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Guantanamo : l’erreur de Donald Trump que tout l’occident finira par payer
©Brendan Smialowski / AFP

Pratiques d'un autre âge

Le centre de détention controversé situé à la pointe est de Cuba n’a connu aucun nouvel arrivant depuis 2008.

Mourad Benchellali

Mourad Benchellali

Mourad Benchellali est un ancien détenu de la prison de Guantanamo. Il fut un des premiers incarcérés dans ce centre situé à la pointe est de l’île de Cuba. Il y restera deux ans et demi et subira des tortures aussi bien psychologiques que physiques. Libéré sans procès, il retourne en France et refait sa vie. Il forme des apprentis carreleurs et fonde avec Nicolas Hénin, ex-otage en Syrie, l’institut de recherche et de conseil pour la lutte contre la radicalisation et le terrorisme : Action Résilience.

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Atlantico : Des djihadistes de l'EI pourraient bientôt être enfermés à Guantanamo. Un virage politique et un retour à l'ère Bush. Vous avez été vous-même enfermé pour à Guantanamo. Pouvez-vous sommairement nous expliquer ce qui vous y a conduit et ce qu'il vous est arrivé pendant ces deux ans et demi ?

Mourad Benchellali : Pour dire les choses simplement à l'âge de 19 ans je pars en Afghanistan à l'instigation d'un de mes proches. Ses motivations étaient plutôt religieuses alors que j'étais un gamin qui voulait partir à l'aventure et sortir de son quartier. En arrivant sur le terrain, les choses se sont vite compliquées à partir du moment où il y avait des combattants étrangers qui voulaient faire de moi une nouvelle recrue et m’ont envoyé dans un camp tenu par Al-Qaida. L’organisation n’était pas aussi connue qu’aujourd’hui car nous étions en juin 2001.
On m’a imposé un « entrainement » de deux mois. Je décide de rentrer chez moi mais les attentats des Twin Towers surviennent et le piège se referme très vite sur moi. S’en suivit une fuite au Pakistan où j’ai été capturé et remis aux Américains. Je serais un des premiers détenus de Guantanamo. J’y rentre en janvier 2002 sans savoir que j’y resterai deux ans et demi.
Le quotidien à Guantanamo on le connaît un petit peu maintenant. Le premier camp qui s'appelait X-Ray consistait en des cages laissées en extérieur. Il faut comprendre que le site est une base américaine coupée du reste du monde. Un no man’s land juridique dans lequel vous n’avez aucun contact avec le monde extérieur. Ni avec vos familles et sans la possibilité de voir un avocat. Vous ne savez pas combien de temps vous allez y rester. 
Je suis vite transféré au Camp Delta et c’est à ce moment-là que les « interrogatoires » menés par la CIA et le FBI ont commencé. Ils ont utilisé ce que l'on appelle communément des « techniques d'interrogatoire musclées ». 
A cette époque, les Américains pensaient qu'il fallait en arriver là pour obtenir des informations qu'ils n'auraient pas pu obtenir autrement. On parle là de tortures psychologiques et physiques : privation de sommeil, contention dans des positions douloureuses… J’ai vécu le même système que tous ceux qui s’y sont trouvés.
Pour vous empêcher de dormir, vous êtes transféré d’une cellule à l’autre toutes les demi-heures pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. La musique est forte et omniprésente, des flashs lumineux vous sont projeté dessus.
L'interrogateur peut aussi demander aux gardiens de vous jeter de l'eau froide dessus pour ensuite allumer la climatisation à fond, vous restez là à geler toute la nuit et tombez malade. Il y a aussi l’isolement perpétuel et l’impossibilité d’obtenir des informations sur votre sort ou sur vos proches Tortures physique et psychologique s’enchaînent et cela se termine par une libération sans procès et un retour vers la France. Après deux ans et demi, je me retrouve à Fleury-Mérogis pour 18 mois et suis jugé pour association de malfaiteurs. Je suis condamné à un an de prison ferme pour ensuite être relaxé en deuxième instance. Le parquet a fait annuler la relaxe, pourvoi en cassation et nous sommes maintenant devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Le centre de détention n’a connu aucune nouvelle arrivée depuis 2008. Que vous évoque cette nouvelle d’un « retour à l’ère Bush » ?

Il y a plusieurs choses à dire. D'abord que Trump est fidèle à ce qu'il a dit. Il avait expliqué qu'il ne fermerait pas la prison et avait annoncé, dans son premier discours sur l’état de Union qu’il remplirait de nouveau Guantanamo. Ce n'est pas une réelle surprise. 
A son arrivée en fonction, Obama avait interdit les tortures et voulait fermer le site, ce qu’il n’est jamais arrivé à faire. Trump veut, quant à lui, rétablir les tortures et la nomination à la tête de la CIA de Gina Haspel, confirmée en mai par le Sénat américain est tout sauf rassurante au vu de son passif. Donald Trump estime, contrairement à son prédécesseur, que la torture est nécessaire et efficace alors que toutes les études ont démontré le contraire. On ne peut croire des aveux obtenus sous la torture.

Est-ce qu'avec ce type d'acte, on n'alimente pas la propagande des organisations terroristes et la rhétorique anti-occidentale ?

Tout à fait. D'abord il faut parler des conséquences que cela peut avoir sur les détenus. Il y a beaucoup plus de chances de sortir de Guantanamo radicalisé que « déradicalisé ». Ensuite, effectivement il va y avoir des conséquences sur l'image des Etats-Unis du fait qu'ils pratiquent la torture et une justice d'exception. Et, in extenso, sur l’Europe et l’Occident de manière générale.
Cela va inévitablement alimenter la propagande des organisations terroristes qui vont utiliser ces images et Guantanamo dans leurs discours (même si elles le font déjà depuis des années). Cela va donner plus de poids à leur rhétorique c’est certain. Tout le monde se souvient de ces terribles images de détenus habillés en orange en référence aux détenus de Guantanamo qui finissent décapités. 
Tous les alliés des États-Unis seront impactés par cette décision et c’est une très mauvaise nouvelle pour la lutte contre le terrorisme. Sans parler du fait qu'il sera plus difficile de dénoncer les exactions de régimes autoritaires qui ont les mêmes pratiques et pourront accuser l’Occident d’un « deux poids deux mesures ».
Propos recueillis par Nicolas Quénel

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