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Hygiène, manque de personnel, grèves à répétition... L'état déplorables des écoles marseillaises
©Pixabay

Bonnes feuilles

Parce que de nombreux Français estiment qu’on les ignore, qu’on les méprise ou qu’ils n’ont plus le droit à la parole, Jean-Marie Godard et Antoine Dreyfus ont décidé d’aller à leur rencontre. De les interroger pour rapporter leurs propos sans fard ni filtre, sans a priori ni jugement. D’entreprendre un grand tour de France permettant de brosser le portrait réel du pays en 2017, fruit des avis et récits de chacun. En se posant dans les zones urbaines, les villes, les villages, une semaine ou dix jours à chaque fois, en prenant le temps d’écouter pour raconter, ils sont allés découvrir la France silencieuse, celle que l’on entend peu, plus ou pas. Une France mutique, que l’on sent, ressent, fractionnée, dans laquelle la défiance entre ceux «d’en haut» et ceux «d’en bas» n’a jamais été aussi forte. Extrait du livre "La France qui gronde" publié aux éditions Flammarion (2/2)

Antoine Dreyfus

Antoine Dreyfus

Antoine Dreyfus est journaliste indépendant. Il est l'auteur de Les fils d’Al Qaida, (Cherche-Midi, 2006). Ancien grand reporter à VSD, il a couvert les évènements du 11 Septembre et ses suites (traque de Ben Laden, guerre en Afghanistan, etc). Il prépare un récit sur son expérience d’infiltration en Corée du Nord. En 2008, il a infiltré un voyage d’affaires en Corée du Nord, en se faisant passer pour un négociant en chocolat. Enquêteur, il collabore notamment à Lui Magazine,  au site internet Hexagones ainsi qu’au Canard Enchaîné. 

 

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Jean-Marie Godard

Jean-Marie Godard

Jean-Marie Godard est journaliste depuis 1990. Reporter durant vingt ans au bureau français de l'agence Associated Press, il exerce aujourd'hui sa profession en indépendant et est l'auteur du livre Paroles de flics (Fayard, 2018), une plongée dans le quotidien des policiers de base pour raconter l'humain derrière l'uniforme. Il est également co-auteur, avec Antoine Dreyfus, de La France qui gronde (Flammarion, 2017), road-trip au travers du pays.

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On dit souvent que la misère est moins pénible au soleil. À peu près tout le monde connaît la chanson d'Aznavour ; l'évidence semble tomber sous le sens : si l'on n'a pas froid, la vie paraîtra plus douce, même sous un abri peu étanche. Marseille traîne cette réputation, celle de ne pas rouler sur l'or, mais d'être agréable grâce au soleil, à la luminosité et à la mer. Certes, le soleil apaise. Mais le soleil ne peut rien pour réparer les bâtiments délabrés des écoles élémentaires et primaires locales, pour repeindre les murs décrépis, abattre les préfabriqués du siècle dernier, enlever les traces d'amiante, changer le mobilier de récup, réparer les vitres cassées, les portes défoncées, les faux plafonds troués ou remettre du papier toilette… Le soleil n'est pas magicien. Le soleil peut juste réchauffer les coups de blues.

(...)

À vrai dire, la détérioration matérielle des écoles marseillaises est un secret de polichinelle dans la cité phocéenne. La ville avait pourtant initié un vaste plan « école réussite », dont le but était d'améliorer le parc scolaire vétuste, cédé par l'État dans les années 1980 aux communes. Le problème, c'est que les finances n'ont pas suivi, comme dans beaucoup de domaines ici. Jean Canton, l'ancien directeur général de l'urbanisme à la ville (de 2002 à 2009) ne peut qu'amèrement constater que Marseille a construit seulement trois écoles en sept ans et demi. Des associations dénoncent cette situation depuis de nombreuses années. En 2014, le Collectif DZ pour les écoles, réunissant des parents d'élèves, des enseignants et des fonctionnaires territoriaux, a rédigé un Manifeste des écoles qui décrivait une situation extrêmement préoccupante : «Depuis longtemps, à Marseille, que ce soit en matière d'effectifs, de gestion ou de maintenance, les écoles et les infrastructures municipales liées à l'éducation souffrent d'une pénurie criante. C'est une situation choquante, qui relève de l'urgence, et qui nécessite des choix radicalement autres, dictés par une honnête volonté politique de servir le public : la population marseillaise et en particulier les enfants. « Citoyens, parents et professionnels (enseignants et agents municipaux), soucieux de l'avenir des enfants et donc de l'école, se sont rassemblés autour de ce manifeste afin de contribuer à l'amélioration profonde du système éducatif de la deuxième ville de France ! Ils souhaitent plus que jamais inscrire l'école dans le débat sociétal comme une priorité et veulent que chacun, à son niveau, prenne ses responsabilités face aux enjeux que la ville de Marseille doit relever. » Des exemples ? Dans ce Manifeste, il y en a à foison.

