Imam Iquioussen : pression ou pas pression du gouvernement sur le Conseil d’Etat, la question qui masque une faillite démocratique encore beaucoup plus grave<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers dans la rue où se trouve une maison appartenant à la famille de l'Iman Hassan Iquioussen, à Lourches, le 30 août 2022
Des policiers dans la rue où se trouve une maison appartenant à la famille de l'Iman Hassan Iquioussen, à Lourches, le 30 août 2022
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Dysfonctionnement

Clémence Guetté, députée Nupes, a évoqué une "pression de l'exécutif sur le judiciaire" dans la décision du Conseil d'État validant l'expulsion de l'imam Iquioussen. Alors que le gouvernement a publiquement exprimé son souhait de voir la décision d’expulsion confirmée, peut-on y voir une volonté de contrebalancer une certaine idéologie qui s’est installée au Conseil d’Etat ?

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Atlantico : "Il y a eu une pression de l'exécutif sur le judiciaire" dans la décision du Conseil d'État validant l'expulsion de l'imam Iquioussen, a dénoncé la députée Nupes Clémence Guetté. De fait, le gouvernement a effectivement publiquement exprimé son souhait de voir la décision d’expulsion confirmée. Peut-on y voir une volonté de contrebalancer une certaine idéologie qui s’est installée au Conseil d’Etat ? 

Pierre-Marie Sève : Oui, il était assez attendu que le Conseil d’Etat valide la décision du tribunal administratif. En effet, le tribunal administratif avait suspendu la décision dans la ligne de droite de la jurisprudence du conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation qui ont fait du droit à la vie familiale normale un droit très étendu. La première décision de 1978, l’arrêt Gisti, qui a annulé les restrictions au regroupement familial en a aussi fait un principe général du droit. Depuis lors, une jurisprudence constante retient le droit à la vie familiale normale de manière très étendue. Tout cela relève évidemment de l’interprétation du juge, mais dans des conditions normales, puisque les enfants et petits-enfants d’Iquioussen sont tous français, on aurait pu s’attendre à ce que le Conseil d’Etat valide une interdiction d’expulsion au nom de ce principe. Donc cette décision est étonnante. Cela renvoie à une chose, le droit est un moyen et pas une fin. C’est un moyen d’atteindre des objectifs politiques décidés en collectivité. Et la tendance qu’avait eu le Conseil d’Etat, comme toutes les cours suprêmes françaises (Conseil constitutionnel, Cour de Cassation voire la Cour européenne des droits de l’Homme) avaient tendance à se substituer au peuple pour édicter les objectifs politiques. Avec cette décision concernant le Conseil d’Etat revient à la volonté de l’exécutif donc du peuple. Le droit est politique et les juges font de la politique. Il vient juste de rompre sa cohérence. 

Ce n’est pas un cas isolé. La cour européenne des droits de l’homme est une cour extrêmement politique. Très à gauche sur les questions d’immigration, de droits des détenus et de justice pénale en générale. Pour cela, ils condamnent régulièrement les pays, dont la France. Sauf qu’en 2012, le Royaume-Uni a menacé de quitter la CEDH. David Cameron avait organisé la conférence de Brighton en ce sens. Et la CEDH, face au danger a préféré, faisant fi de sa cohérence juridique, condamner bien moins régulièrement le Royaume-Uni. On se souviendra aussi que c’est le Conseil constitutionnel qui a créé le bloc de constitutionnalité dans lequel il a rajouté des textes : le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Atlantico : Comme le rappelait un éminent juriste à Atlantico, « On pourrait s’interroger sur la procédure de référé devant le juge administratif. Elle a pour différence par rapport au juge judiciaire de ne pas suivre le cour normal des recours. Le référé existe depuis longtemps devant le juge judiciaire. C’est le juge de l’évidence. Devant chaque juridiction, il y a une procédure de référé. La procédure normale est que le juge de référé de premier ressort peut être examiné par le juge de référé de second ressort et, seulement après, par la Cour de cassation. Ce modèle n’est pas transposé devant le tribunal administratif. Ce dernier statue et le seul et unique appel de sa décision se fait devant le Conseil d’Etat. Cela soumet les tribunaux administratifs à une forme de caporalisme. Dans la procédure normale, c’est la cour d’appel administratif de Paris qui aurait dû examiner ce référé. Et en cas de litige persistent, un pourvois aurait pu se faire devant le Conseil d’Etat, sur des erreurs de droit uniquement. Dans le cas présent, on observe un mélange des genres. Un juridiction qui est l’équivalent de la Cour de cassation se mêle, en référé, du fond et de l’urgence. Cette procédure spéciale est une manière de museler les tribunaux administratifs et de les placer au garde à vous de la décision du Conseil d’Etat. C’est la réforme de 1995 qui est en cause. »

