Hausse des taux américains : cet impressionnant bilan de 7 ans d’interventionnisme de la Fed que les politiques européens devraient regarder de près<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Réserve fédérale (Fed), Janet Yellen.
La présidente de la Réserve fédérale (Fed), Janet Yellen.
©Reuters

Leçon

Après 7 années d’une lutte menée par la Réserve Fédérale des Etats Unis, l’économie américaine semble être revenue à une situation normale. Un bilan qui devrait être regardé de plus près par les dirigeants européens.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Quel bilan peut-on faire de la politique monétaire de la Fed depuis l’entrée en crise ? Celle-ci est-elle réellement terminée ?

Nicolas Goetzmann : Le bilan de la FED est mitigé, en fonction des périodes considérées. L’autorité monétaire américaine porte une lourde responsabilité dans la période pré-crise, car elle n’a pas su voir à temps ce qui allait se produire, et ce malgré les avertissements de certains de ses membres. Si la cause du ralentissement américain de 2007-2008 est exogène à sa politique, il est de la responsabilité d’une Banque centrale de réagir à temps, d’anticiper ce type de phénomène, ce qui n’a pas été le cas. Du moins, cette réaction a été totalement insuffisante.

Par contre, et dans un second temps, la FED a su réagir en sortant des sentiers battus de l’orthodoxie monétaire. Une fois que le mal a été identifié, elle a su mettre en place des mécanismes, comme le quantitative easing (qui consiste à créer de la monnaie et de l’injecter au sein de l’économie en rachetant des actifs) qui ont permis une réelle sortie de crise. Depuis l’entrée en vigueur de ces différents plans, les Etats Unis ont créé 12 millions d’emplois, ce qui permet au pays d’afficher aujourd’hui un taux de chômage de 5%, alors que celui-ci était de 10% à la fin de l’année 2009.

Concernant la fin de crise, il est encore trop tôt pour l’affirmer. Parce que le relèvement des taux d’intérêts peut paraître prématuré. Le taux de chômage continue de baisser, ce qui signifie qu’il existe encore une réserve de personnes sans emploi et qui ont la volonté d’en trouver un. Ce qui se vérifie surtout en observant les statistiques « U6 » qui recensent l’ensemble des personnes en situation de sous-emploi, et ce taux atteint 10% de la population active. De plus, et c’est une question essentielle, l’inflation « core » devrait s’établir à 1.4% pour cette année 2015, contre un objectif fixé à 2%. Cette inflation « core » correspond au taux d’inflation sans prise en compte des prix alimentaires et des prix de l’énergie, qui sont les éléments les plus volatils de la hausse des prix. Cette statistique permet donc de se faire une idée de l’état actuel du jeu de l’offre et de la demande sur le marché intérieur américain. Puisque le taux est encore inférieur à l’objectif, il restait une marge de manœuvre suffisante à la Fed pour attendre encore un peu avant le relèvement de taux qui a eu lieu ce 16 décembre. De plus, après 7 années de crise passées avec des taux d’inflation très faibles, il serait peut- être opportun de lâcher un peu de lest sur cette question de l’inflation, et ce, aussi longtemps que le taux de chômage baissera. Il sera toujours temps d’intervenir à posteriori, c’est-à-dire au moment où le chômage ne baissera plus et que les salaires progresseront sérieusement. C’est-à-dire dans une situation de plein emploi réel, et complet. Parce que si la hausse des taux provoque un nouveau ralentissement économique, la FED perdra en crédibilité parce qu’elle devra revenir en arrière. 

Quelle leçon pourrait en tirer les dirigeants français, de droite et de gauche ? Qu’en est-il au niveau européen ?

La question monétaire n’est pas une question de droite ou de gauche. Si certains prétendent qu’une relance monétaire correspond à une approche « gauchiste » de l’économie, le fait est que les solutions mises en place par la FED au cours des dernières années ont été imaginées par Milton Friedman, qui est bien plus considéré comme un extrémiste néo-libéral que comme un dangereux collectiviste. Mais peu importe, parce que l’expérience américaine vient de démontrer que cela « marche ». Il ne s’agit donc pas d’idéologie mais de simple pragmatisme. Une économie qui créé 12 millions d’emplois en moins de 5 ans est un exemple suffisamment probant pour au moins s’intéresser à ce qui se passe. 

Pour que cette stratégie devienne applicable en France, il sera nécessaire de passer par l’échelon européen. Il n’aura échappé à personne que c’est la Banque centrale européenne qui est en charge de cette question, et la Banque de France n’est que son représentant local. D’un point de vue concret, la différence majeure qui oppose les orientations monétaires européenne et américaine est le mandat, c’est-à-dire l’objectif donné à ces institutions. La FED a un mandat double ; la maîtrise des prix et la recherche du plein emploi. Ainsi, la FED doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre ce double objectif. A l’inverse, le mandat de la BCE est unique, il s’agit d’assurer la stabilité des prix. Le chômage est une question secondaire. Avec un tel mandat, il est beaucoup plus difficile de justifier une intervention massive de la part de la BCE, et c’est la difficulté à laquelle Mario Draghi est aujourd’hui confronté. Il peut se justifier en indiquant que l’inflation est trop basse mais il ne peut pas revendiquer un taux de chômage supérieur à 10% en Europe pour mettre en place une réponse adéquate. 

En appliquant le mandat « dual » américain à la BCE, celle-ci serait contrainte de réagir très lourdement pour soutenir l’économie de la zone euro, et ce, jusqu’à ce que le plein emploi soit atteint. Et pour que cela soit possible, il n’y aura pas d’autre choix que de provoquer un grand débat européen ayant pour but de réviser le traité de Maastricht, et ce, afin d’incorporer un objectif de plein emploi à la BCE. C’est ce combat qui doit être mené. D’urgence. 

