Guerre des nerfs : qui gagnera la bataille des 49-3 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne s'exprimant lors d'une session à l'Assemblée nationale.
Elisabeth Borne s'exprimant lors d'une session à l'Assemblée nationale.
©Bertrand GUAY / AFP

Assemblée nationale

Elisabeth Borne a, pour la septième fois depuis mi-octobre, utilisé l'article 49.3 de la Constitution, ce mercredi 30 novembre, sur l'ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Alors que les oppositions dénonçaient l’autoritarisme de la majorité avec l’usage répété du 49-3, la majorité vient de faire usage pour la septième fois de cet article. Et la Nupes va de nouveau déposer une motion de censure. Qui à le plus à perdre politiquement à cet éternellement recommencement ?

Vincent Tournier : On ne peut pas vraiment parler d’un éternel recommencement puisque les lois sont finalement adoptées. Il y a donc bien un gagnant dans cette histoire, et c’est incontestablement le pouvoir exécutif. Il fait même coup double : d’une part il fait passer ses lois sur le financement de l’Etat et de la Sécurité sociale, d’autre part il montre qu’il continue d’avancer, contre vents et marées, face à une opposition présentée comme rigide et sectaire. On raconte même que les députés macronistes font tout pour faciliter le recours au 49-3.

En tout cas, il n’est pas du tout certain que l’usage du 49.3 soit défavorable à celui qui l’utilise. Pour preuve : c’est Michel Rocard qui l’a le plus utilisé (une trentaine de fois), et il n’a pas laissé à la postérité l’image d’un tyran.

Du côté de la NUPES, on ne peut pas dire qu’elle sorte gagnante de ces affrontements puisqu’elle bloque rien. La seule chose qu’elle peut faire, c’est montrer à ses électeurs qu’elle est bien dans l’opposition ferme et résolue à l’encontre du gouvernement, mais cela ne suffit pas à faire d’elle une force crédible et rassurante, au contraire. Quant au RN, celui-ci semble parvenir à maintenir son statut d’opposant serein et surplombant, un peu comme s’il comptait les coups, mais cette situation a tendance à le faire tomber dans une sorte de léthargie et d’effacement qui risque de lui être néfaste.

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Mais le pire est sans doute pour les Républicains, qui peinent manifestement à trouver leurs marques : sont-ils contre le gouvernement ou avec lui ? Le 49.3 les dessert car il révèle leur entre-deux : d’un côté ils se présentent comme des opposants à Emmanuel Macron, mais de l’autre ils ne votent pas la censure. Cette ambiguïté correspond à une réalité puisque LR est partagé sur la conduite à tenir.

Par ailleurs, il faut souligner un point important : en déclenchant le 49.3, le gouvernement focalise les débats sur les questions de procédures constitutionnelles, ce qui lui permet de faire passer au second plan les débats de fond liés au budget de l’Etat et au financement de la sécurité sociale. Or, il y a des sujets importants : sans même parler du pouvoir d’achat, des retraites ou des questions écologiques, il y a de nombreux enjeux qui mériteraient plus d’attention, comme la question de l’hôpital public ou la dégradation de l’enseignement, sans parler du budget de l’armée. On est d’ailleurs étonné de voir que les seuls débats qui semblent avoir droit de cité aujourd’hui sont la fin de vie et l’avortement, deux sujets qui relèvent de ce que Freud appellerait des pulsions de mort, ce qui en dit peut-être long sur l’état de notre société.

Interrogés en octobre sur l’usage du 49-3, les Français s’y montraient très hostiles et les sondages semblaient indiquer qu’ils étaient favorables à une motion de censure. Peut-on penser que cette hostilité s’étiole à mesure que le gouvernement « banalise » l’usage de cet article ?

L’article 49-3 souffre effectivement d’une mauvaise image dans l’opinion publique. C’est assez logique car celui-ci est systématiquement présenté comme une procédure anti-démocratique qui empêche le Parlement de voter.

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Or cette critique est assez hypocrite. Non seulement il s’agit d’une procédure qui est prévue par la Constitution, donc qui est parfaitement légale ; mais de plus cette procédure fait partie des mécanismes essentiels de la Constitution. C’est même son ADN. Ces mécanismes ont en effet été introduits par le général de Gaulle justement pour empêcher que le Parlement ne prenne le contrôle du gouvernement. C’est là un point essentiel : dans la Constitution de 1958, le premier ministre et le gouvernement dépendent du président de la République, et uniquement de lui. Il n’y a pas d’investiture par le Parlement. D’ailleurs, Elisabeth Borne a refusé de se soumettre à un vote de confiance, ce qui est son droit le plus strict puisqu’elle ne dépend que du président.

