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Guillaume Depardieu, l'estropié qui chantait sa douleur
©REUTERS/Fabrizio Bensch

Bonnes feuilles

Guillaume Depardieu n'était pas seulement un grand acteur, un poète moderne ou un provocateur brillant. Il était aussi, et surtout, un chanteur et un parolier stupéfiant. Peu le savait, un seul lui a permis de trouver la musique pour porter ses mots, son ami de toujours et parrain musical, François Bernheim. Cinq ans après sa mort, l'album sort, François raconte. Extrait de "Guillaume Depardieu, bande originale" (2/2).

L’estropié, c’est d’abord une image que François ne peut oublier, celle de Guillaume dans la cuisine de la maison de Bougival, assis sur un tabouret, les jambes croisées, la droite sur la gauche. « J’ouvre le portail bleu, je descends les quelques marches » et je le vois à travers les petits carreaux, immobile, le regard sombre. Il est seul. Je m’approche, il lève son oeil fatigué vers moi, et lentement retrousse la jambe droite de son pantalon : « Regarde. » Son genou est énorme, boursouflé, odieux. Il grimace, et c’est peut-être la seule fois où je le sens vraiment atteint par la douleur. Mais aussi par l’impuissance. C’est juste avant son opération, il n’est pas encore tout à fait décidé. Il m’explique les deux solutions possibles. Je n’ai bien sûr pas d’avis, désemparé que je suis et, pour ne pas me mettre dans l’embarras, il ne me le demande pas. Qu’aurais-je pu lui répondre ? Oui tu as raison, non tu as tort. Dérisoire et creux. “Les enculés de l’hôpital.” Il démarre là-dessus, je le comprends. Mais il est fatigué, fatigué. Ce jour-là, après quelques discussions échappatoires, je l’ai quitté la rage au coeur, avec l’envie d’une violence physique bien supérieure à celle qui m’avait envahi le jour de sa deuxième condamnation à la prison. Et puis vint tout le chambardement de la jambe coupée. »

Après l’opération, Guillaume a longtemps évité les miroirs, puis il s’est fait violence. Jamais larmoyant, son regret se veut ici objectif. Il se présente en trois mots, affirme son état d’une voix ferme. On est dans le factuel, ni pathos, ni accent de désespoir. La musique sera un rock pop lancinant, sur deux accords, « un peu pop music genre Kurt Cobain » conçoit François. Les refrains et quelques autres lignes sont chantés, les couplets slamés. « Les mots expriment une violence sourde, comme une marche inéluctable vers un destin – puisque son destin est d’être estropié, d’être mutilé. Et le slam est idéal pour poser les mots avec dérision. » Le contexte est suffisamment tragique, la chanson n’aurait supporté aucun atermoiement.»

Mon corps n’a plus la posture du possible,

L’arrogance sublime

De la possibilité De l’envol,

Rien qu’un saut chez moi est grotesque.

L’arrogance sublime est celle de ce corps d’un mètre quatre-vingt-huit, élancé et élégant. Quant à la possibilité de l’envol que chante Guillaume, elle est filmée en 2003 par Céline Hue, la veille de son entrée à l’hôpital pour l’amputation. Tard ce soir-là, il chante sans retenue sur Mozart puis NTM. Il oublie un instant la caméra qui le filme en contre-plongée, et se dresse dans son long manteau noir, bras en l’air, tel un oiseau-lyre. Ondoyant cinq ans plus tard sur sa prothèse dans la cabine d’enregistrement, les yeux fermés, les bras levés, Guillaume l’a encore, cette possibilité de l’envol, seuls mots chantés dans le corps du slam, vers les aigus – mots qui s’envolent. En admettant qu’un saut face au miroir, donc sur place, sur une jambe et une prothèse, lui paraisse grotesque – mais ne le serait-il pas tout autant sur deux jambes valides ? –, l’envol est toujours possible quand Guillaume chante.

Au pathétique de mon handicap,

S’ajoutent les images ridicules Dont m’affuble l’imaginaire collectif.

En premier, vient le pirate, Impitoyable avec ses semblables,

Et dont la cruauté est sans limites.

Extrait de "Guillaume Depardieu, bande originale", François Bernheim, Sylvie Matton, (Editions Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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