Hollande déclare une pause fiscale… mais en avons-nous les moyens (et surtout comment se les redonner) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a déclaré au journal Le Monde qu'il était temps de faire "une pause fiscale"
François Hollande a déclaré au journal Le Monde qu'il était temps de faire "une pause fiscale"
©Reuters

Have a break

François Hollande a déclaré au journal Le Monde qu'il était temps de faire "une pause fiscale", "plus tôt qu'il n'avait été prévu". Mais le président est contraint par ses engagements sur les déficits auprès de la Commission européenne à trouver des solutions pour financer cette pause.

Frédéric Bonnevay et Gérard Thoris

Frédéric Bonnevay et Gérard Thoris

Frédéric Bonnevay est Associé d’Anthera Partners. Il conseille des institutions financières en Europe et au Moyen-Orient.

Il est notamment l'auteur de l'étude Pour un Eurobond - Une stratégie coordonnée pour sortir de la crise (Février 2010, Institut Montaigne).

 

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé uneAnalyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (SociétalRevue française des finances publiques…).

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Atlantico : François Hollande a déclaré dans un entretien accordé au journal Le Monde qu'il fallait faire "plus tôt qu'il n'avait été prévu, une pause fiscale". Alors que la Commission européenne a accordé deux années supplémentaires à la France en mai dernier pour abaisser son déficit à 3% du PIB, le président de la République agit sous la "contrainte" d'un engagement sur le rétablissement des comptes publics. François Hollande a t-il vraiment les moyens d'une "pause fiscale" ?

Frédéric Bonnevay : Le terme de « pause fiscale » est en soi inquiétant, dans la mesure où il semble renvoyer à l'interruption temporaire d'un effort durable, inscrit dans la continuité. Or, il existe désormais un net consensus autour d'une stratégie budgétaire visant à rééquilibrer nos comptes, sans délai, par une baisse des dépenses - et non par une nouvelle hausse de la pression fiscale, fût-elle différée. La communauté des analystes, nos créanciers institutionnels, Bruxelles, le FMI, Berlin - tous s'accordent sur ce point. Ce n'est pas d'une « pause » fiscale que la France a besoin, mais plutôt d'un virement de bord stratégique bâti sur deux piliers : une baisse des coûts homothétique et immédiate, doublée d'une externalisation plus systématique des missions de l'État, à des fins d'efficacité financière et opérationnelle.

Gérard ThorisL’art de la communication de la présidence de la République française est remarquable. L’annonce d’une « pause fiscale » arrive au moment où le gel du barème de l’impôt sur le revenu va produire ses effets sur les feuilles d’impôt qui vont tout prochainement tomber dans les boîtes aux lettres des Français. « Ne craignez pas, chers contribuables, vous êtes désormais imposables mais 1/ nous avons rétabli l’indexation du barème pour l’année 2014 (concernant les revenus de 2013) 2/ vous n’avez plus rien à craindre pour le futur proche en matière de fiscalité ». Comme tous les pouvoirs autoritaires, il ajoute même une formule de récompense. Oui, nous avions pensé vous pressurer davantage, mais nous avons décidé de geler les impôts « plus tôt qu’il n’avait été prévu ». A moins que le message subliminal ne soit : « notre politique a tellement généré de croissance que les recettes fiscales vont augmenter sans modification de barème ».

De fait, c’est bien ce que nous trouvons dans la Loi de programmation des finances publiques (LPFP) : « Le projet de foi de programmation des finances publiques 2012-2017 repose sur des hypothèses macroéconomiques prudentes. Le PIB est supposé croître de 2 % par an entre 2014 et 2017, soit un rythme nettement inférieur à ceux enregistrés au sortir des précédents épisodes de récession[i] » ! Grâce à cette fée tellement décriée par ailleurs, la même LPFP écrit que l’impact des mesures fiscales prises par voie législative ou réglementaire se montera à 24 Md€ en 2013 mais à -11Md€ en cumulé sur 2014-1017. C’est sans doute là que se trouve le fondement de l’annonce du Président.

