Hermann Goering : le deuxième homme du IIIe Reich, écologiste avant l’heure<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'archive non datée prise pendant la Seconde Guerre mondiale en Allemagne montre Adolf Hitler, Hermann Goering, Joseph Goebbels et Rudolf Hess.
Une photo d'archive non datée prise pendant la Seconde Guerre mondiale en Allemagne montre Adolf Hitler, Hermann Goering, Joseph Goebbels et Rudolf Hess.
©ARCHIVES NATIONALES / AFP

Bonnes feuilles

Philippe Simonnot publie « Le brun et le vert Quand les nazis étaient écologistes » aux éditions du Cerf. L'écologisme dont se revendiquait le nazisme reposait sur l'idéalisation d'une nature sauvage mâtinée de darwinisme social, porteuse d'une exaltation de la force. Elle participait en fait de l'antihumanisme fondamental de ce totalitarisme. Extrait 2/2.

Philippe Simonnot

Philippe Simonnot

Philippe Simonnot est économiste. Son dernier ouvrage en librairie s’intitule Non l'Allemagne n'était pas coupable, Notes sur les responsabilités de la Première Guerre Mondiale (Editions Europolis, Berlin). Il est aussi l'auteur de Chômeurs ou esclaves, le dilemme français, (Ed. Pierre-Guillaume de Roux). En 2012, il publie La monnaie, Histoire d’une imposture (Editions Perrin), en collaboration avec Charles Le Lien.

Voir la bio »

Dans le registre écologiste nazi, un personnage s’est imposé qu’on n’attendait pas, Hermann Goering, devenu le no 2 du Reich après la fuite de Rudolf Hess en Grande-Bretagne. De fait le maréchal couvert de médailles a endossé parmi les costumes plus ou moins fantaisistes qu’il aimait porter, celui, pourrait-on dire, de suprême garde forestier du régime ou encore de grand veneur du Troisième Reich.

Dans la biographie monumentale de 800 pages que François Kersaudy lui a consacrée, un seul paragraphe est consacré à cet aspect peu connu du personnage. Le voici :

« Ainsi [Goering] prend très au sérieux ses fonctions de grand-veneur et maître des Forêts du Reich, et force est de reconnaître que ses initiatives dans le domaine de la préservation du domaine forestier comme de la conservation des espèces animales font de lui un écologiste avant l’heure : il délimite de vastes réserves naturelles et importe des rennes de Suède, des bisons, du Canada, des cygnes et des canards sauvages de Pologne et d’Espagne ; il réglemente sévèrement la chasse, en limitant la délivrance des permis, en instaurant des pénalités sévères pour les braconniers et les chasseurs dépassant leurs quotas, en interdisant les pièges de toutes sortes, la vivisection, la chasse à courre, la pêche au fanal, la chasse aux petits oiseaux et les battues de nuit au projecteur. Dans un domaine où régnait l’anarchie la plus complète, il fait voter des lois créant une véritable administration des Eaux et Forêts, capable de faire respecter les décrets de conservation et supervise une vaste entreprise de reboisement autour des villes. Il est juste de dire qu’après la grande tourmente de la guerre, l’Allemagne fédérale ne changera pratiquement rien à la législation environnementale du grand-veneur et maître des Forêts du Reich... »

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Les points de suspension du biographe sont lourds de sous-entendus. « Créateur de la Gestapo, il laissa derrière lui une législation écologiste très avancée », peut-on lire, par ailleurs, dans un portrait publié par le journal Libération sous le titre « L’Ogre du Reich ». « Alors que 200 000 hectares de forêt sont intégralement protégés en Allemagne, avec un objectif à terme de 500 000 hectares, nous ne pouvons pas [en France] en rester à quelque 20 000 hectares de réserves biologiques intégrales », notent pour leur part Cochet et Durand, sans se demander pourquoi l’Allemagne a une telle avance dans ce domaine.

Mais si l’œuvre écologiste de Hermann Goering est si importante et si durable, le biographe ne devait-il pas en dire plus ?

C’est un paradoxe du Troisième Reich et de sa polycratie d’avoir permis à l’un de ses dignitaires de se tailler un empire dans l’empire. Rien ne prédestinait cet ancien pilote de chasse, quelle que fût sa virtuosité de chasseur d’élite dans les acrobaties aériennes de la Première Guerre mondiale, à devenir ministre-président de la Prusse, président du Reichstag, Reichsmarschall (maréchal du Reich), ministre de l’Air, commandant en chef de la Luftwaffe, ministre du Plan quadriennal et auto-proclamé grand maître des forêts du Reich. Ses erreurs à la tête de l’aviation allemande conduisirent aux deux plus importantes défaites stratégiques du Troisième Reich : le rembarquement des troupes anglaises et françaises à Dunkerque en juin 1940, qu’il échoua à empêcher, et la défaite allemande à Stalingrad à laquelle il contribua par ses erreurs d’appréciation. Pourtant, Hitler le conserva pratiquement 6 jusqu’au bout et en fit même, après la défection de Hess, son successeur désigné. Sans doute avait-il besoin de la popularité de ce maréchal aux costumes extravagants et à l’embonpoint énorme et peut-être rassurant, très people avant la lettre, par ailleurs milliardaire et grand pilleur d’œuvres d’art à travers l’Europe occupée par les troupes allemandes.