Prenons la cantine : « Rats dans les entrepôts, insectes dans les assiettes. Un manque d'hygiène accablant. Malgré des plats diététiquement conçus, les adultes et les enfants sont unanimes : le goût n'est pas au rendez-vous. Le manque de personnel encadrant rend difficile un temps de restauration calme et serein (disputes, accidents, repas avalé en hâte, bruit, etc.) » L'hygiène ? « Manque de toilettes, de lavabos, de papier toilette, de savon et d'un moyen pour s'essuyer les mains […] ; les adultes apportent souvent eux-mêmes ce qu'il manque ! » Le matériel pédagogique ? « Les enseignants qui commandent le matériel sont obligés de passer par un nombre de fournisseurs très restreint choisis par la mairie centrale : les tarifs sont chers, les choix s'appauvrissent au fil des ans au détriment de la qualité ; une partie non négligeable du matériel éducatif n'est pas accessible. » L'apprentissage de la natation ? À oublier. « Les piscines publiques sont en nombre insuffisant. Ces dernières années, cinq piscines ont été définitivement fermées ou laissées à l'abandon, comme c'est le cas depuis 2008 pour la plus belle et la seule piscine olympique de la ville : la piscine de Luminy. » Et « le faible recrutement de maîtres-nageurs sauveteurs par la mairie rend impossible l'apprentissage de la natation pour tous les enfants marseillais ». Le personnel encadrant des agents municipaux ? Insuffisant aussi. Pendant le temps cantine, en maternelle, une personne est responsable de 25 enfants (contre une pour 12 à Lyon). En élémentaire, c'est une personne responsable de 50 enfants (contre une pour 24 à Lyon). Les parents ont donc désormais pris l'habitude de pallier l'école défaillante. Ils savent, par exemple, que chaque mois à l'école Eydoux (Marseille, 6e arrondissement) les « Tatas » (les dames de la cantine) font grève et qu'il faut donner à leur progéniture un pique-nique pour le repas de midi. Les parents ne sont même plus énervés. Juste fatalistes. C'est ainsi, il y a grève et il faut prendre ses dispositions.

Pour tout dire, le délabrement des écoles maternelles et élémentaires, s'il tient aux baisses des finances publiques de la ville, est aussi la conséquence de choix politiques de la municipalité, qui a su trouver, lorsqu'il le fallait, des sous pour rénover le Stade Vélodrome, mais qui se fait tirer l'oreille dès qu'il s'agit d'investir dans les bâtiments et le matériel de l'école publique. Ainsi, pour réaliser les 268 millions d'euros de travaux de rénovation du stade, la municipalité a signé un PPP (partenariat public privé) d'un montant que la Chambre régionale des comptes de PACA estime à 1 milliard d'euros. Collectivités locales et État ont apporté 50% du prix des travaux, tandis qu'Arema, une filiale de Bouygues, a complété le tour de table. Le hic, c'est que ce contrat court sur trente et une années, et que le coût net du PPP pour la commune est estimé à 500 millions d'euros, soit près de deux fois le montant des travaux, car la ville verse un loyer de 18 millions d'euros à l'entreprise Arema. Si l'on retire de ces 18 millions le loyer de l'Olympique de Marseille, la ville doit, au final, sortir 14 millions d'euros chaque année, pour, au bout des trente et un ans, ne plus être propriétaire du Stade Vélodrome ! Choix politique, donc, de privilégier les infrastructures sportives prestigieuses. Ajoutons à cette note salée une nette préférence pour les écoles privées et vous obtenez des établissements publics délabrés, qui, on ose le dire, ne sont pas dignes de la cinquième puissance économique mondiale.

Extrait du livre "La France qui gronde" publié aux éditions Flammarion

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