Harry Potter : frère caché d'Indiana Jones et Tintin<!-- --> | Atlantico.fr
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"Comme Ulysse, Tintin, et tant d'autres, Potter possède ce que les anciens grecs appelaient la métis, la ruse".
"Comme Ulysse, Tintin, et tant d'autres, Potter possède ce que les anciens grecs appelaient la métis, la ruse".
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La magie du cinéma

C'est ce mercredi que sort "Harry Potter et les reliques de la mort - partie 2", la dernière adaptation cinématographique des aventures du célèbre magicien. Une saga à succès qui a plus d'un tour de magie dans son sac...

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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On pourrait se demander en long et en large, comme ailleurs, "à qui profite le business juteux" d'Harry Potter et ressasser une litanie sur le pouvoir de l'argent et le formatage anglo-saxon : comme dit le proverbe chinois, "l'idiot regarde le doigt"... mais visons la lune, et regardons l'homme. Et même le jeune homme.

Quel point commun y-a-t-il entre Star Wars, le Roi Lion, Lost, Naruto, Indiana Jones, Matrix, Avatar... et Harry Potter ? Leurs scénarios sont tous influencés par l’œuvre de Joseph Campbell. Sage qui voyait les points communs derrière les masques disparates, le mythologue américain, est célèbre pour un essai publié en 1949, Le Héros aux mille visages. Il y met à jour le squelette des grands récits, épopées, légendes, sagas, et même religions. “Le héros a des problèmes, le héros résout ses problèmes”, raillait l'écrivain américain Kurt Vonnegut à propos de ce que Campbell appelle le "monomythe". Quels sont les ingrédients d'une bonne soupe Campbell ?

Un parcours initiatique

Une douzaine d'étapes que l'on peut résumer ainsi : plongez votre héros dans un monde normal, dont vous l'extrairez par un appel à l'aventure, confiez-lui une mission qu'il aura tendance, d'abord, à refuser. Faites-le passer par une série d'épreuves ; puis, dans une apothéose, faites-le atteindre son objectif ; cela confèrera à votre héros un pouvoir accru. Enfin, ramenez-le au bercail, où tous goûteront les produits de sa quête.

Le modèle se retrouve, non seulement dans chaque livre et film, mais aussi à l'échelle de l'ensemble de l'histoire. Chacun sent bien que ce schéma est classique, inévitable : Campbell le démontre. Tout comme chacun voit ce que, plaqué à la va-vite, il peut avoir de répétitif, de mécanique. C'est l'inconvénient de dévoiler les recettes de cuisine des plus grands écrivains (dont Dieu) : on se la recopie, on se la refile, on la produit à grande échelle, et on arrive à la même différence qu'entre une mayonnaise maison (battue à la fourchette avec une gousse d'ail) et une mayonnaise industrielle.

De Homère à Harry Potter

Les observateurs avisés n'auront pas manqué de le remarquer, le sorcier est un visage supplémentaire, une réincarnation de toute une série de figures qui, parfois, se superposent : on a pu voir, vers la même époque, le hobbit de Tolkien et le freluquet de "Gicaroline" (J. K. Rowling). Elle aussi une figure renouvelée du diseur (en islandais sagnamaðr, "celui qui dit") de récit. Comme Homère, elle est traversée par le récit qu'elle doit raconter ; comme Ulysse, Tintin, et tant d'autres, Potter possède ce que les anciens grecs appelaient la métis, la ruse.

C'est que chaque mythe a sa particularité, bien sûr, sa fragrance unique. D'une certaine façon, il exige d'être fidèle à la trame que l'anthropologue a découvert ; dans quelque mesure, il commande de surprendre. Certains scénaristes ont sans doute péché en respectant la lettre, davantage que l'esprit, du monomythe. Ce dernier volet de la série pèche iansi par une attention trop marquée aux étapes de Campbell : ce faisant, on a un récit classique, solide, certes, mais au risque de perdre ce qui fait l'originalité d'une histoire. Sans doute toute bonne histoire recèle sa propre force, son propre équilibre, sans qu'il soit nécessaire d'en marteler les étapes obligatoires. Si elles peuvent éviter des maladresses de scénarios, elles ne sont pas garanties de réussite.

L'ère du storytelling triomphant

Il n'en reste pas moins que le succès d'Harry Potter est imputable, en partie, à cette recette. Recette d'ailleurs si commode, qu'elle est reprise par la vulgate managériale, sous formes d'injonctions aux exécutifs d'atteindre leurs objectifs, et aux exécutants de traverser de bonne grâce leurs épreuves. Le jeu vidéo, la télévision, toutes les formes de storytelling témoignent de cette formidable diffusion du principe de quête et les magazines psy ou philo relaient, en chœur, le conseil de "suivre son cœur". Ou son "chœur" ? Car la quête solitaire ne dure qu'un temps et ce genre de récit est toujours une leçon d'esprit d'équipe (songez à la Confrérie de l'Anneau). S'en désolera-t-on ?

On pourra se désoler aussi des références faciles et appuyées à la seconde guerre mondiale : chez Harry Potter, il y a des résistants, un Etat collaborateur et de petites fouines, les "sang-mêlés" sont ostensiblement persécutés. Au fur et à mesure que les personnages de J. K. Rowling et de ses adaptateurs grandissaient, l'on est passé d'un monde merveilleux, et merveilleusement créatif, à explorer (autre explication au succès) à des intrigues d'adultes écrites, de plus en plus, pour des adultes.

En vérité Hermione, Ron et Harry ont l'air vindicatif, sombre et émotif de nos adolescents. Ils en ont la théâtralité boudeuse, eux qui ne vivent que les uns par les autres - tout en étant hautement conscients de leur spécificité, de leur identité irréductible portée en étendard. Ils ne l'ont pas choisie (la zébrure sur le front et les pouvoirs de sorcery héréditaires), mais l'assument et en font une force (la witchcraft). Cette distinction anthropologique sorcellerie-magie est une dernière piste pour lire ce dernier opus.

Fort de tout cela pourquoi ne pas partir, une fois encore, en quête du mythe, mené par la sucrée Hermione, la coupe au bol de Ron et la baguette d'Harry ?

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