La loi de protection de la nature de 1935 avait engendré une assez grande confusion administrative. Au « désordre » fédéral de la République de Weimar, le Troisième Reich avait fait succéder une sorte de polycratie où à travers les ministères, industriels, agriculteurs et autres groupes de pression se disputaient férocement terres, ressources en eau, matières premières dans une économie en état de siège avant même d’être en état de guerre. Aussi bien est-ce à Hermann Goering que l’on doit la mise en ordre des nouvelles réglementations environnementalistes. Très vite, il instaure l’Office du Reich pour la protection de la nature, dont il prend la direction. Toutes les décisions importantes doivent désormais remonter jusqu’à lui – ce qui lui confère un pouvoir considérable.

C’est dans le domaine forestier que Hermann Goering va imprimer sa marque avec le plus de force. Le culte de la forêt, en effet, a été dès les débuts du Parti national-socialiste un thème de propagande indéfiniment ressassé. La République de Weimar était accusée d’être « étrangère » à ce culte. « Le peuple allemand et la forêt allemande sont une seule et même chose », proclamait un slogan nazi, réveillant un récit plus ou moins légendaire remontant à la nuit des temps.

(…)

La raison pour laquelle le régime nazi se rallia si facilement à l’idée de Dauerwald fut sans doute la Waldgesinnung (l’esprit forestier) personnelle de Hermann Goering. Ce dernier pouvait se targuer d’avoir été dès sa jeunesse un ami de la nature, un montagnard zélé. « [Il] se révèle très vite, reconnaît Kersaudy, comme un virtuose de l’escalade ; ignorant superbement le vertige et la peur, il part à l’assaut des falaises avec un entrain qui ferait pâlir plus d’un montagnard chevronné. » Chasseur passionné, randonneur familier des bêtes et des forêts, il ouvre, avec deux camarades, un nouveau sentier dans les Alpes bavaroise. En tant que maréchal du Reich, il se rend compte de l’énorme potentiel de propagande d’un appel primitif à la Dauerwald « organique » qui serait opposée à la monotonie mécanique des plantations modernes. D’autant que le risque de Waldsterben (mort des forêts) était redouté en Allemagne déjà depuis plusieurs décennies.

Dès le 17 janvier 1934, sous l’impulsion de Hermann Goering, donc, est adoptée une loi contre la dévastation des forêts, qui s’appliquait aussi bien aux domaines publics qu’aux propriétés privées – une nouveauté radicale pour l’époque. À partir de 1934, les propriétaires de forêts avaient l’interdiction de procéder à des coupes de conifères de moins de 50 ans, sous peine d’un an de prison ; de procéder à des coupes claires pour plus de 2,5 % de leur exploitation. Ils avaient l’obligation de choisir des coupes sélectives de préférence à des coupes claires ; de couper les arbres les moins beaux de façon à permettre aux plus beaux de croître et de se reproduire, améliorant ainsi l’état de forêt dans son ensemble ; d’éviter de couper les plus vieux et les plus grands arbres ; de prendre des dispositions pour promouvoir des populations composées de plusieurs espèces et de divers âges, etc. ; de procéder à un examen de la situation de chaque exploitation tous les trois ans. Ces règles seraient qualifiées aujourd’hui d’écoforestières, c’est-à-dire pratiquer des coupes sélectives à intervalles rapprochés, éviter les coupes claires et promouvoir une composition aléatoire en âges et en espèces pour l’ensemble de l’exploitation.

L’office des forêts du Reich, créé sous l’autorité de Goering pour l’application de la loi, devait donc faire autoritairement appliquer ces règlements en concurrence avec les besoins du marché du bois. Évidemment, cette réglementation était peu compatible avec les droits des propriétaires tels qu’ils étaient définis traditionnellement. Cette socialisation de facto de la forêt allemande fut évoquée par des slogans comme : « La forêt allemande est un bien national » (Volksgut). Goering, le maître des forêts du Reich, le soulignait lui-même : les propriétaires de la forêt qui est un fief du peuple ont le devoir de prendre en considération le bien-être de l’ensemble de celui-ci, plus important que leur profit individuel. Goering allait ainsi à l’encontre de la liberté traditionnelle des sylviculteurs (Waldbaufreiheit).

La conjoncture économique de l’époque aida à l’instauration d’une telle réglementation. On subissait encore les conséquences de la grande crise de 1929, c’est-à-dire des marchés déprimés, y compris pour le bois. Sans compter la concurrence des bois importés de Pologne et d’Union Soviétique. Les prix étaient au plus bas, et les propriétaires forestiers pouvaient donc retarder leurs coupes, sauf s’ils étaient vraiment à court de trésorerie. La nouvelle législation fut donc dans l’ensemble bien accueillie par les propriétaires forestiers.

