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L'espace Schengen est de plus en plus remis en cause.
L'espace Schengen est de plus en plus remis en cause.
©Reuters

Quelque chose au Royaume de Danemark

Le ministre des Affaires étrangères danois, Kristian Jensen, a affirmé vouloir fermer les frontières avec l'Allemagne, afin de lutter contre le crime et la misère sur son territoire. Ce n'est pas le premier cas de remise en cause de l'espace Schengen, pilier de l'Union Européenne, qui commence, sous la pression migratoire, à vaciller, comme vacille l'Euro sous la pression grecque.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico: Le ministre des affaires étrangères danois a évoqué la fermeture des frontières de son pays avec l'Allemagne. Comment expliquer que cette remise en cause de l'essence même de l'espace Schengen n'ait pas suscité plus d'émois au sein de l'Union Européenne?

Gérard-François Dumont : L’éventualité d’une remise en cause de certaines règles de l’espace Schengen par le Danemark n’a, a priori, guère de raisons de susciter d'émois. En effet, au moins depuis 2011, plusieurs pays n'appliquent pas de façon continue le "code frontières Schengen", c’est-à-dire le règlement (1) établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières extérieures de l’UE par des personnes et à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures. Ce code ne concerne pas les pays de l’UE non membres de l’espace Schengen : Bulgarie, Chypre, Croatie, Irlande, Roumanie et Royaume-Uni.

Le code frontières Schengen précise que les frontières extérieures ne peuvent être franchies qu’aux points de passage frontaliers et durant les heures d’ouverture fixées. Les ressortissants des pays ne faisant pas partie de l’UE doivent être soumis à une vérification approfondie qui comporte la vérification des conditions d’entrée, notamment une vérification dans le système d’information sur les visas (VIS), le cas échéant.

Pour un séjour n’excédant pas 90 jours sur une période de 180 jours, un ressortissant d’un pays ne faisant pas partie de l’UE doit : être en possession d’un document de voyage; être en possession d’un visa si celui-ci est requis ; justifier l’objet du séjour envisagé et disposer des moyens de subsistance suffisants ; ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen (SIS) ; ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique et les relations internationales des pays de l’UE. Aux frontières extérieures de l’espace Schengen, est demandé une apposition systématique d’une cachet sur le document de voyage des ressortissants de pays ne faisant pas partie de l’UE à l’entrée (et à la sortie) qui permet de savoir par quelle frontière la personne est entrée.

Or, au moins depuis 2011 avec les printemps arabes qui ont déclenché un afflux migratoire, il faut constater que le code frontières Schengen n’est plus régulièrement appliqué, notamment par l'Italie ou par la Grèce, mais pas seulement. Par conséquent, il est difficile aujourd'hui de reprocher au Danemark de vouloir faire pression pour une application stricte de ce code en augmentant les contrôles à ses frontières, alors qu'aucun reproche n’a été formulé aux autres pays dont certaines pratiques sont éloignées des engagements Schengen (2).

Le cas danois est-il motivé par un contexte particulier ou s'inscrit-il dans une tendance grandissante au sein de l'Union ? D'autres pourraient-ils être tentés ?

Le cas danois n'est pas un cas particulier. D’ailleurs, deux pays, le Royaume-Uni et l’Irlande, ont pris dès l’origine une position négative vis-à-vis de l'espace Schengen, en refusant d’y entrer, et ne sont donc pas concernés par le code frontières Schengen. Donc, si le Danemark ou un autre pays souhaitait quitter l’espace Schengen, cela ne ferait pas novation.

En outre, de facto, l’espace Schengen se trouve réprouvé à chaque fois qu’un pays n’en respecte pas les règles. C’est pourquoi d’autres pays de l’espace Schengen formulent périodiquement le souhait de renforcer leurs contrôles à leurs frontières internes à l'espace Schengen. En juin 2015, la décision de la France d’organiser un contrôle à la frontière italienne à Menton témoigne implicitement d’un mécontentement devant le non-respect du "code frontières Schengen" par au moins un autre pays membre.

Est-il possible que des pays souhaitent sortir de l’espace Schengen ? Les exemples britanniques et irlandais montent qu’un pays peut vivre et se développer sans Schengen ; et il suffit de considérer le nombre de passagers et de marchandises transitant chaque jour par la Manche entre la France et l’Angleterre pour comprendre que l'exclusion de cet espace n'empêche pas les échanges. Cependant, lorsqu'un pays est habitué aux facilités de mobilité permises par l'absence de contrôle systématique aux frontières terrestres et par des contrôles facilités aux frontières aériennes, il est difficile de revenir à la situation antérieure à Schengen.

