

  • Le soutien de la Région Grand Est au géant Huawei à hauteur de 800 000 euros (la commission du développement économique de la Région a validé l’attribution d’une subvention d’implantation de 800 000 euros pour le groupe de télécommunications chinois, soumis à la loi chinoise sur le renseignement qui l’oblige à transmettre toutes les données collectées sur le territoire français aux chinois.

  • Le maire de Valenciennes qui assume totalement, et jusqu’au bout le « cadeau de 2M € » via un système de télésurveillance offert quatre ans plus tôt par le même Huawei. « Huawei se retire, mais si Huawei était resté, on aurait continué. On ne renie absolument pas ce partenariat », lance le maire, Laurent Degallaix. (Rèf : « Voix du Nord » du 5 août 2021)

  • La page du site de la Région Hauts-de-France qui mentionne haut et fort : « Amis chinois, bienvenue en Hauts-de-France ! » - Région Hauts-de-France (hautsdefrance.fr) 

  • Et nous passons sur les ports et aéroports passés sous pavillon chinois, dont sont très fières les instances régionales à la manœuvre dans ces dossiers…

  • N’oublions pas Dijon et son hyperviseur pilotant l'équipement urbain de 23 communes. Un projet à environ plusieurs millions d'euros sur plus de 10 ans et qui repose pour beaucoup sur un consortium de grands groupes : Capgemini (accord avec Microsoft), Bouygues Energie et Services, Citelum (filiale d'EDF – qui pour la petite histoire – a une filiale Citegestion qui est partenaire du centre d’innovation de Microsoft France), Suez (accord de 2021 avec Microsoft Azure pour le développement de l’IA + Office 365)

  • « L’atelier Numérique Google » à Rennes qui propose des formations gratuites (il ne manquerait plus que ce soit payant...).

  • Les étudiants à l'Université d'Angers (comprenant les campus d'Angers, Cholet et Saumur) qui peuvent installer gratuitement les logiciels de bureautique de base (Word, Excel, PowerPoint, OneNote, Outlook, Access, Publisher et Skype) sur leurs ordinateurs, tablettes et autres smartphones…

  • Certains maires, très fiers d’accueillir des diplomates américains sur leurs territoires, ainsi que des sociétés telles qu’AMAZON, multiplient les posts sur les réseaux sociaux trop heureux de créer des alliances outre-Atlantique, pour le soi-disant bien de toutes et tous, sans oublier la paix dans le monde et les bienfaits de la Tech heureuse naturellement pendant que nous y sommes…

  • Ainsi que des directeurs de la transformation numérique ou des DSI qui malgré les alertes de la CNIL ou de l’ANSSI persistent et signent quant à  leurs choix de solutions Cloud Amazon ou Office 365…

  • Ou des dirigeants d’entreprise fiers d’avoir créé des licornes, et d’avoir aussi pour investisseurs Huawei (Lydia).

  • Et que dire de salons professionnels, tels que le Salon des Maires qui ne devraient promouvoir que des solutions souveraines ou qualifiées ne portant pas atteinte à la sécurité nationale, et dans lesquels ou l’on retrouve pourtant des opérateurs qui sont autant de chevaux de Troie de puissances étrangères, inondant ostensiblement les élus locaux de formations gratuites et de goodies opportunes….

« Ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout : ne vous occupez de plus rien ! Ayez juste confiance… » pourrait être en somme leur crédo ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Nous ne sommes malheureusement pas exhaustifs tellement les exemples sont nombreux et pourraient faire d’ailleurs l’objet d’une commission d’enquête. A cet état de fait préoccupant, s’ajoutent  trop souvent des réponses telles que : « on ne peut pas faire autrement », « c’est trop compliqué » A cela, nous répondons sans ambages que la paresse intellectuelle est mère de tous les maux. Elle conduit, au mieux, à une forme de lâcheté quotidienne assumée, jusqu’à la pire des compromissions : celle faite contre notre Nation et ses intérêts de puissance. Mais visiblement, tout le monde s’en fout !

Ajoutons peut-être ici un aimable petit rappel à la loi :

  • l’article 410-1 du code pénal selon lequel : « Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. »

  • l’article 411-6 du code pénal selon lequel : « Le fait de livrer ou de rendre accessibles à une puissance étrangère, à une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l'exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d'amende. »

Nos parlementaires parlent dans leurs écrits de « naïveté » alors que le droit ignore ce concept. En revanche, il reconnait le principe suivant : « nul n’est censé ignorer la loi ».