La Dauerwald, d’autre part, était compatible avec l’idéologie nazie dans la mesure où l’on mettait l’accent sur son côté « organique ». Elle ne devait comprendre que des espèces natives (bodenständige) pour devenir une entité collective et perpétuelle à l’image du Volksgemeinschaft (communauté populaire). Plus précisément, seuls des espèces natives, bien adaptées aux terroirs allemands, étaient autorisées à faire partie de la Dauerwald, de même que seuls des Allemands, dotés d’un héritage racial propre, pouvaient être membres du Volksgemeinschaft. Les arbres individuels jouaient un rôle important dans la Dauerwald, mais à hauteur de leur propre emplacement, les uns dominants, les autres mis au service de l’ensemble organique ; de même, chaque Volksgenosse (membre de la communauté) était assigné à une tâche qui bénéficierait à la communauté plutôt qu’à lui-même.

Les meilleurs arbres de la Dauerwald devaient donc être privilégiés en matière d’espace et de lumière ; de même, les membres de la meilleure race devaient recevoir des encouragements pour l’élevage de leurs enfants et autres moyens de servir la nation. Les coupes sélectives, les éclaircissements et les élagages devaient être pratiqués de manière à ce que le domaine forestier en question progresse continuellement en termes de phénotype et d’espèce ; de même les individus qui n’étaient pas conformes au modèle national-socialiste de la race devaient être retranchés de la communauté du Volk. Des coupes sélectives signifiaient que, tandis que des arbres individuels étaient continûment voués à la coupe, l’ensemble du domaine ne devait jamais être entièrement abattu et la forêt en tant que telle était perpétuelle ; de même, tandis que chaque membre individuel du Volk avait quelque chose de superflu et que sa durée de vie était relativement courte, le Volksgemeinschaft, quant à lui, en tant que tout, était perpétuel, et même, dans le langage nazi « éternel ».

Konrad Rubner (1886-1974), expert forestier allemand, professeur de sylviculture à l’Académie forestière de Tharandt, formula cette folle doctrine à sa manière : « La nouvelle tenance en sylviculture a ses fondements dans la philosophie nationale – et inclut le principe [...] de rendement biologique soutenable correspondant à l’idée de l’éternité du peuple allemand dans son espace vital. »

Cet aspect de la Dauerwald était ce qu’il y avait de plus attrayant pour les nazis ; elle était « raccord » avec la vision d’un Reich de mille ans. Hermann Goering ne se privait pas de la magnifier : « La forêt et le peuple, clamait le maître forestier du Reich, sont proches dans la doctrine du national-socialisme. Le peuple est lui aussi une communauté vivante, un grand corps organique, éternel dont les membres sont les citoyens individuels. C’est seulement par la subordination complète des individus au service de l’ensemble que la perpétuité de la communauté peut être assurée. La forêt éternelle et la nation éternelle sont des idées indissolublement liées. »

En habile politique, Goering visait ainsi les élites locales que constituaient les propriétaires forestiers dans l’Allemagne de cette époque pour en faire des nazis. Cette classe devait donc être formée ou réformée. Les dignitaires de la profession, même âgés, étaient conviés à se rééduquer dans un camp d’entraînement situé dans le parc du château d’Augustusburg, résidence du prince-électeur et archevêque de Cologne. Ils devaient dormir dans des lits superposés, manger et se laver dans des quartiers communs, s’exercer à des parcours en forêt et à des jeux de combat. Aussi bien avaient-ils l’obligation de former des « bataillons » pour l’épluchage des pommes de terre, et de subir en pyjama au pied de leur lit des inspections ponctuelles de leurs quartiers. Ainsi étaient-ils appelés à contribuer à la réforme du peuple allemand et à lui faire comprendre cette réforme selon les lois de la nature que le national-socialisme appliquait à la Dauerwald. Ils étaient considérés comme des véhicules appropriés de la propagande nazie.

Le botaniste Konrad Günther (1874-1955), grand spécialiste des papillons, écrit en 1936 dans une préface à un ouvrage scolaire de biologie que « l’équilibre entre les éléments composant une forêt est maintenu par la consomption de ceux qui sont superflus, les survivants étant ceux qui sont les plus forts et en meilleure santé, en sorte que la lutte et ses victimes servent la communauté. Ainsi la forêt nous enseigne-t-elle les lois fondamentales d’un État völkisch et racialement conscient tel que l’État national-socialiste. Et ceci n’est pas une coïncidence. » Alfred Rosenberg, idéologue du régime déjà cité, n’était pas en reste comme on peut s’y attendre, dans ce délire que l’on pourrait dire « forestoïde ». Il patronna deux films pour l’illustrer et le répandre.

Extrait du livre de Philippe Simonnot, « Le brun et le vert Quand les nazis étaient écologistes », publié aux éditions du Cerf

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