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Mixité : peut-on vraiment croire que les" riches" habiteront un jour avec les "pauvres" ?
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C'est arrivé loin de chez vous

A l' occasion de son meeting dimanche au Bourget, François Hollande a condamné le 1% des plus hauts revenus français, dénonçant le fait qu' « ils vivent à côté de nous, mais déjà plus avec nous ». Mais ce séparatisme social et territorial n'a-t-il pas toujours été la norme ?

Christophe  Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy est géographe.

Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est également le coauteur, avec Christophe Noyé, de L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004).

Il a publié plus récemment Fractures françaises (Bourin, 2010).

Bruno Cautrès est chercheur au CNRS et au CEVIPOF. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques
 

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Atlantico : Lors de son meeting au Bourget dimanche, François Hollande a évoqué le 1% des plus hauts revenus français, insistant sur le fait qu' "ils vivent à côté de nous, mais déjà plus avec nous". Son analyse est-elle conforme à la réalité ?

Christophe Guilluy : L’idée que les riches aient un jour cohabité avec les pauvres est stupide. Le séparatisme social et territoriale de la bourgeoisie a toujours été la norme. Le fait marquant est que depuis 30 ans les revenus de 90 % de la population ont stagné. En haut, les revenus des 1% les plus riches ont vu leurs revenus rapidement augmenter. Ces « 1% » de personnes à très hauts revenus perçoivent 5,5% des revenus d’activité, et 32% des revenus du patrimoine. Mais cette concentration est encore plus visible quand on s’intéresse au « 0,01 % » dont les revenus ont augmenté de 33 % entre 2004 et 2008.

Où vivent donc les Français les plus riches aujourd'hui ? Et comment leur répartition a-t-elle évolué ?

Aujourd’hui, la répartition des communes où se concentrent les ménages fait apparaître deux types de bourgeoisie. La bourgeoisie traditionnelle ou patrimoniale, celle qui s’est notamment développée pendant la révolution industrielle. Logiquement, on retrouve les communes situées à proximité des anciens foyers industriels. Paris, bien sûr , mais aussi les départements du Nord (exemple Marq-en-Baroeuil) et du Rhône (exemple Sainte Foy Les Lyon). De la même façon, sur la côte méditerranéenne apparaissent les lieux de villégiature de cette bourgeoisie traditionnelle (Menton, Nice, Antibes).

Le plus intéressant est l’apparition de petites communes où se concentrent les plus hauts revenus, pour la plupart elles sont situées à proximité des grandes métropoles (Paris, Lyon, Grenoble, Annecy, Toulouse, Montpellier Dijon ou Lille). Ces » villages chics » sont habités par des ménages actifs en prise avec les secteurs les plus rémunérateurs de l’économie mondialisée des métropoles. Contrairement aux quartiers huppés ou aux lotissements sécurisés ce mode d’habitat n’est pas ostentatoire mais offre la possibilité d’un entre-soi tout aussi efficace. Un choix à l’écart de l’agglomération qui protège par ailleurs de la loi SRU.

Un autre fait saillant directement lié à la métropolisation tient à l’explosion du nombre de ménages ISF dans les anciens quartiers et communes populaires des grandes villes. Ces espaces sont ceux qui ont connu le plus fort processus de gentrification ces deux dernières décennies. Dans la région parisienne les ménages ISF ont ainsi beaucoup augmenté dans les arrondissements de l’Est parisien mais aussi dans la première couronne. Conséquence de la recomposition sociologique des grandes villes, les « riches » peuvent désormais côtoyer les « pauvres » dans des quartiers objectivement mixtes ; cette cohabitation s’arrêtant toutefois à la porte d’entrée des immeubles.

On le voit si le grégarisme social des riches est toujours la norme, il s’organise de façon plus subtile parfois dans des espaces où la mixité sociale est la norme. Cette évolution est liée à la diversité des classes supérieures, la nouvelle bourgeoisie des métropoles, moins fortunée et plus intellectuelle, n’habite pas sur les territoires de la bourgeoisie patrimoniale. Elle est cependant entrain de se constituer un patrimoine très valorisé.

Pour encourager la mixité sociale et résidentielle, François Hollande propose "une modification de la loi SRU avec un relèvement de l’obligation de 20 à 25 % pour la part des logements sociaux et un renforcement considérable des pénalités". Comment évaluez-vous les impacts d'une telle mesure ?

De quelle mixité parle-t-on ? De mixité sociale ? De mixité ethnique ? A quelle échelle ? La commune, le quartier, l'immeuble ? Vous pouvez par exemple avoir - c'est le cas dans les grandes villes - une importante mixité sociale et culturelle à l'échelle d'un quartier, et inversement une homogénéité sociale et ethnique à l'échelle de l'immeuble et du collège. De la même manière, il existe à l'intérieur du parc social des stratégies d'évitement mises en œuvre par des catégories modestes. L'observation de la mobilité résidentielle des ménages, mais aussi les stratégies résidentielles et scolaires, révèlent un séparatisme social et culturel que la loi SRU ne suffira pas à contrer

L'objectif de "mixité" tend à masquer l'essentiel, c'est-à-dire l'importance de la recomposition des territoires sur des logiques économiques, foncières, sociales et culturelles. Les logiques foncières ont ainsi repoussé depuis 20 ans l'essentiel des couches populaires en dehors des grandes villes. Rien n'a été fait pour freiner ce mouvement. Dans les métropoles, les couches supérieures se sont appropriées l'essentiel de l'offre de logements, hier destinée aux ouvriers et employés. Cette disparition d'un parc de logement "social de fait" n' a pas ému grand monde. Dès lors, les discours sur la nécessité de construire des logements sociaux bien que nécessaires, semblent largement incantatoires.

Dans ces conditions, la mixité sociale est-elle possible ?

Le séparatisme social entre riches et pauvres n'est pas une nouveauté. Le grégarisme social des riches n'est pas une nouveauté. De la même, manière, les quartiers et communes ouvrières n'ont jamais été mixtes, et cela ne posait pas de problème car ces catégories étaient intégrées économiquement et politiquement. La nouveauté tient à l'importance d'un séparatisme culturel, qui concerne également les catégories supérieures et populaires. 

Sur cette question des "frontières culturelles", notons que les catégories supérieures, qui sont celles qui plébiscitent le plus la "mixité", sont aussi celles qui évitent le plus la carte scolaire, tout en habitant le plus souvent dans des immeubles très homogènes socialement. De leur côté, les classes populaires qui n'ont pas les moyens d'ériger des frontières, sont plus réticentes.

Selon leur origine, les catégories populaires ne vivent plus sur les mêmes territoires. Les logiques foncières et économiques d'abord, les dynamiques de concentration, puis le séparatisme culturel tendent à renforcer la fracture au sein même des milieux populaires.

Propos recueillis par Franck Michel

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