Quel sont encore les points de blocage existants en France ? Pour quelles raisons ?

Les raisons sont multiples. En premier lieu, la culture monétaire française n’est pas reluisante. Cela est rarement évoqué, mais la France porte la plus lourde responsabilité dans la crise des années 30. Le comportement irresponsable de la Banque de France entre 1931 et 1936 a provoqué une spirale déflationniste qui a entrainé le continent européen dans la dépression. Si les Etats Unis sont responsables du départ de la catastrophe, la France a largement pris le relai par la suite. 

Ensuite il y a ce sentiment d’infériorité vis-à-vis de la Bundesbank, connue pour sa rigidité totale. En voulant copier ce modèle au début des années 80, les banquiers centraux français se sont évertués à être plus royaliste que le roi, en voulant faire encore plus strict que leur voisin allemand, et ce, en dépit des besoins économiques réels du pays. Et cela s’est empiré avec la BCE, qui, sous la Présidence de Jean Claude Trichet, a eu des résultats catastrophiques. Dans son livre de mémoires, Ben Bernanke salue les talents politiques de son homologue européen, mais regrette, d’un ton neutre, que Jean Claude Trichet ne soit pas un véritable économiste de formation. C’est encore une différence entre la FED et la BCE. La FED est représentée par de véritables économistes, reconnus au niveau mondial, qui connaissent leur sujet. Ce qui n’est pas le cas de la BCE, qui compte en ses rangs des personnes n’ayant aucune compétence en matière de politique monétaire. Ce qui n’est par contre pas le cas de Mario Draghi, qui est titulaire d’un PH.D en économie du MIT (Massachussets Institute of Technology). On ne fait pas beaucoup mieux, et on peut constater la différence avec Jean Claude Trichet. 

Enfin, il existe un manque d’intérêt caractérisé de la part des dirigeants politiques pour cette question. Depuis 1992, et le traité de Maastricht, la politique monétaire n’est plus de la compétence politique nationale. S’intéresser à cette question suppose une intervention au niveau européen, il est donc bien plus facile de laisser les choses en l’état et de laisser la BCE continuer son chemin sur un mode de pilotage automatique. 

En quoi une politique monétaire expansionniste serait à même de lutter contre le chômage ? Quel en serait le mécanisme ?

Une Banque centrale dispose du pouvoir de créer autant de monnaie qu’elle le souhaite, c’est-à-dire qu’elle contrôle la valeur de la monnaie. Elle peut créer davantage de monnaie si elle veut en réduire la valeur, comme elle peut en « détruire » pour lui en faire gagner.

A partir de là, il suffit d’observer le comportement des acteurs. Lorsqu’une crise se profile à l’horizon, la réaction évidente des acteurs économiques est de rechercher la sécurité. Et cette sécurité peut se trouver dans la monnaie, par exemple des investisseurs vont vendre leurs actions et détenir de la monnaie sur leurs comptes. Ce qui produit une baisse de la valeur des actifs, et donc une hausse de la valeur de la monnaie. Le problème est que si tous les acteurs ont pour seul objectif d’éviter le risque, l’économie s’écroule, justement parce que celle-ci repose sur la prise de risque. Les usines ferment, le chômage augmente etc….

Dans un contexte comme celui-ci, une Banque centrale peut agir en rétablissant l’équilibre. Cet équilibre peut être trouvé en créant de la monnaie, ce qui permet de provoquer une moindre sécurité sur la détention de monnaie sur son compte. En l’état actuel des choses, avec une inflation 0, le coût de la sécurité est nul, c’est gratuit. Lorsqu’un investisseur a du cash sur son compte, il peut compter sur cette inflation 0 pour que son patrimoine reste intact, tout en ayant que des liquidités. Donc, en créant plus de monnaie, et en affichant la volonté de revenir à une inflation de 2%, une Banque centrale va provoquer un effet de basculement. La sécurité aura un coût de 2% (l’inflation annuelle) et poussera les acteurs économiques à faire quelque chose de leur argent. Il devient alors rationnel d’investir. Les acteurs vont sortir de leur cash pour investir dans l’économie réelle, et le cercle vertueux se met en place.  Il ne s’agit évidemment pas de revenir à une inflation de 10%, mais simplement à un niveau « normal » d’inflation à 2%, et nous en sommes encore loin en Europe. 

Si certains ont encore des doutes sur ce mécanisme, il suffit, encore une fois, de regarder le résultat aux Etats Unis. Et concernant les risques qui y sont associés, il n’est pas inintéressant de regarder de près les critiques formulées par les sceptiques au début de l’opération. Certains ont crié au loup en dénonçant les risques d’hyperinflation…alors que la période 2010-2015 a été historiquement la période de plus basse inflation de l’histoire des Etats Unis. Les Bulles spéculatives ? En effet, le prix des actifs a progressé aux Etats Unis, ce qui reflète un intérêt plus fort des investisseurs pour les marchés financiers. Ce qui est quand même une bonne nouvelle. Mais si l’on raisonne en termes de ratios, le rapport prix des actions / bénéfices des entreprises est actuellement de 21, ce qui est élevé, mais pas du tout délirant. Lorsque la « bulle » des technologies a éclaté en l’an 2000, ce ratio était plus de 2 fois plus élevé que son niveau actuel. De fait, les valorisations sont donc importantes, mais elles ne sont pas différentes de celles de l’année 1960, pour prendre un exemple ; et ceux-ci sont nombreux. Tout dépend de la suite, et de la capacité de la FED à mener son retour à la normal de façon judicieuse. 

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