Cependant, chacun le sait, la magie du verbe présidentiel n’opère pas autant que de besoin et la croissance actuelle n’atteint pas le seuil fatidique des 2 %. Quant à la croissance future, si jamais elle résistait à l’accroissement de la pression fiscale, elle devrait néanmoins être réévaluée à la baisse du fait de la durée et de la profondeur de la crise.

Donc, sous réserve que le gouvernement a effectivement la volonté de ramener le déficit budgétaire structurel à 3% en 2014 et à 0,15% en 2017, il ne sera pas possible d’éviter de nouveaux arbitrages entre recettes supplémentaires et baisse des dépenses publiques. A moins que la répression financière ne soit telle que les prêteurs se disputent les émissions de dette publique française !


[i] http://www.economie.gouv.fr/files/projet-loi-finances-2013-plf-lpfp.pdf

A défaut d'avoir les moyens, comment François Hollande peut-il se donner les moyens de cette "pause fiscale" ? Cela signifie t-il que le temps des économies est venu ?

Frédéric Bonnevay : L'administration actuelle dispose de tous les moyens nécessaires pour engager une action vigoureuse en matière de réduction des dépenses mais aussi - et surtout - de restructuration de son activité, en s'appuyant sur des prestataires privés, d'une part, et en adoptant une régulation plus fine, susceptible d'inciter des acteurs privés à conduire spontanément des missions historiquement prises en charge par la sphère publique. En revanche, tout retour sur les engagements budgétaire pris par la France seraient catastrophiques. La parole publique est déjà largement démonétisée, décrédibilisée vis-à-vis des marchés. Un nouveau reniement aurait un impact grave et durable sur la confiance que nous accordent encore des investisseurs déjà très inquiets. En d'autres termes, moins de « pause fiscale » que de « virement de bord stratégique » et surtout, surtout, maintien à tout prix de nos engagements passés, quels qu'ils soient. Seule une dérogation à la faveur d'une révision globale des perspectives, au niveau européen, serait acceptable.

Gérard Thoris : L’idée que l’on puisse renégocier avec Bruxelles tous les trimestres est intéressante. Elle signifierait que les Français ont droit à des égards par rapport aux Grecs. Ces derniers supportent programme de rigueur sur programme de rigueur au point que leur économie est étouffée jusqu’aux dernières limites. Les Français ne peuvent obtenir davantage de temps car ils n’ont pas commencé les réformes qui étaient la contrepartie de la patience de Bruxelles au printemps dernier. Qu’on se souvienne du psychodrame autour de la réforme des retraites et relisons la « recommandation du conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2013 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour la période 2012-2017 : « une augmentation du niveau des cotisations de sécurité sociale aurait une incidence négative sur le coût du travail et devrait dès lors être évitée »[i]. C’est pourtant ce que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault vient de faire ! Il est donc peu probable qu’il dispose d’une oreille attentive pour obtenir de nouveaux délais de la Commission européenne quant au taux de déficit budgétaire.

Par contre, il faut s’interroger sur la patience de nos partenaires et, en tout premier lieu, de l’Allemagne. Occupée par sa campagne électorale, Mme A. Merkel ne peut réagir à l’absence d’évolution des dossiers de réformes en France. Par contre, une fois les élections passées, et gagnées, l’Allemagne pourrait décider de tirer un trait sur son partenariat privilégié avec la France. Dans la vie d’un couple, ce qui aboutit à la rupture n’est jamais la dernière dispute, mais l’ensemble accumulé des discordances, des paroles non tenues, des pas qui n’ont pas été faits au bon moment pour continuer à marcher main dans la main. Objectivement, nos partenaires et amis ont émis nombre de signaux qui n’ont jamais été entendus de ce côté-ci du Rhin. A un moment, il faut bien que l’un des partenaires tranche même si les conséquences de sa décision lui sont douloureuses. Cela relève d’une improbable décision, voire d’une décision irrationnelle. Mais l’histoire est pleine de ces décisions qui ressemblent à des étincelles ; leurs conséquences ont pris une ampleur inattendue à cause de la quantité de poudre qui se trouvait sous l’étincelle !

