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Immobilier : pourquoi la hausse des prix ne sera jamais enrayée si les durées de crédits proposées continuent à augmenter
©AFP

Casse-tête

Selon l’Observatoire Crédit Logement, les banques ont allongé la durée des crédits immobiliers au cours de ces dernières années, permettant ainsi aux acheteurs de suivre la hausse des prix. Ainsi, la moyenne d'un tel crédit serait aujourd'hui de 221 mois, soit une progression de 15 mois en quatre ans.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Dans une logique visant à contenir la hausse des prix de l’immobilier, n’y aurait-il pas intérêt à réguler davantage cette capacité des banques à rallonger la durée des crédits immobiliers ?

Michel Ruimy : En fait, ce n’est pas aussi simple. En effet, les banques ont répondu à la crise financière de 2007 et aux évolutions réglementaires qui l’ont suivie par des transformations profondes de leurs modèles économiques. Elles ont notamment modifié la composition de leurs bilans pour des actifs moins risqués, plus liquides et de nombreux établissements ont replacé la banque de détail au centre de leur réorientation stratégique. La réglementation Bâle 3 leur imposant un rééquilibrage de leur ratio dépôts / crédits, les banques ont besoin qu’un volume de dépôts plus important leur soit confié pour pouvoir continuer à jouer leur rôle de prêteur.

C’est pourquoi elles essaient de développer une relation, longue dans le temps, avec leur clientèle au travers du crédit immobilier, souvent opération unique de la vie d’un ménage, dont la maturité moyenne, en théorie, évolue autour de 18 ans en France contre 30 ans pour Espagne et les Pays-Bas et 31-35 ans pour l’Irlande. Ainsi, si le client n’a pas de problème de solvabilité, la banque peut compter sur la régularité des dépôts. Le client est devenu une cible très recherchée et le prêt immobilier, un produit d’appel.

En allongeant la maturité des crédits, les banques ont répondu, en tenant compte de la capacité d’endettement de leurs clients, à une nécessité économique (hausse du prix de l’immobilier) mais aussi, dans une certaine mesure, à la réglementation en cours (accroissement futur des dépôts). Face à la hausse prévisible, à court terme, des taux, on ne peut pas exclure qu’il y aura une extension de la maturité effective des prêts.

Or, alors que la Banque centrale européenne ramenait le coût de financement des banques à un niveau plancher pour doper l’économie, les particuliers ont été très nombreux à frapper à la porte de leur banque ou à celle d’une agence de la concurrence pour tenter de faire des économies sur leur prêt immobilier (remboursement ou renégociation de leurs conditions de financement). Si bien que la maturité moyenne effective des prêts s’est réduite. Les demandes de réaménagement représenteraient, aujourd’hui, près d’un tiers de l’encours des prêts immobiliers des banques hexagonales. Sachant que les prêts immobiliers représentent, en France, autour de 80% de l’encours des crédits aux particuliers, cette situation est ainsi susceptible d’avoir un impact de long terme sur la profitabilité des portefeuilles de prêts immobiliers.

En définitive, si limiter l’allongement des crédits à l’habitat peut sembler une bonne chose en réduisant les tensions sur le prix de l’immobilier par une baisse de la demande, cette mesure d’une part, exclurait une partie de la population souhaitant accéder à la propriété qui ne pourrait pas supporter un endettement plus élevé sur une durée plus courte et d’autre part, risquerait de mettre en difficulté un acteur essentiel du financement de l’économie : les banques car le faible niveau des taux d’intérêt, la concurrence dans les produits d’assurance et les investissements dans le digital pèsent déjà sur leur rentabilité. Demain, l’écart va donc se creuser entre les banques dépendant fortement de revenus de taux (le crédit) et celles qui se mettent en position de percevoir des commissions (conseil, financements structurés...).

Si une telle mesure ne peut être suffisante à traiter les causes de la hausse des prix des logements, quelles seraient les autres solutions permettant d'adresser une réponse à cette problématique qui coupe de plus en plus de Français de la capacité à acquérir un logement ?

Il faut bien saisir que la formation du prix n’obéit pas à des règles aussi simples que les autres produits (confrontation de l’offre et de la demande). En effet, l’évaluation des tarifs dans l’immobilier est complexe puisque elle est tributaire notamment de l’environnement économique et financier (offre et demande de logements, contexte économique, structure des marchés immobiliers, logements neufs et anciens, démographie, taux de logements vacants…), des conditions d’emprunt (taux variables / fixes, maturité des prêts, ratio emprunt sur valeur, répartition des crédits, solvabilité, système de garantie…) et de l’environnement fiscal (mesures fiscales incitatives à la location, distorsion fiscale des locataires vers les propriétaires…).

Aujourd’hui, compte-tenu du contexte économique, il s’agit désormais d’intervenir sur le levier de la baisse du prix des biens et des services pour soutenir la croissance plus que sur l’augmentation des revenus des résidents. Ceci est d’autant plus vrai dans l’immobilier que la situation des ménages français en matière de logement ne s’est guère améliorée durant le quinquennat de François Hollande. Le prix des logements, à l’acquisition comme à la location, s’est fortement accru - même si leur hausse a été relativement contenue, voire stoppée - alors que les salaires ont connu une désinflation. Certaines zones demeurent toutefois très tendues (Ile-de-France et, en premier lieu, Paris), faute de construction suffisante.

