Guerre en Ukraine : Xi Jinping, discrètement refroidi par les échecs russes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping lors d'une visite officielle.
Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping lors d'une visite officielle.
©Alexei Druzhinin / Spoutnik / AFP

Allié stratégique ?

Les Etats-Unis et les pays européens ont apporté une aide militaire et économique d'environ 100 milliards de dollars à l'Ukraine depuis l'invasion russe, selon l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale. Pourquoi la Chine ne joue pas, vis-à-vis de la Russie, le rôle qu’occupent les Etats-Unis par rapport l’Ukraine ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : L'Institut Kiel pour l'économie mondiale estime que les Etats-Unis et l'Europe ont promis une aide militaire et économique d'environ 100 milliards de dollars à l'Ukraine depuis l'invasion russe. Pourquoi la Chine ne joue pas le rôle que jouent les Etats-Unis avec l’Ukraine ?

Emmanuel Lincot : Le renforcement de son partenariat avec Moscou l’oblige. Tout en ayant émis des critiques sur la politique menée par Moscou, lors du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui s’est tenu à Samarkand en septembre dernier, Pékin n’hésite pas à faire porter la responsabilité de la guerre en Ukraine à Washington. Comme la Chine fait porter la responsabilité de la pandémie aux États-Unis... Une visite par ailleurs du chef de l’État chinois semble désormais programmée à Moscou pour le printemps prochain. En réalité, la Chine a tout intérêt à attirer les Américains vers le front européen et faire en sorte que cette guerre dure suffisamment longtemps pour affaiblir son adversaire pour, au moment où on le jugera opportun, porter le fer contre Taïwan. C’est en tout cas la thèse du Ministre taïwanais des Affaires étrangères, Joseph Wu.

Le ton se durcit entre la Chine et les États-Unis. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a accusé lundi dernier les États-Unis « d'avoir déclenché la crise en Ukraine » et d'« être le principal facteur qui l'alimente » en fournissant des armes lourdes à Kiev, rapporte Bloomberg. Quelles seraient les conséquences d’une plus grande implication de la Chine dans la guerre en Ukraine ? A-t-elle intérêt à le faire ?

Cela signifie que la Chine attend beaucoup en retour de son partenaire russe. À ce stade, on ne peut que spéculer. S’agit-il d’une cession à terme des territoires de l’est, ceux de la Sibérie, que convoite la Chine pour leurs richesses, et le droit de passage que lui réserve ainsi le corridor du Nord; lequel donne accès à l’Union Européenne ? Le soutien de la Chine à Moscou, se monnaiera-t-il au profit d’une présence renforcée pour la Chine en Asie centrale et ce, aux dépens de la Russie ? Pour le moment, nous n’en sommes qu’à des coups de menton et des effets de rhétorique. Pékin sait pertinemment que toute aide à la Russie entraînerait des sanctions lourdes contre la Chine dont l’économie est à la peine. Dans le même temps, Moscou apparaît paradoxalementpour un très grand nombre de pays du Sud, comme le défenseur des intérêts souverainistes et nationaux contre l’hégémonie occidentale. Pékin doit en tenir compte au risque non plus d’apparaître comme le défenseur des opprimés mais d’être rangé dans le camp des oppresseurs.

L’amitié entre la Russie et la Chine est-elle « sans limites », comme l’avaient déclaré les présidents des deux pays avant l’invasion de l’Ukraine ?

Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Cette relation bilatérale n’échappe pas à la règle. Et il faut en nuancer l’importance et ne pas croire la Chine suiviste dans ses choix car Pékin n’a pas toujours abondé dans le sens de Moscou en matière de politique étrangère. Après la guerre contre la Géorgie en 2008, par exemple, Pékin n’a pas reconnu l’Abkhazie non plus que l’Ossetie. Dans le même temps, on ne saurait ignorer le fait que l’idéologie semble prendre le dessus dans les analyses chinoises. Ainsi, la conquête de l’Ukraine par la Russie fait l’objet d’interprétations culturalistes comme celles qui émanent du Kremlin : l’Ukraine et la Russie étant slaves, la Russie se doit de reconstituer autour d’elle, un pôle slave. Cela est une façon à peine voilée dans la caution qu’un très grand nombre d’idéologues chinois semblent donner ainsi à la politique russe de légitimer en retour pour la Chine une conquête de Taïwan et ce, au nom de la culture et d’une interprétation de l’histoire pan-chinoise.

La Chine importe du gaz et du pétrole russes, et exporte des semi-conducteurs dont la Russie a besoin pour fabriquer des équipements tant civils que militaires. Ces échanges apparaissent-ils équilibrés dans la relation sino-russe ?

Non, c’est une relation profondément déséquilibrée. La Chine n’investit pas ou peu en Russie. Et si elle exporte des produits manufacturés, elle utilise essentiellement la Russie comme elle utilise l’Afrique ou les pays arabes en tant que fournisseurs de matières premières. La Russie intéresse encore la Chine comme levier idéologique, et dans sa capacité de lui fournir les armes qui continuent d’équiper sa propre armée. Mais il n’y a aucune coopération entre les sociétés civiles. Tout cela repose sur la seule volonté des deux dirigeants. C’est donc extrêmement fragile et de pure circonstance.

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