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Hausse des comportements conflictuels en entreprise
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L’Observatoire du Fait religieux en entreprise et l'Institut Montaigne viennent de publier leur rapport 2020 et leur analyse est sans appel : les comportements conflictuels liés aux faits religieux en entreprise augmentent.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico :L’Observatoire du Fait religieux en entreprise et l'Institut Montaigne viennent de publier leur rapport 2020. Les comportements conflictuels liés aux faits religieux en entreprise augmentent. Quels sont les principaux enseignements de ce rapport, notamment sur les comportements conflictuels envers les femmes dans l'entreprise ? Ces faits sont-ils minoritaires ? Comment expliquer cette réalité et cette évolution ? 

Guylain Chevrier : Tout d’abord, l’ensemble des paramètres concernant « le fait religieux en entreprise » clignotent, et sont en augmentation depuis la création de cet Observatoire. En 2012, date de lancement du Baromètre qui sert à le mesurer, 44 % des encadrants déclaraient déjà y faire face, contre66,5 % aujourd’hui.Autre constat, c’est le culte musulman avec lequel on rencontre le plus de difficultés, et les plus graves. Même si l’on voit poindre l’évangélisme qui a un côté plus directement prosélyte et verse moins dans les manifestations ostentatoires. 

Le rapport parle d’une minorité des cas, où le fait religieux en entreprise devient problématique. Mais une minorité qui enfle d’années en années, pour n’avoir plus rien de marginal, contrairement à certains commentaires qui s’échinent à refuser de le voir. 19,5 % des situations nécessitent une intervention managériale (54 %) et sont qualifiées de problématiques. Par ailleurs, parmi les 66,7 % de faits religieux repérés en entreprise, on compte 12 % de comportements rigoristes (contre 8 % en 2019). Les cas dits « bloquants » impliquant des conflits sont de 16% (contre 12% en 2019). Ils représentaient 2% seulement en 2013. Mais les faits religieux les plus marquants de ce rapport, ce sont les 13 % de comportements négatifs et problématiques à l’égard des femmes. Il s’agit du refus de travailler avec une femme, sous les ordres d’une femme ou de serrer la main d’une femme, quasi exclusivement le fait de l’islam, précise le baromètre. Ce sont, comme en 2019, les demandes d’absence et d’aménagement du temps de travail qui représentent les faits religieux les plus fréquents avec 29 % des cas, devant le port visible de signes religieux (24 %).

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On explique que 70 % des comportements des salariés pratiquants sont perçus comme peu perturbateurs, ne gênant pas la bonne réalisation du travail, « contrairement aux idées reçues ». On relèvera tout de même ce « peu perturbateur », sur quoi on aimerait avoir plus de détails, une fois constatée l’augmentation des situations difficiles et leur aggravation. D’autant que le « pas de vague » des hiérarchies est aussi présent, et se révèle d’ailleurs à travers le fait que la moitié des managers de terrain sondés disent rester seuls face à ce type de problème. Ne parlons pas des salariés auxquels on ne cesse de répéter que cela est banal et qu’ils doivent faire avec, ce qui influe aussi sur leur perception et donc leurs réactions.

On tente d’expliquer cette progression en se référant à l’évolution « de la place de la religion dans la société », pour ne pas dire, des répercussions d’un communautarisme qui n’a cessé de s’y affirmer depuis une trentaine d’années. Phénomène qui n’est pas exclusif à la France et qui va avec une immigration importante originaire de pays musulmans dans les pays développés. On a tendance à banaliser, en ayant pour référence notre conception de la liberté de conscience et d’une laïcité républicaine qui s’est construite en faisant reculer le religieux, du point de vue de son rôle politique en matière de production des normes sociales, qu’il s’était attribué. Mais c’est un phénomène nouveau tout à fait spécifique à l’islam, qui n’est pas à confondre d’ailleurs avec les musulmans. Seulement une partie d’entre eux est sous l’influence de ce mouvement rigoriste qui va en s’amplifiant et dont on fait le constat dans l’entreprise. Pour prendre un chiffre, en 2003, 24% des femmes se déclarant musulmanes disaient porter le voile, c’est 31% d’entre elles en 2019, selon une étude de l’Ifop. A mettre aussi en relation avec la progression de l'idéologie islamiste, branche rigoriste de l'islam, chez les musulmans de France, comme l’a souligné l’Institut Montaigne dans une étude, surtout chez "les jeunes de moins de 35 ans". 

