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Hausse du nombre d'emplois industriels :  ni une victoire du CICE, ni une tendance forte
©REUTERS/Stephane Mahe

Printemps industriel ?

Oui, il a augmenté de 19 500 sur un an, grâce à l’intérim. Il y avait en effet 3 139 000 emplois dans l’industrie en juin 2017, soit une baisse de 13 500 sur un an (selon l’Insee). Mais c'est l'intérim qui en profite le plus.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Oui, il a augmenté de 19 500 sur un an, grâce à l’intérim. Il y avait en effet 3 139 000 emplois dans l’industrie en juin 2017, soit une baisse de 13 500 sur un an (selon l’Insee). Mais, en même temps, le nombre d’intérimaires dans l’industrie a augmenté de 33 000 (selon la Dares). 13 500 emplois perdus dans l’industrie, sans doute en CDI, mais plus du double gagnés en CDD, la situation serait donc en train de se renverser. Par l’intérim. Il y avait en effet 701 000 intérimaires en France en juin 2017 (chiffres arrondis, source DARES), en augmentation régulière, avec 287 000 emplois dans l’industrie, 284 000 dans le tertiaire, 127 000 dans la construction et 3 000 dans l’agriculture. Sur un an, entre juin 2016 et juin 2017, ce nombre a augmenté de 99 000. Il explique ainsi le tiers de l’augmentation de l’emploi total sur la période. Plus précisément, l’augmentation des intérimaires a été de 33 000 dans l’industrie, 20 000 dans la construction, 46 000 dans le tertiaire et nulle dans l’agriculture. Au total : l’industrie enregistre – 13 500 emplois qu’on peut juger fixes, + 33 000 qu’on peut juger flexibles. Elle remonte la pente. Ainsi se comprennent le regain du moral des entrepreneurs, la lente baisse du chômage et les montées des tensions que l’on commence à ressentir dans le recrutement dans l’industrie.

L’industrie qui perdait des emplois paraissait une forte, et dramatique, tendance française. Au point de disparaître ? Pas encore bien sûr, mais il faut renforcer ce point de retournement. Pour mémoire, il y avait 4 millions d’emplois industriels en 2002 et 5 en 1983. Nous sommes loin du compte, avec l’inflexion en cours. La baisse des emplois industriels obéit d’abord à la perte de compétitivité française, qui combine coûts salariaux élevés et qualité moyenne. De manière caricaturale, l’industrie française est prise en tenaille entre l’Allemagne, côté qualité, et l’Espagne, côté coût. En même temps, les entreprises industrielles françaises accusent une taille réduite par rapport à leurs concurrentes, notamment allemandes, moins de présence à l’exportation, un retard sur les sites internet, moins de robots et, ceci expliquant tout cela, une rentabilité toujours plus faible. Le ratio Excédent Brut d’Exploitation sur Valeur Ajoutée atteint actuellement 31,8%, contre 27% à son point bas, mais contre 35 à 37% en Allemagne. Il ne semble pas que cette remontée soit surtout à attribuer, pour l’industrie, au CICE, mais plutôt à la récente modération salariale. 

Le CICE est la preuve qu’on ne peut atteindre trois objectifs avec un seul outil : l’emploi en subventionnant les bas salaires (lettre E), la compétitivité en subventionnant les salaires plus élevés (lettre C), le tout avec un an de décalage, par crédit d’impôt (CI). Au total, avec 62,2 milliards de réduction de charge depuis sa mise en œuvre, le CICE a surtout bénéficié aux PME qui abritaient des salaires faibles. En ont profité « l’hébergement et la restauration, les activités de services administratifs, les activités pour la santé humaine ou encore la construction : la part de la masse salariale éligible au CICE y est supérieure à 78 %. À l’opposé, les entreprises de secteurs tels que le raffinage et la cokéfaction, la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques, les activités financières et d’assurance, ou encore celles de recherche et développement ont en moyenne moins de 40 % de leur masse salariale totale éligible au CICE » (Source France Stratégie).

Ces milliards ne se sont donc pas allés en emplois nouveaux (100 000 propose l’étude, l’amplitude des résultats allant de 10 000 à 200 000 – no comment). Surtout, ces milliards se sont diffusés par la modération des prix internes, dans les services notamment. « Les entreprises les plus bénéficiaires ont transmis une partie de leur CICE à leurs entreprises clientes ou donneuses d’ordre, en réduisant ou en limitant la hausse des prix des biens et services qu’elles leur vendent » précise l’étude. Qui ajoute que les aides n’ont pas permis de modérer les salaires au haut de l’échelle d’intervention du CICE, vers 2,5 SMIC. Au total, en étant moins diplomatique que France Stratégie (« les travaux quantitatifs et qualitatifs menés depuis 2014 font apparaître une très grande diversité de comportements économiques des entreprises face au CICE. L’identification d’un effet global, résultant de cette diversité, n’en est rendue que plus difficile »), on doit pouvoir dire que ces milliards ont entretenu la désinflation interne dans les services, aidé les PME non exportatrices et les agences d’intérim. Tel n’était pas l’objectif ! Surtout, ceci n’explique pas, au moins en totalité, ce qui se passe dans le manufacturier.

La vraie explication vient plutôt, avec le chômage, plus les freins à l’embauche et la révolution technologique en cours, de l’évolution modérée du salaire moyen par tête. Elle s’inscrit en effet, dans le manufacturier, à +1,2 % en 2015, +1,7% en 2016, avec un acquis de +1,5% en 2017 (Source Insee). Aux mêmes dates, la productivité gagne 3%, 1,7% et 1,5%. Dit autrement, le coût salarial par unité produite a très légèrement baissé dans ce secteur. C’est bien ce qui explique le regain actuel de l’emploi, dans le contexte d’une économie européenne et mondiale qui va mieux.

Au total, l’amélioration de l’emploi industriel est fragile, liée à l’intérim. Elle montre qu’elle vient de la modération salariale, dans un contexte d’inflation faible, mais qui est en train de remonter. Le CICE a surtout soutenu les PME et les services domestiques, aux salaires faibles, pas les entreprises les plus technologiquement avancées, aux salaires élevés, et exportatrices. Le CICE a acheté de la désinflation payée par la montée de la dette publique. Pour en sortir, et soutenir les entreprises les plus avancées, manufacturières, de services, et exportatrices, il faudra viser les plus hauts salaires par des baisses de charges. Et avoir le courage de le dire. Il faut prolonger l’amélioration de l’industrie, c’est maintenant, sans faire de (mauvaise) politique.

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