Si le Danemark voulait quitter Schengen, il risquerait de rencontrer une forte opposition des milieux économiques, de l’industrie touristique de son pays, comme de tous ceux qui bénéficient de la coopération transfrontalière entre la région méridionale du Danemark, Syddanmark, et le Land allemand de Schleswig – Holstein. En outre, le Danemark n’a nullement annoncé son retrait éventuel d’une sorte d’espace Schengen septentrional, créé bien avant Schengen puisque démarré en 1958 : l'Union nordique des passeports qui exclut les contrôles à leurs frontières communes entre le Danemark (sauf le Groenland), la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Islande (depuis 1965 pour ces deux derniers pays).

Une fermeture des frontières entre le Danemark et l'Allemagne est-elle seulement possible ? Pourquoi ?

Une fermeture des frontières entre le Danemark et l'Allemagne est toujours possible à envisager, mais penser qu’une telle fermeture puisse être hermétique est à écarter. Certes, la géographie de la frontière terrestre germano-danoise rend la mise en œuvre d'un contrôle systématique à la frontière terrestre relativement facile, puisque sa longueur n’est que de 68 km. Ce serait plus difficile pour les frontières maritimes du Danemark. En revanche, si la France réinstallait des contrôles systématiques à ses frontières terrestres, ce serait coûteux à mettre en œuvre, compte tenu de la géographie et de la longueur des frontières françaises, avec pas moins de six pays.

Si le Danemark réinstallait un contrôle systématique à ses frontières, l'Allemagne pourrait choisir : soit laisser le Danemark seul effectuer un contrôle, soit en installer également un. Mais, très probablement, l'Allemagne se trouverait entraîné à accentuer son contrôle frontalier. Cependant, selon ce que le ministre danois des affaires étrangères Kristian Jensen a formulé le 30 juin 2015, il ne s'agit pas aujourd'hui de réinstaurer des frontières semblables à ce qui existait avant Schengen, mais plutôt d'appliquer un contrôle renforcé, mais non systématique, des personnes traversant la frontière. Il convient d’attendre pour savoir si la décision finale du Danemark enfreint ou non le code frontières Schengen. Car ce code n’interdit pas les vérifications aux frontières intérieures, mais autorise à ne pas en faire. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, peut franchir les frontières intérieures en tout point sans que des vérifications soient effectuées. Toutefois, les autorités nationales de police gardent la possibilité d’exercer leurs compétences dans les zones frontalières intérieures, à condition que les contrôles n’aient pas un effet équivalent aux vérifications frontalières. Ces dernières peuvent être exceptionnellement réintroduites, mais pour une période de 30 jours au maximum, éventuellement prolongeable.

Quelles en seraient les conséquences ? L'espace Schengen y survivrait-il ? Et l'UE ?

L'espace Schengen n'a pas été créé dans le cadre de l'Union européenne, mais seulement par cinq pays membres de l'UE (3). En 1985, devant l'impossibilité de trouver un accord au sein de la Communauté européenne, cinq pays, la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas décident de créer entre eux un territoire sans frontières : "l'Espace Schengen", du nom de la ville luxembourgeoise où sont signés, le 14 juin de cette même année, les premiers accords sur ce thème. Cinq ans plus tard, une convention d'application de ces accords est signée le 19 janvier 1990 par les cinq pays fondateurs. Puis, cette initiative Schengen entre dans les textes communautaires en 1992 avec le traité de Maastricht. Quelques années plus tard, en 1995, l'espace Schengen voit concrètement le jour entre les cinq pays fondateurs ainsi que l’Espagne et le Portugal.

Après cinq élargissements en 1997, 2001, 2007, 2008 et 2011, l’espace Schengen réunit, donc depuis 2011, 22 pays sur les 28 que comprend l'Union, plus quatre pays associés bien que non membres de l’UE : l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein.

Si des pays quittaient l’espace Schengen, ce dernier pourrait très bien continuer à fonctionner avec moins de membres. Mais cela limiterait la dimension géographique de la signification concrète de la notion de "libre circulation des personnes". Et ce serait un échec symbolique qui mettrait en évidence un défaut stratégique de l'Union européenne. En effet celle-ci, au nom d'une stratégie géographiquement extensive, s'est élargie avec des pays qui ne pouvaient pas prendre en charge la gestion des frontières extérieures de l'Europe. Certes, le code frontières Schengen indique que les pays de l’UE doivent mettent en place les effectifs et les moyens appropriés et suffisants pour assurer un contrôle à haut niveau et uniforme à leurs frontières extérieures. Il ajoute que les pays doivent veiller à ce que les gardes-frontières soient des professionnels spécialisés et formés. Mais est-ce véritablement le cas sur toutes les frontières extérieures de l’actuel espace Schengen ?

(1) N° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006.

(2) Dumont, Gérard-François, Cagiano de Azevedo Raimondo, « Les migrations internationales face aux nouvelles frontières de l’Europe" (avec), Population & Avenir, n° 709, septembre-octobre 2012.

(3) Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Armand Colin - Sedes, 2014.

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