Il n’y a pas que les djihadistes ou les exilés fiscaux… : ces Français qui quittent la France même en y restant<!-- --> | Atlantico.fr
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Certaines personnes s'inscrivent de plus en plus en marge de la communauté nationale française.
Certaines personnes s'inscrivent de plus en plus en marge de la communauté nationale française.
©Reuters

Tu prends tes clics et tes clacs et tu te tailles

Certaines personnes s'inscrivent de plus en plus en marge de la communauté nationale française, tout en vivant en son sein. C’est par exemple le cas d'une nouvelle catégorie de personnes désignées comme les "zadistes".

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico. Aujourd'hui, on assiste de plus en plus à des départs de Français qui expriment leurs désaccords envers leur pays : des exilés fiscaux qui crient leur ras-le-bol d'un système d'imposition jugé inégal, aux djihadistes qui embrassent quant à eux une cause d'un tout autre ordre. Parallèlement, certaines personnes semblent s'inscrire en marge de la "communauté nationale", tout en vivant en son sein. Qui sont ces exilés à l'intérieur ?  

Eddy Fougier : En effet, ce que vous décrivez est un phénomène assez préoccupant et surtout nouveau dans son ampleur. Sur le fond, aujourd'hui, l'idée d'une communauté nationale, de valeurs communes est de moins en moins admise. On peut le regretter mais c'est le cas. Pour vous répondre, les zadistes constituent un bon exemple de ces communautés qui se replient dans le rejet. Dans un ordre d'idée un peu différent, on pourrait citer aussi les marginaux comme les "punks à chiens", qui adhèrent à une mise en retrait de la société au sens strict et comme au figuré. De manière plus acceptée, on constate aussi le développement de communautés "autogérées", à dominance écologiste.

Une autre catégorie d'individus sont les religieux. On peut le constater sur le terrain en ce qui concerne les minorités, musulmanes par exemple, mais aussi chez les catholiques, que l'on a vu récemment se braquer avec une ampleur inédite lors du mariage pour tous. 

Dans les cercles politiques aussi, on peut observer ce phénomène. Ainsi, les militants des formations politiques notamment extrémistes, mais aussi au PS, démontrent parfois violemment leur rejet catégorique d'une forme de communion nationale qui ferait consensus. Dernièrement, par la violence dans leur contestation, les chauffeurs de taxi ont montré une inflexibilité marquante. De même, si vous discutez avec certains enseignants, ils peuvent se braquer sur l'Education nationale, les journalistes sur leurs déontologie, les agriculteurs, les notaires... Ces corporations ont sans doute raison, je ne m'attarde pas sur leurs revendications mais sur le fait que la notion de groupe, de communauté nationale est de plus en plus superficiel dans l'appréciation des événements.

Comment expliquer cette démarche ? Est-ce lié à un problème d'intégration au sein de notre société ? Quelle est la responsabilité des politiques et de leur discours ? 

Vous connaissez la blague de Coluche : Docteur je ne comprends pas, lorsque je mets le doigt sur mon épaule j’ai mal, lorsque je mets le doigt sur mon torse j’ai mal, est-ce que j’ai mal partout ? Et le docteur lui a répondu : "Vous avez peut-être mal au doigt". Là, le doigt, ce sont les valeurs partagées par la communauté nationale, autant les valeurs de janvier de l’esprit de Charlie, dont on a fait le constat que finalement elles n'étaient pas si unanimes que ça. Le socle commun de valeurs n'est plus reconnu en tant que tel par une grande partie de la société, y compris par des personnes qui viennent de milieu qui sont le cœur de la société.

On pourrait avoir tendance à considérer que les politiques ne constituent pas de bons communiquants. Normalement un homme politique doit proposer une vision de la société suffisamment parlante pour qu'on puisse y adhérer, et pour laquelle on a envie de se battre. Le dernier qui a voulu donner une vision globale, qu'on l’aime ou pas, c'était Nicolas Sarkozy.

Or depuis le milieu des années 1980, les hommes politiques n'offrent plus aucun modèle à la société française. Valéry Giscard d'Estaing avait développé une vision profondément moderne de la société, tout comme Pompidou qui avait une réel vision de la politique française. Et sans parler de de Gaulle ! Le basculement est probablement survenu dans notre manière de concevoir les réformes. Auparavant, les réformes étaient là pour les citoyens et elles allaient dans le bon sens : elle étaient animées par un progrès social, économique, matériel... Par plus de liberté. Avec le tournant de la rigueur en 83 et 84, cette inclinaison naturelle s'est muée au point qu'aujourd'hui, on se demande plutôt ce que l'on va y perde. Effectivement, l'adaptation de la société à la révolution industrielle, à la mondialisation, au marché unique, à l'euro, a abouti à un certain nombre de réformes qui ont été très mal vécues par une partie de la population. Pour beaucoup cela s'explique par une défaillance dans la présentation de celles-ci : il n'est pas possible de vraiment adhérer à une réforme si l'on nous dit qu'elle est "nécessaire", qu'il faut être fataliste.