Dans ces conditions, plusieurs axes de proposition sont possibles. On exclura l’idée de juguler les prix de façon règlementaire. Ce serait le plus sûr moyen de tuer le marché, de dissuader les propriétaires de céder leur bien... sans rassurer les acquéreurs potentiels, qui douteraient que les prix règlementaires soient les plus bas pour eux. En clair, le marché doit garder sa liberté et la faculté de négocier doit rester pour les parties le principal ressort.

En premier lieu, afin de favoriser l’accession à la propriété, les pouvoirs publics devront poursuivre la politique des quotas de logements sociaux puisque c’est le seul moyen d’offrir une habitation réellement abordable aux ménages les plus modestes et de garantir la mixité sociale dans les lieux de vie.

Deuxièmement, l’abondement de l’offre est, en théorie, une solution forte, à la condition qu'il soit localisé dans les zones tendues, important en quantité et massif. C’est le choc d’offre du programme du candidat Macron, qui proposait de simplifier administrativement l’acte de construire et d’élargir aux zones tendues le concept existant d’OIN (opérations d'intérêt national). Concernant le territoire francilien, l’offre d’habitations mérite une politique particulière : des projets de construction ambitieux, à la fois, en nombre de logements et en qualité architecturale, desservis par un réseau de transports adéquats, devraient être encouragés. Dans les zones tendues, des politiques très coercitives, telles que le retrait du droit à construire, pourraient être envisagées lorsque le terrain n’est pas construit au bout d’un certain temps.

Troisièmement, pour favoriser la vente de terrains constructibles, l’outil fiscal devrait être encore renforcé au travers d’une augmentation des taxes foncières pour les terrains non bâtis et d’abattement sur les plus-values en cas de cession.

Mais surtout, il conviendrait de passer par la décongestion des territoires, où tout le monde ou presque veut aller vivre. À cet égard, le volontarisme du gouvernement pour réduire la fracture numérique dans notre pays avant 2020 est salutaire. Il va devoir se doubler de la volonté de faire venir les entreprises, voire les services publics, sur ces territoires connectés. Qui va le faire ? L'État a un pouvoir d’incitation en la matière, mais ce sont les collectivités qui sont à la manœuvre.

Quels sont les risques de ne rien faire au regard de la situation actuelle ?

Je ne reprendrai pas les mots du président Henri Queuille, l’un des piliers de la IVème République qui affirmait : « Je ne connais pas de problèmes qu’une absence suffisamment prolongée de réponse n’ait fini par résoudre ». En d’autres termes, il s’agit de savoir si le statu quo améliorera-t-il la situation ?

Je ne pense pas qu’il faille viser un statu quo qui serait plutôt source de tensions sociales et de situations précaires. C’est pourquoi, je ne suis pas partisan d’un immobilisme.

Déjà, il faut savoir que les besoins en logement devraient être moindres sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Tandis que plus de 300 000 nouveaux ménages se formaient chaque année entre 2000 et 2006, leur nombre est passé sous la barre des 200 000 depuis 2013. On pourrait donc s’attendre à une tension plus faible sur le marché. Cependant, à un niveau plus local, notamment en Ile-de-France, la demande devrait demeurer très importante du fait de la polarisation de l’activité économique.

Par ailleurs, il me semble que la construction de nouveaux logements ne suffira pas à résoudre la crise du logement. Si vous avez suffisamment de liquidités, il n’y aura pas de pénurie de logements pour vous. Ce qu’il manque cruellement, ce sont des logements abordables accessibles aux personnes à bas et moyen revenus. Aujourd’hui, les problèmes d’accessibilité financière des logements ont atteint un tel niveau que les personnes qui n’avaient, par le passé, aucune difficulté à trouver des logements, et qui ont vu leurs revenus augmentés, se retrouvent exclues du marché du logement !

Au cœur de cet échec se trouve le fossé grandissant entre les fournisseurs (offre) et les occupants (demande). Les logements sont rarement construits directement pour les occupants mais plutôt pour répondre aux demandes de propriétaires, d’investisseurs et de spéculateurs. Nous nous retrouvons, dès lors, face à un système où les logements sont tarifés au prix que les investisseurs sont prêts à payer et non au prix qui est abordable pour les occupants.

Je me pose la question de savoir s’il ne convient pas de placer les occupants et les communautés, et non les investisseurs, au cœur des décisions relatives à la fourniture de logements. L’adoption d’une approche sur le long terme permettrait peut-être de fournir davantage de logements abordables qui répondent mieux aux besoins des personnes qui les occupent. Si l’on regarde à l’étranger, 1 logement sur 4, en Pologne, est fourni par des coopératives locales. En Suède, 1 nouveau logement sur 3 est construit par les occupants des logements.

Le choc d’offre n’aura pas lieu, au sens où on choque le malade, car les résultats ne seront pas immédiats. Il faut plutôt parler d’un lent rétablissement.

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