Nous reconnaissons bien volontiers que la loi manque de clarté quant à la notion « d’intérêts fondamentaux de la Nation » et en devient, de fait, difficilement compréhensible et donc inapplicable. Proposons donc l’idée d’une modification substantielle et d’une clarification pour permettre une application systématique des sanctions en la matière, et éviter ainsi –  pour le moins –  toute invocation ou recours fallacieux a postériori, à une quelconque « naïveté ou ignorance » des principaux mis en cause. C’est aussi cela le principe de responsabilité. 

Quelles seraient selon vous, les solutions à mettre en œuvre pour lutter efficacement contre ces ingérences étatiques endémiques ? 

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : On ne peut jamais tout contrecarrer ou contre-parer. Mais les recommandations de la commission parlementaire sont bien insuffisantes pour répondre aux impératifs d’urgence et d’efficacité. Une seule formation délivrée par le Préfet, en début de mandat, pour les élus, est bien en-deçà de ce qu’il faudrait mettre en place pour faire monter en compétence toutes les strates de la population. 

Car oui, chaque citoyen doit être acculturé dans le domaine pour rendre plus efficace la protection globale des éléments de la souveraineté nationale, et lutter plus drastiquement contre les ingérences étatiques étrangères. 

Comment pérenniser la souveraineté nationale (dont la souveraineté numérique demeure l’une des émanations) si nos concitoyens eux-mêmes, garants de cette souveraineté, ne bénéficient pas d’une éducation minimale concernant les risques constants d’ingérences étrangères et les enjeux liés à cette 4ème révolution industrielle que nous traversons ?

Ne devrions-nous pas organiser et mettre en œuvre un véritable plan Marshall de la sécurité nationale ? 

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Indéniablement. Rêvons : Idéalement, deux pans sont absolument indispensables à sa bonne réussite : 

  • la formation initiale et continue de la population,

  • une politique pénale musclée visant à sanctionner lourdement toute action qui irait à l’encontre des droits fondamentaux de la Nation, quel que soit l’auteur de cette action (élus, agents de l’Etat, des collectivités territoriales, établissements publics, chefs d’entreprise, salariés, banques, investisseurs, influenceurs, Tech, organisateurs de salons professionnels, centres de recherche…)

Les temps de l’indulgence, de la permissivité et de la naïveté sont révolus compte tenu du contexte intérieur et international. Il est urgent de mettre en œuvre en déployant les attendus d’une stratégie pragmatique, résolue et efficace en la matière. La situation nous l’impose aujourd’hui, plus qu’hier encore. 

Concernant des formations étendues à l’ensemble de notre population, à la subtilité des relations internationale et de la géopolitique, aux enjeux des guerres hybrides, des attaques cyber que nous vivons quotidiennement et la géopolitique, la formation pourrait commencer dès le lycée puis s’étendre aux écoles supérieures, et aux universités, quelles que soient les filières ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Un étudiant en médecine, en droit, un ingénieur, un apprenti doivent connaître les technologies à utiliser de préférence, et les bons réflexes « de survie » minimum, afin d’anticiper ou de résister à une cyberattaque par exemple, sans que cela ne puisse mettre en péril leur entreprise. Il en va de même pour la compréhension du contexte international, afin de ne pas se laisser gruger par les fakes news et les deepfakes adverses, ayant volonté de déstabiliser nos existences communes.  

Intégrons une bonne fois pour toute que le choix technologique est un choix avant tout politique, et doit revenir aux instances dirigeantes d’une structure et non aux fonctions supports. Bien évidemment ces dernières doivent éclairer les instances dirigeantes sur les réalités et l’état de l’Art du moment, qui, ensuite, doivent disposer eux-mêmes d’assez de connaissances et géopolitiques pour pouvoir se poser les bonnes questions, et acter le choix final.

Les formations actuelles sont pour la plupart obsolètes, qu’elles soient initiales ou continues, car aucune ne prépare réellement nos populations aux enjeux de la donnée, ni à la géopolitique induite par celle-ci. Du collège au supérieur, tous les établissements devraient délivrer des cours adaptés à chacun et de bon niveau dans ce domaine pour renverser la donne, et faire de nos jeunes des utilisateurs aguerris, et forger les citoyens éclairés de demain.