On explique que l’appartenance à une religion est aussi source de discrimination : 21 % des répondants en font état « occasionnellement » ou « régulièrement », un chiffre « stable » par rapport à 2019. Mais que les discriminations à l’embauche représentent 19 % des cas et touchent principalement les pratiquants musulmans (70 % des situations). M. Honoré qui dirige l'Observatoire du Fait Religieux en Entreprise, pointe « les projections des recruteurs qui craignent d’avoir à gérer des problèmes plus tard » et recommande des « actions ciblées » d’information et de formation ainsi qu’un « vrai accompagnement » des managers. Mais ce phénomène que l’on pourrait désigner de « discrimination préventive », était prévisible, vis-à-vis duquel j’ai d’ailleurs mis en garde il y a un certain temps, face au manque de réaction devant ces problèmes. Il existe aussi un fait que l’on n’évoque quasiment jamais, celui des groupes de pression qui, dans certains lieux de travail se mettent en place, pour par exemple monopoliser des vestiaires pour prier ensemble, ou encore en arriver à demander aux autres de ne pas manger de porc devant eux, comme on a pu me le rapporter, voire l’agression verbale d’une femme d’origine maghrébine par tel salarié musulman avec d’autres, pendant le ramadan, parce qu’elle ne le fait pas et prend un café à la machine, pour lui dire « tu nous fais honte ». Si on ne met pas à disposition des employeurs et managers un cadre légal permettant de déjouer dans l’entreprise ces faits problématiques, on n’en sortira pas. D’ailleurs, ces discriminations non-nommées à l’embauche révèlent l’ampleur du malaise, alors que l’on tourne encore autour du pot.

Quels sont les secteurs les plus touchés et quels types d’entreprises sont concernés ?

Trois domaines d’activité sont particulièrement concernés où l’industrie occupe la part la plus significative : Le transport et la logistique ; Le BTP ; Le commerce et la grande distribution. La religion la plus fréquente est l’islam, présente dans 73 % des situations observées. Le catholicisme est présent dans 20 % des situations, le judaïsme dans 15 % et la religion évangélique dans 13 % de celles-ci. Pour la majorité des personnes dévoilant leur pratique religieuse au travail il s’agit d’hommes et de femmes entre 20 et 50 ans. Ce sont majoritairement des employés (39 %) et des ouvriers (34 %), et minoritairement des cadres (6 %) et des dirigeants (5 %). Les situations les plus difficiles de blocage viennent principalement d’hommes jeunes, d’un niveau socio-professionnel relativement bas.

Globalement, deux tiers des entreprises soit 66,5 % des répondants (encadrants) disent rencontrer « régulièrement (31,3 %) ou occasionnellement (35,2 %) » le fait religieux au travail en 2020, une proportion qui a franchi un palier depuis 2016 mais s’est « stabilisée ». Dans 32 % des cas, ils sont le fait d’hommes exclusivement et dans 16 %, celui de femmes. 43 % des faits sont repérés dans les entreprises de plus de 1 000 salariés mais les petites entreprises sont aussi concernées (12 % des situations recensées dans celles de moins de 50 salariés).

Ces attitudes, comme le « refus de travailler avec des non-coreligionnaires », de « réaliser des tâches », « la prière pendant le temps de travail » ou le « prosélytisme », remettent « intrinsèquement en cause l’organisation du travail, les relations entre collègues » ou « transgressent les interdits », souligne l’enquête. Ce qui est nouveau.

Même concernant le ramadan, que l’on considère en général comme une pratique religieuse qui ne pose pas de problème, selon différentes études on constate qu’en trente ans on est passé de 60% à 75/80% de nos concitoyens de confession musulmane qui le font, ce qui a tendance à augmenter les tensions dans le travail. D’ailleurs, les demandes d’absences pour fêtes religieuses sont passées devant les signes religieux. Dans certains secteurs d’activité, cela pose indéniablement des problèmes au bon fonctionnement de l’entreprise, et même la fragilise. Dans les pays nord-africains par exemple, l’activité est aménagée et ralentie dans cette période, car il n’est pas facile de jeûner pendant un mois, selon l’état de santé, l’âge, l’activité professionnelle plus ou moins physique ou qui demande de l’attention, comme pour les conducteurs d’engins ou de poids lourds. On rappellera que l’employeur est responsable de la sécurité de ses salariés, et doit veiller par exemple à ce qu’ils ne puissent prendre leur poste en cas de suspicion d’un état physique inadéquat, pouvant impliquer un risque d’accident du travail. Une question qui mériterait d’être approfondie comme d’autres. 

Les chefs d’entreprises, les salariés, les DRH ou les représentants du personnel sont-ils suffisamment armés pour gérer, encadrer et répondre à ces situations ? Quels sont les moyens pour tenter d’endiguer ce phénomène ?

Face au fait religieux, il ressort de l’étude que les managers de proximité se retrouvent souvent seuls face à la gestion de telles situations. C’est le cas pour 46,7 % des répondants. Face à « cette myopie des entreprises », déjà observée en 2019 nous dit-on, un soutien particulier est nécessaire pour un management efficace des situations marquées par le fait religieux. 60% d’entre eux regrettaient ainsi de ne pas bénéficier du soutien nécessaire pour traiter ces questions (étude OFRE 2019). Mais prend-t-on bien la mesure de ce à quoi on s’affronte. On s’interroge lorsque face à ces faits saillants, le rapport titre : « Religion au travail : croire au dialogue ». En est-on encore là ? On voit monter une remise en cause de l’égalité entre les sexes dans le travail par le fait essentiellement d’une religion, égalité qui se trouve en bonne place au sommet de notre Constitution, ceci alors que parallèlement, on tient tout un discours sur cette égalité de façon générale et abstraite sans jamais s’y référer. Mais l’OFRE ne fait pas le rapport, par excès de modération sans doute, c’est bien dommage. Dans ses conseils, on ne voit pas d’invitation à rappeler la loi, comme le fait répété du refus de serrer la main pourrait en être frappé, comme forme de harcèlement et de discrimination. 

