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Inflation : quelles nouvelles du front ?
©©Reuters

Phénomène historique

Aux États-Unis, l'inflation est à un taux record de 6,8%, du jamais vu depuis 40 ans. Sur le vieux continent, elle a atteint 5% en décembre, principalement tirée par une hausse des prix de l'énergie, qui a augmenté de 27%.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : L'inflation est à 6,8 % aux États-Unis, du jamais-vu depuis 1982. Dans la zone euro, l’inflation atteint 5 % en décembre, son plus haut niveau en vingt-cinq ans. Qu’est-il en train de se passer ? 

Don Diego de la Vega : Un phénomène ne peut pas se réduire à la mesure du phénomène. Il y a un phénomène de désinflation voire de déflation depuis quinze ans, ce que j’appelle la japonisation rampante. C’est le trend des dernières années, on le constate aisément lorsqu’on regarde les taux d’intérêts. A cela s’ajoute une crise pandémique, une hausse des coûts temporaires. Il y a des perturbations en raison des prix du pétrole qui augmentent fortement. En glissement annuel, si l’on prend un indicateur CPI (indice des prix à la consommation) tel qu’il est calculé actuellement, il y a effectivement de l’inflation. C’est une sorte de rebond essentiellement entraîné par le prix des hydrocarbures. Mais ce n’est pas de l’inflation, c’est un mouvement de prix relatifs. C’est lié d’une part à notre manière de calculer en glissement annuel. Comme le disait Pete Sampras, le classement tennis ATP est fabuleux, on peut être mort et toujours numéro 1 mondial. C’est la même chose pour le CPI. On a déjà fait l’erreur entre 2009 et 2011, lorsque Trichet a remonté les taux. Le CPI mesure mal l’inflation. Ce qui compte, ce sont les anticipations d'inflation. Il ne faut pas que ces dernières dérivent car ce sont elles qui produisent de l’inflation ce qui crée une boucle. Quand on regarde sérieusement les anticipations d’inflation, le meilleur outil ce sont les marchés. Si, comme aujourd’hui, les taux d’intérêts à long terme sont nuls ou très faibles (taux à 10 ans américain à 1,8) cela veut dire que le marché ne croit pas à l’inflation. Les entreprises et les ménages non plus n’y croient pas. Donc il n’y a pas de sujet. Il va y avoir une normalisation statistique dans les mois à venir sur le CPI.  Si les autorités budgétaires n’avaient pas mis de l’huile sur le feu avec des plans de relance au moment où la croissance repartait déjà, on aurait évité ces simagrées. Dans six mois, on se posera des questions de croissance faible, de demande agrégée et de japonisation et ces craintes seront oubliées. Le problème est que les économistes suivent des mouvements très grégaires. Les tenants de la thèse inflationniste en profitent actuellement pour faire avancer leur cause.

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Dans la solution actuelle, convient-il de faire quelque chose ou de simplement attendre que ça passe ? 

Il faut d’abord renforcer la culture monétaire des citoyens, des contribuables et des investisseurs pour qu’ils aient le bon cadre analytique et ne biaisent pas le débat. La question c’est surtout que doivent faire les banques centrales puisque les dossiers ont été transférés dans leur main. Pour les banques centrales, le mieux est de ne rien faire et de laisser passer l’orage et de se préparer au retour de la situation post-normalisation. Le problème c’est que les banquiers centraux sont sous la pression de Wall Street qui souhaite des hausses de taux et en plus il ne veut pas être accusé de ne rien faire. Donc le banquier central est tenté d’agir. Christine Lagarde, à la BCE, a bien résisté en 2021 et n’a rien fait. Powell, lui, à la Fed, vient de craquer. La banque d’Angleterre également. Cela révèle un problème analytique profond. Les Etats-Unis peuvent se permettre de relever leurs taux et de faire quelques bêtises, mais c’est un problème de riche. Ils sont dans une situation qui le leur permet. La zone euro, elle, ne peut pas se le permettre. Elle ne peut pas s’autoriser une grosse faute dans le pilotage de la politique monétaire. Christine Lagarde doit tenir aussi longtemps que possible et faire que si redressement des taux il y a, il soit le plus léger et progressif possible. Le danger vient notamment de la Bundesbank qui s’appuie sur les indicateurs statistiques pour demander une hausse de taux. A mon sens, et ce n’est pas une position consensuelle, l'euro est déjà cher à 1,14. Et une hausse des taux nous ferait monter peut-être autour de 1,20. Ce serait éminemment problématique. 1,14 aujourd’hui, c’est l’équivalent 1,45 il y a quelques années. La bouée de sauvetage économique de la zone euro, c’est la possibilité de redescendre en dessous de la parité avec le dollar pour limiter les effets de la japonisation et ne pas perdre trop de parts de marché sur la moyenne gamme.

