Grilleur de politesse : cette annonce que François Hollande tenait tant à faire ou comment tuer la parole présidentielle à petit feu<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a donné une interview fleuve au Monde ce mercredi 20 août
François Hollande a donné une interview fleuve au Monde ce mercredi 20 août
©Reuters

Moi président..

François Hollande a accordé mercredi 20 août une interview fleuve au Monde, un journal qu’il apprécie particulièrement : il avait déjà choisi le quotidien pour son interview de rentrée en août 2013, ou encore pour publier une tribune sur l’Europe en mai dernier. L'occasion de s'exprimer une nouvelle fois dans les médias, mais aussi de griller la politesse à Manuel Valls.

Atlantico : Contrairement à ce qu'avançait Le Monde mardi 19 août en fin d'après-midi, Manuel Valls n'a pas annoncé mercredi 20 août que 4,2 millions de foyers avaient bénéficié de la réduction d'impôt sur les revenus. Pas question probablement de partager l'affiche avec François Hollande, qui répondait au même moment à une interview fleuve (lire ici - édition abonnés). Du RSA à l'Irak en passant par l'Europe, le président alterne les annonces qui se veulent "choc" - comme celle sur le pouvoir d'achat - avec les considérations géopolitiques. Quel effet ce mélange des genres produit-il ?

Maxime Tandonnet :Le fait que le chef de l'Etat choisisse de s'exprimer sur les sujets les plus divers n'est pas une nouveauté. Les conférences de presse des présidents de la République, mode de communication caractéristique des présidents de la Vème République, correspondent à cette philosophie. C'est une manière de marquer l'omnipotence du chef de l'Etat. Son champ de compétence n'est en aucun cas limité à un "domaine réservé", les affaires étrangères et la défense, comme le pensait Jacques Chaban Delmas en 1959, mais bien au contraire, son intervention porte sur tous les aspects de la vie publique qu'il estime prioritaires. On peut y voir un message à l'égard de l'opinion publique et aussi du Premier ministre : le véritable pilote, c'est moi.

Et se réservant la primeur, sur son Premier ministre, d'annonces de mesures tenant plus de la politique au jour le jour - fusion de la prime pour l'emploi et du RSA -, est-il vraiment dans son rôle ? Quels risques prend-il à court-circuiter son Premier ministre ?

Nous assistons en effet à un décalage croissant entre l'esprit des institutions de la Vème République et la pratique. La Constitution de 1958 définit le chef de l'Etat comme un arbitre, un gardien de l'unité nationale et des institutions, un guide qui fixe le cap. Le Premier ministre en revanche dirige la politique du gouvernement, l'action politique au quotidien. Depuis le début des années 2000, le président de la République a tendance à se substituer au Premier ministre en assurant lui-même le gouvernement du pays y compris dans les détails. Ce phénomène semble dû au quinquennat, adopté en 2000 mais aussi à la "nombrilisation" de la politique qui pousse les dirigeants à privilégier leur image personnelle sur l'intérêt général. Cette interview est particulièrement révélatrice... Les conséquences de ce phénomène de long terme, qui confond le rôle du président de la République et celui du Premier ministre, sont désastreuses. Nous voyons de plus en plus s'affirmer l'image d'un chef de l'Etat partisan et disparaître la notion française de président de la République de type monarchique, au-dessus de la mêlée et incarnant l'unité nationale, si nécessaire dans un pays si divisé...

Un peu plus d'un mois après son interview du 14 juillet, avait-il un intérêt à se prêter de nouveau à un tel exercice ? En quoi cela contribue-t-il à diluer la parole présidentielle ?

Là aussi, il faut y voir le signe d'une évolution de la vie politique qui met l'accent sur la communication au détriment des réalités. Avec les transferts de compétences à l'Europe, notamment le pouvoir monétaire, la décentralisation, le renforcement spectaculaire du pouvoir des juridictions comme le Conseil constitutionnel, les outils d'action des dirigeants politiques, en particulier du président de la République, sont de plus en plus restreints.

Le 13 août, il accordait une courte interview vidéo à Nice Matin (voir ici) en bas du domicile de son père, à Cannes. Comment expliquer chez le président une telle inclinaison aux interviews superflues ? Est-il illusoire d'imaginer qu'il renouera un jour avec la doctrine communicationnelle de Jacques Pilhan ?

Quand on ne parvient plus à changer les choses, à influer sur la réalité, il faut exister autrement. D'où l'essor de la communication dans la vie politique, à l'image de cette interview du 13 août, qui touche plus particulièrement l'Elysée, mais aussi l'ensemble des responsables publics.

Cette tendance est bien plus ancienne que la présidence de François Hollande. Elle remonte au septennat de Valéry Giscard d'Estaing et ne cesse de s'accentuer de mandat en mandat. Les présidents sont aujourd'hui plongés dans une course contre l'impopularité. Obsédés par leur réélection, malaimés de l'opinion publique, ils se lancent dans un exercice de séduction qui est voué à l'échec. Plus ils parlent pour tenter de compenser l'insatisfaction liée à leur politique ou plutôt leur incapacité à agir, plus l'opinion se détourne d'eux. Instinctivement, cette dernière sent bien ce qui se passe. Elle n'est pas dupe d'un pouvoir qui parle pour détourner l'attention de ses échecs. Donc elle le rejette encore plus. En effet, pour rompre avec cet engrenage, la parole présidentielle devrait se montrer beaucoup plus rare et sélective. Mais ce n'est pas le fond du problème. Il faudrait surtout sortir de cette dérive malsaine des institutions, ne datant pas d'aujourd'hui, qui fait du chef de l'Etat un personnage obsédé par sa réelection, donc son image, plus que par toute autre considération, en particulier l'avenir de la Nation et l'intérêt de ses compatriotes.

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