De même les écoles préparatoires, les organismes professionnalisants et les centres de formations (INSP, ENM, Ecoles de police, CNFPT….) devraient également prévoir des modules en la matière. Pour les élus, des formations obligatoires annuelles et certifiante devraient être envisagées. Ce n’est qu’à cette condition de pédagogie minimale, et à tous les niveaux, que les choses pourront substantiellement s’améliorer. Des actions de formations naturellement adjointes à des sanctions pénales  systématiquement appliquées, dans le cadre d’une politique « tolérance zéro ». Il est ainsi nécessaire de criminaliser l’infraction au regard des intérêts qui sont en jeu, tout comme le font les Etats-Unis d’Amérique qui doivent devenir un modèle en matière de bloc réglementaire et législatif répressif. Un pays dont chacun convient qu’il demeure, par ailleurs, (rappelons-le aux esprits chagrins), un modèle abouti de démocratie… 

Pensez-vous que si nous reprenions l’intégralité des lois américaines à notre compte, et si nous les appliquions avec la même efficacité, nous aurions beaucoup moins de problèmes pour lutter plus efficacement contre les ingérences étatiques étrangères ? Nous pourrions ainsi conclure des accords de partenariats internationaux beaucoup plus équilibrés et profitables à nos intérêts ? 

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Dans un monde idéal, indéniablement. Les Américains ne plaisantent pas avec ces choses-là. C’est ainsi que nous ne verrions pas certains Think Tanks dument diligentés, phagocyter des entreprises françaises stratégiques, ni des fleurons industriels financés par des puissances hostiles. Les différentes parties prenantes engagées sur le terrain très exigeant de la défense  des  intérêts de la Nation, seraient, ainsi, parfaitement acculturées aux risques afférents, compte tenu des lourdes et concrètes sanctions encourues, pour celles et ceux qui s’aventureraient dans les voies forts dangereuses de la compromission avec des puissances étrangères. 

La technologie n’est plus un gadget. Elle recoupe aussi des enjeux politiques et de primauté géopolitique. Vanter une technologie c’est aussi vanter une stratégie politique qu’on le veuille ou non. Soyons conscients de cela.

Peut-on envisager en parallèle une solution européenne ?

Aurélie LUTTRIN et Franck DeCLOQUEMENT : Cela semble d’emblée assez compliqué en l’état. La souveraineté est avant tout une question d’Etat. Et l’Europe n’est pas encore, à date, un Etat fédéral. Parler de souveraineté européenne retourne en définitive d’un abus de langage.  Tout au plus peut-on parler d’alliance européenne, d’ailleurs bien fragile et soumis à moult turpitudes quand on repense aux ingérences allemandes exposées précédemment. Tout comme les USA ont créé les « five-eyes » (US, Nouvelle-Zélande, Australie, Royaume-Uni, Canada), nous pourrions créer nos propres alliances essentiellement profitables à nos intérêts partagés, faites de rapports équilibrés et imperméables à toute forme d’ingérences extérieures aux membres en lice. Telle pourrait-être, par exemple, l’une des ambitions envisageables. 

L’Europe ne peut malheureusement parler d’une seule voix en la matière, car elle-même, ne développe pas une stratégie claire avec, d’un côté, la promotion haut et fort de la souveraineté numérique européenne  – mais de l’autre  – un étonnant accord sur le transfert des données personnelles aux États-Unis conclu le 25 mars 2022, alors même que les Américains n’ont aucunement changé leur réglementation en matière de captation pour « suspicion de violation du droit américain » (CLOUD Act). Et que, bien au contraire, ils l’ont même renforcée en sourdine à travers leur législation secrète sur la sécurité nationale et le Freedom Act… au mépris total du droit des nations européennes.

Un accord sur fond de crise énergétique que certains résument – in fine – à un troc « énergie contre data » aussi dangereux que déséquilibré, et portant indubitablement atteinte à nos intérêts en matière de sécurité nationale.

A la France de porter une nouvelle vision qu’elle puisse partager avec d’autres partenaires, et de construire une troisième voie (- voix ?) géopolitique profitable à sa préservation et ses intérêts de puissance.

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