C'est en ce sens que les politiques détiennent une responsabilité dans cette situation. Aujourd’hui, aux yeux de l’opinion, le discours politique est de plus en plus creux. Toutes les décisions prises soulèvent un certain nombre de critiques de la part des Français. L’Europe ne fait plus rêver, la France ne fait plus rêver. Avant on l’imaginait comme une grande puissance, la patrie des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous avons vraiment du mal à nous projeter dans un avenir radieux. Il n’y a rien de très excitant dans l’avenir qu’on nous propose, si ce n’est des larmes et de la sueur !

Peut-on en établir un portrait sociologique ?

On retrouve surtout cet exil chez les jeunes. Mais, et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces jeunes sont pour la plupart issus de la classe moyenne, alors qu'on aurait pu croire qu'ils venaient de banlieues difficiles par exemple. Ils sont donc à la base bien intégrés socialement, mais ne se reconnaissent pas dans la société. Ils vont la juger capitaliste, polluante, décrier la prédominance de la consommation, et donc l'assimiler à une société matérialiste, corrompue par l’argent etc. C’est une critique qui porte donc également sur le caractère éthique de la société, et en cela c'est grave.

Alors, ces individus prônent la décroissance, une forme d’anticapitalisme, ils ne jouent pas le jeu de la mondialisation, ils ne souhaitent pas jouer le jeu de la compétition économique, et reviennent à un mode plus durable, plus local... Dans un grand renoncement par rapport à la situation économique mondiale et à l'intégration de la France dans celle-ci.

Quelles sont les valeurs que ces individus revendiquent ? Dans quoi ne se reconnaissent-elles plus ?

Ils ne se reconnaissent plus dans les valeurs, comme la capitalisme, la société de consommation, la production industrielle, l’agriculture intensive. En soit, tous les éléments qui ont fondé le développement économique de la France depuis les 30 glorieuses. Cette population considère les 30 glorieuses comme une horreur, et comme un ensemble d’éléments à rejeter. Ce n’est pas nécessairement la société française qu’ils rejettent, mais l’état de la société de consommation. Ces personnes là sont pragmatiques, et elles ont la possibilité de mettre en place une alternative, elles le feront, comme en Ardèche, à Notre Dame des Landes. Elles restent ici car elles ont des opportunités concrètes de mettre en place des alternatives. On retrouve ce type de communauté dans tous les pays … En Grande Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis. Ce n’est donc pas tant lié au fait que ce soit la France ou pas.

Faut-il s'attendre à une augmentation du nombre de personnes épousant ce schéma de pensée ? Que faire pour le contrecarrer ?

Il ne me semble pas que ce soit profondément grave. En revanche, c'est une nouvelle fracture qui nourrit un éclatement de la société. Une société qui n’a plus les même valeurs, et surtout les mêmes objectifs est forcément en quête de sens. Et aujourd'hui elle part un peu dans tous les sens. Est-ce que c'est irrémédiable ? Je ne pense pas. Je pense qu'il faut qu'il y ait des entrepreneurs du sens, des individus qui redonnent envie.

A titre personnel, je considère que ce n'est pas nécessaire chez les politiques ou dans l'espoir en l'Etat que l'on retrouvera des personnes de ce type, car ils sont formatés dans des modèles et des schémas qui ne correspondent pas à ce besoin de renouvellement. Ce n’est pas non plus dans les marchés économiques, ni les entreprises, mais plus dans la société civile au sens large du thème. 

Je suis assez sensible sur ce que fait Alexandre Jardin, le fondateur de Bleu Blanc Zèbre, qui veut reporter toutes les initiatives positives faites par les citoyens, associations.

Lire également l'entretien politique d'Alexandre Jardin : “Avec Bleu blanc zèbre, nous travaillons à une révolution positive avant qu’une noire ne nous rattrape”

Dans quelle mesure est-ce que la réunion de l'ensemble des partie-prenantes dans la société -représentants politiques, société civile, associations, institutions- avec pour but de redéfinir des objectifs ou des valeurs communs à la façon des Etats-généraux de 1788, pourrait-elle redonner un souffle, une légitimité à l'action publique ?

Faire de la politique aujourd'hui est il est vrai de plus en plus difficile du fait de l'impossibilité de trouver des compromis.

Sur le fond, cette idée semble intéressante. Mais lorsque l'on voit l'inefficacité de l'instance en charge du débat public en France avec le dossier des OGM, on peut craindre un dialogue plus que compliqué, voire une réunionite. par ailleurs, si une telle idée était mise en place, elle ne devrait pas forcément l'être à l'initiative de l'Etat.

Lire également : La France peut-elle s’en sortir sans organiser des Etats généraux de la nation française ?

Il faudrait tout sur la table, les sujets qui fâchent pour véritablement refonder un pacte national. Le bénéfice ne serait pas négligeable, plutôt que d'attendre un éclatement de violences urbaines ou un symbole tangible du déclin, comme le fait de perdre notre siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais il serait tout aussi compliqué d'éviter qu'un tel rassemblement ne se transforme en pugilat instrumentalisé par les populistes.

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