Si la justice n’est pas en mesure d’être neutre, au moins faudrait-il qu’elle soit politiquement équilibrée. N’y-a-t-il pas un problème de composition sociologique comme idéologique du Conseil d’Etat et, plus généralement, de la justice au sens large ? 

Oui, c’est évident. Mon expérience vaut ce qu’elle vaut mais, pendant mes études de droit, j’ai pu constater que le droit pénal était trusté par la gauche et une vision de la peine. Ce n’est pas un problème qu’il y ait une vision de gauche du droit pénal, mais il faut un équilibre. Et il n’y était pas. Ce déséquilibre faisait que parler du Général De Gaulle était très mal reçu. Et mes camarades sont, en grande majorité, rentrés à l'École nationale de la magistrature et devenus magistrats. Donc il y a clairement un problème de diversité idéologique. On ne peut pas dire que rien n’a été fait car des passerelles ont été créées pour tenter d’apporter de la diversité.40 à 50% viennent de parcours passerelles désormais. Il faudrait néanmoins faire plus d’effort. C’est le ministre qui fixe le nombre de magistrats qu’il veut par le concours classique et par les passerelles, donc la diversité, il suffit que la ministre le veuille. Le problème est que les magistrats, comme tous les juristes, appartiennent à une certaine caste dans laquelle il est bon de dire certaines choses et pas d’autres. Mais cette vision n’est pas la même que dans le reste de la population. Cela pose un problème dans une démocratie. Une caste comme celle-ci, avec l’importance qu’elle revêt, on souhaiterait qu’elle soit neutre, ou tout aussi diversifiée dans ses opinions que population. Le syndicat de la magistrature, qui est d’extrême gauche, est le second syndicat parmi les magistrats. Il a beaucoup de poids, plus que dans la population. Pour autant, tous les magistrats ne sont pas d’extrême gauche. D’autres syndicats sont moins politisés. 

Atlantico : Toujours selon le juriste contacté par Atlantico, il est intéressant de s’intéresser au profil de l’homme à la tête du Conseil d’Etat. Depuis 2021, c’est Christophe Chantepy qui occupe ce poste. Comme le souligne pudiquement le site du Conseil d’État, Christophe Chantepy a occupé de nombreux postes « en particulier au sein de la section du contentieux », depuis son entrée en 1986. Mais « Outre ce parcours au Conseil d’État, il a notamment été directeur de cabinet de la ministre déléguée à l’enseignement scolaire puis du ministre de la fonction publique et de la réforme de l’État entre 1997 et 2002, directeur de cabinet du Premier ministre de 2012 à 2014, et ambassadeur de France en Grèce de 2015 à 2019. » Le juriste contacté par Atlantico estime que le parcours extra-juridique du président peut poser des questions sur sa partialité, là où le parcours de Christophe Soulard, président de la Cour de cassation, ne peut pas prêter le flanc à une telle critique. « Christophe Chantepy a croisé dans tous les couloirs du pouvoir les gens dont il est censé rendre la justice, c’est tout ce qu’il y a à dire », termine-t-il.

En appelant le Conseil d'État à valider la décision, le gouvernement n’agit-il pas plus sur le symptôme que sur la racine du problème ?

C’est certain. Il faudrait que la justice soit toujours indépendante et agisse selon le droit et l’expression de la volonté populaire. La Constitution parle du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Ce n’est actuellement pas le cas car la justice décide trop souvent des objectifs politiques à la place du peuple français. Les grandes cours décident de choses et les implémentent. C’est le cas des « principes généraux du droit » ou du bloc de constitutionnalité. Quand quelque chose ne nous plait pas, on crée un texte. Tous les tribunaux suprêmes français agissent de la sorte, elles inventent le droit, à l’Américaine.

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