S’il y avait vraiment un phénomène d’inflation, ce qui comme vous l’expliquez n’est pas le cas, que devraient faire les banques centrales ? 

Si jamais un retour des années 1970 arrive un jour, même si je ne pense pas que ce soit un scénario possible, la banque centrale peut tuer l’inflation en 48H. Bien sûr, il faut accepter des sacrifices, comme une récession, mais cela se fait avec une facilité déconcertante. Les Allemands en 1923, les Argentins en 1990 ont tué l’inflation en quelques semaines. Pour cela il suffit de faire en sorte que la masse monétaire n’augmente plus. Tant que la banque centrale est crédible, elle peut tuer l’inflation d’un mot. Tant que la société est derrière la décision, il n’y a aucun problème. C’est plus gênant quand la société veut de l’inflation. Dans ces cas-là, le banquier central doit aller contre les souhaits de la société et ça c’est très dur. Certains disent que l’inflation n’est pas un phénomène monétaire, dans ces cas-là les solutions monétaires ne marcheraient pas. Mais l’inflation est bien un phénomène monétaire. Si actuellement il y a de l’inflation en Turquie actuellement, c’est parce que la société anticipe beaucoup l’inflation, est en partie dollarisée et n’a pas envie de lutter contre l’inflation au prix de millions de chômeurs. 

Erdogan a annoncé vouloir baisser le taux d’intérêt directeur contre l’inflation, est-ce une solution réaliste ?

C’est uniquement de la provocation : l’inflation monte et au lieu de monter les taux d’intérêt et d’envoyer d'autres signaux pour régler le problème, il les baisse en convoquant toute la presse et accuse l’étranger pour la chute de la lire turque. C’est de la provocation dans la perspective des élections. On a laissé couler la livre turque et les marchés par prédictions autoréalisatrices ont alimenté la baisse. Les Turcs anticipent plutôt bien les problèmes liés à l’inflation donc le coût social n’est pas énorme et ensuite il y a une part de débrouillardise. Certains pays développés ont connu ces tendances jusque dans les années 1980. Comme le dit Friedman, l’inflation n’est pas incompatible avec la croissance si elle est anticipée et désirée. Mais dans la plupart des pays, au-delà de 8 ou 10 % d’inflation, la situation devient incontrôlable. La Turquie est un cas à part, mais Erdogan joue avec le feu. 

Certains économistes et historiens avancent l’idée qu’on pourrait contrôler l’inflation du contrôle des prix stratégiques. Est-ce une éventualité ? 

Tous les économistes, à l’exception de quelques-uns à l’extrême droite et à l’extrême gauche, sont d’accord pour dire que toutes les expériences de contrôle des prix et des salaires ont été de gigantesques échecs. On l’illustre souvent par le contrôle des loyers à New York dans les années 1960-70 qui a fait de la ville un vrai coupe-gorge à cause des squatteurs. Cela génère des coûts en bien-être extrêmement importants. Ce sont en plus des usines à gaz favoritistes et opaques qui génèrent des effets de cliquet. Nixon a essayé de résoudre l’inflation par le contrôle des prix et des salaires. Cela a été une catastrophe. Comme le disait Milton Friedman, si vous voulez arrêter l’inflation, vous restreignez la monnaie.

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