Evidemment, les opposants au général de Gaulle n’ont jamais accepté cette manière d’organiser les institutions et, depuis 1958, ils hurlent au scandale démocratique chaque fois qu’ils le peuvent, avec le soutien complaisant des médias. Si on ajoute à cela qu’Emmanuel Macron n’est pas très populaire et que son parti est minoritaire à l’Assemblée, on comprend pourquoi les sondages sont défavorables au 49-3. Mais si les Français devaient voter de nouveau sur une Constitution, seraient-ils prêts à abandonner le texte de 1958 pour celui proposé par La France insoumise ? Rien n’est moins sûr.  

De surcroît, il faut rappeler que le 49-3 ne sert pas uniquement à faire taire l’opposition : il vise aussi à empêcher l’éclatement de sa propre majorité. La presse n’est pas très prolixe sur ce point, mais il semblerait que les dissensions existent dans le camp macroniste. C’est assez logique : d’une part il y a désormais un nombre important d’affaires qui commencent à plomber la macronie, à commencer par l’histoire des cabinets de conseil ; d’autre part on va entrer dans la phase dure de la succession d’Emmanuel Macron puisque la Constitution lui interdit de se présenter une troisième fois. Donc, les candidats potentiels commencent à affiner leur stratégie, laquelle peut différer de celle voulue par le président sortant. Ils n’ont pas forcément envie d’être associés à certaines décisions. C’est là que l’article 49-3 intervient : il empêche que les éventuels dissidents ne se tiennent à l’écart en refusant de voter les textes voulus par l’exécutif.

 In fine, qui gagnera la bataille des 49-3 ?

Pour l’instant, il n’y a pas vraiment de bataille car le gouvernement est gagnant à tous les coups. En fait, la vraie bataille commencera plus tard puisque l’utilisation du 49-3 ne pourra pas se prolonger indéfiniment. En effet, depuis la révision de 2008, la Constitution n’autorise l’usage de ce dispositif que pour le vote des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale. Pour les autres sujets, le gouvernement ne peut activer l’article 49 alinéa 3 qu’une seule fois par session parlementaire. L’exécutif risque donc d’être rapidement privé de munitions. C’est pourquoi la vraie bataille n’a pas encore commencé : elle viendra lorsque le Parlement devra se prononcer sur d’autres projets de lois.

Du côté du gouvernement, la difficulté sera alors de bien choisir le texte sur lequel il va engager sa responsabilité car il ne pourra le faire qu’une fois. On va donc entrer dans un cycle plus complexe où le gouvernement va devoir se livrer à des compromis, très probablement avec Les Républicains. Cela signifie qu’il va sans doute chercher à concocter des textes qui seront acceptables par la droite, ou en tout cas qui ne susciteront pas son opposition.

Une autre stratégie possible sera celle du clash : en accumulant des votes négatifs au Parlement, l’exécutif pourra se prévaloir du fait qu’il est dans l’impossibilité de faire son travail, si bien qu’il n’y a pas d’autre issue que la dissolution et le retour aux urnes. Les nombreux usages du 49-3 serviront alors de justificatifs. Ils donneront l’occasion au président pourra de dire aux électeurs : vous voyez bien, les opposants n’étaient pas raisonnables et mon gouvernement ne pouvait pas gouverner. Cette stratégie peut marcher, surtout si le pays connaît des difficultés importantes qui pourraient créer un réflexe légitimiste en faveur du pouvoir en place.

Mais on pourrait aussi imaginer un autre scénario, bien plus audacieux et original : celui d’une démission du président lui-même. Ce serait assez un coup assez risqué, mais cela lui permettrait de se représenter sans violer la lettre de la Constitution puisque, techniquement, il n’aurait pas fait deux mandats.  Ce serait certes un peu machiavélique, mais il ne faut pas sous-estimer le côté tacticien d’Emmanuel Macron.

Les députés vont enfin s'affronter sur la question de la suppression progressive à partir de 2023 de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt de production. Cette mesure est contestée par la Nupes, qui espère des alliés à droite sur ce point, mais également par certains députés de la majorité sensibles à la grogne des collectivités territoriales percevant cet impôt. La Première ministre, Elisabeth Borne, a tenté de calmer le jeu en promettant une hausse de leur dotation globale de fonctionnement, à 320 millions d'euros au lieu des 210 millions annoncés initialement.

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