On propose du côté de l’OFRE une "boîte à outils" ayant vocation à faire en sorte que « la présence du fait religieux en entreprise n’entrave pas la bonne réalisation du travail, tout en permettant à chaque individu d’assumer sa singularité ». On dit vouloir prévenir les discriminations.On propose ainsi demaintenir le cadre légal, dans cet état d’esprit. Mais pense-t-on aux libertés des autres salariés sur lesquelles viennent ainsi empiéter les manifestations religieuses à travers ce qui est décrit et est promis à aller plus loin ? On entend accompagner les démarches des entreprises… Mais selon quelle attitude ? Offensive, d’encadrement selon la loi, voire en proposant de la faire évoluer, ou essentiellement par le dialogue ? On dit qu’il faut préciser et formaliser dans le règlement intérieur une ligne directrice qui doit être un choix politique de l’entreprise, mettre en œuvre des outils à disposition des salariés et de l’encadrement. Agir avec fermeté en cas d’excès ou de transgression, formaliser les remontées d’informations, et ne pas tolérer les comportements transgressifs. Adopter un management factuel et donner la priorité au travail tout en prenant en compte les personnes, leurs contraintes et leurs aspirations. De faire de l’information et de la formation… Mais alors pas pour prêcher la banalisation du fait religieux et du droit à la différence ! On propose aussi, que cinq ans après la loi Travail de 2016, une évaluation soit faite de son usage au regard des possibilités d’encadrement de la religion au travail. 

En réalité, c’est une politique offensive en la matière qui devrait être mise en œuvre, promouvant une politique de neutralité, dans les relations avec la clientèle par exemple, comme la loi le permet, car celle-ci est la meilleure des préventions aux discriminations. La Cour de justice de l’UE par une décision du 14 mars 2017, inscrite dans notre droit par la Cour de cassation le 22 novembre de la même année, en a autorisé la possibilité par l’insertion dans le règlement intérieur d’un article qui le précise, concernant les opinions politiques, convictions philosophiques ou croyances religieuses. Le développement de chartes éthiques moins contraignantes juridiquement, mais qui, moralement, du point de vue des valeurs de l’entreprise, comme culture de celle-ci, puisse devenir assez puissante pour en imposer et favoriser la discrétion et le respect des autres, est possible, dans le cadre d’une politique bien pensée de la relation sociale dans l’entreprise. Car, la mise en retrait de ses convictions ressort après tout d’un certain savoir vivre, plutôt que d’afficher chacun sa différence, voire de chercher à l’imposer aux autres. Laurence Parisot, ex-présidente du Medef, indiquait son inquiétude dans une interview à L’Usine Nouvelle en février 2015, disant que « l’entreprise est un espace privé, de travail et que la question religieuse ne devait pas y être un enjeu ». Elle invitait « patronat et syndicats » à travailler ensemble à « une Charte de la laïcité en entreprise », qui passe encore aujourd’hui pour une hérésie au regard du droit privé, mais qui reviendra dans les débats, c’est sûr, tant le problème qui nous attend est aigu. On aura à l’esprit le cas de l’entreprise Paprec, spécialiste du recyclage, pionnière ici, qui a signé une Charte de la laïcité, approuvée par référendum par l’ensemble de ses salariés.

68,7% des salariés interrogés dans l’étude se disent favorables à une extension de la laïcité à l’entreprise privée, ce que l’on pondère en disant que pratiquement autant d’entre eux sont favorables à une certaine liberté religieuse dans le travail. Mais lorsque l’on regarde à quels actes on se réfère, on situe mieux les enjeux. S’ils sont de l’ordre de la liberté individuelle, perçus comme ne dérangeant pas l’exécution du travail, que l’on ne voit pas, telle la prière sur le temps de pause, effectivement, mais dès que l’on est sur le refus d’accomplir une tâche pour raison religieuse, refus de travailler avec une femme qui se fait de plus en plus prégnant, ou de refuser de serrer la main d’une femme, les salariés sont à plus de 90% pour être sans concession. On rappellera qu’une enquête réalisée par Odoxa pour l'association Cercle d'éthique des affaires en mai 2015, dévoilait que 48% des personnes interrogées étaient "pour interdire toute expression d'appartenance religieuse parce qu'il n'y a pas de place dans l'entreprise pour la religion" (au sens d’être démonstrative). 28% plaidaient pour "permettre au cas par cas cette expression (religieuse) en veillant à ce qu'elle soit modérée, discrète et respectueuse des autres". Et 23% pour faire en sorte que "les entreprises définissent des règles internes précises sur ce sujet" (1% des personnes interrogées étant indécises).

On conviendra qu’il ne faut à aucun égard minorer un phénomène grave et néfaste pour l’entreprise que l’OFRE permet de toucher du doigt, ainsi que pour les droits et libertés des autres salariés. C’est là aussi comme ailleurs, une question de choix de société.

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