De toutes façons, la stratégie présidentielle de ne pas faire de vagues empêchera les décisions radicales qui permettraient de diminuer les dépenses de manière substantielle. S’il manque un point de croissance sur les prévisions de croissance en 2014, c’est 10 Milliards d'euros qui manqueront dans les recettes fiscales, autant que l’effort « sans précédent » annoncé par le Premier ministre le 25 août dernier !


[i] http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/nd/csr2013_france_fr.pdf

Le président de la République a parlé d'une "pause" et non d'un arrêt en matière de hausse d'impôts. Combien de temps cette "pause" peut-elle durer ? Quels autres impôts, taxes ou charges sociales François Hollande pourrait décider d'augmenter une fois la "pause" terminée ?

Frédéric Bonnevay : Espérons que cette « pause » soit le prélude à un virage à 180 degrés, à un reflux de la pression fiscale. Hélas, nombreux sont les indices qui laissent penser le contraire. Dans ce cas, un relèvement des taxes à base large serait probablement l'option la moins dommageable : TVA et, dans une moindre mesure, CSG. La fiscalité française reste en complet chantier, les contre-mesures répondant aux mesures, les dérogations à chaque nouvelle norme. Le résultat est désolant : le paysage s'opacifie au gré des lois de Finances, au point qu'il est impossible d'effectuer des prévisions à peu près fiables. Nombreux sont ceux qui prônent une refonte complète de l'impôt. Associée au « virement de bord » précité, elle pourrait nous sortir de l'ornière. Mais le temps passe et ce n'est pas en multipliant les pauses de toutes natures qu'un changement salutaire interviendra.

Gérard Thoris : A prendre la déclaration présidentielle à la lettre, il s’agit d’une « pause fiscale ». Cela laisse de la marge pour les cotisations sociales ou la contribution sociale généralisée. Mais il est peu probable qu’il puisse encore jouer sur les mots en matière de prélèvements.

On peut, à volonté, admirer ou s’inquiéter du mot « pause ». L’admiration provient de la capacité de l’actuel président de la République d’entrer jusque dans le vocabulaire de François Mitterrand ! On s’en souvient, les réformes menées à la hussarde par Pierre Mauroy avaient vidé les caisses de devises de la Banque de France. Une « pause » devenait obligatoire et c’est Jacques Delors qui en fut l’architecte. Cependant, à y regarder de près, trente ans après, aucune des réformes qui avaient conduit à l’impasse n’a été remise en cause.

Avant qu’elle ne soit obligée de remettre son modèle en cause, on disait de la Suède que « le niveau de vie y est tellement élevé que plus personne ne peut l’atteindre » ! Mais on n’a pas le droit de constater que la formule peut s’appliquer sans difficulté au SMIC français, au moins depuis 1981. Sinon, qu’on explique pourquoi il faille en socialiser une partie croissante ! De même, la France n’aurait aucun problème avec l’âge de la retraite si ce même gouvernement n’avait généralisé la retraite à 60 ans.

Enfin, Pierre Gattaz vient de rappeler que l’ISF est « destructeur d’emplois ». Or, il a bien été intégré dans la législation fiscale comme un « impôt sur les grosses fortunes ». Ce n’est pas parce qu’un dirigeant salarié bénéficie de multiples exonérations liées à son statut qu’il peut se faire le porte-parole des dirigeants propriétaires. Ces derniers savent d’expérience combien le développement de leur entreprise a été pénalisé par cet impôt que, à l’instar de la taxe professionnelle, on pourrait qualifier « d’imbécile ».

Au final, on voit bien que, de la pause initiée par Jacques Delors, on n’est jamais revenu au « play ». Mais, en même temps, on est restée sur « pause ». Cela fait trente ans qu’aucun gouvernement n’a réellement le courage de remettre en cause les réformes qui ont conduit à cet étrange arrêt sur image qui dure encore aujourd’hui

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